Chapitre 7

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Ash

Je ne savais pas du tout comment m’adapter à cette nouvelle vie. Ne plus être sur le qui-vive en permanence, ne plus fuir. J’ignorais comment gérer tout ça. Mon corps et mon esprit avaient pris l’habitude de survivre avec un haut niveau de stress. Ici, sur cette île perdue, je pouvais enfin baisser la garde. Malheureusement j’ignorais comment faire. C’était les habitudes de toute une vie que je devais changer. J’étais perdu. La dernière chose à laquelle je me raccrochais était que Zola fut notre ennemie. Mais force était de constater que j’avais tort. Cette femme ne nous voulait définitivement aucun mal. Je l’avais observé pendant des jours et des jours. Epié ses moindre faits et gestes. Même ses conversations avec Orion je les avais écoutés. Je n’en étais pas particulièrement fier. J’avais pu certes en apprendre davantage sur elle, mais ce sentiment d’avoir violé son intimité me laissait un goût amer. Au fil des jours, j’avais pu me rendre compte qu’elle ne se montrait jamais indiscrète, elle ne posait jamais de questions sur moi car elle connaissait la loyauté d’Orion à mon encontre. Entre eux s’était noué une vraie complicité. Ils se faisaient mutuellement confiance. Mon frère avait retrouvé sa joie de vivre et ses pitreries. Je les entendais rire aux quatre coins de l’île. Zola prenait soin de lui j’étais bien forcé de l’admettre.

J’avais gardé le pli de la suivre. Son travail était très routinier, je savais donc toujours où la trouver. Sa chienne passait beaucoup de temps avec moi et j’en tirais un vrai réconfort. Elle me reconnaissait sous chacune de mes formes. Mon patrimoine génétique faisait de moi un métamorphe à part. Mes deux parents étaient des métamorphes. Ma mère prenait une forme de lynx et mon père celle d’un loup. J’avais hérité des deux. J’étais actuellement sous ma forme lupine. Sous cet aspect je pouvais communiquer, via la pensée, avec d’autres loups ou lointain descendants dans le cas présent. Les interactions avec ma nouvelle amie étaient certes un peu limitées, mais pleine de fraîcheur. C’était une chienne joyeuse et qui vouait un amour sans borne à sa maîtresse. L’univers entier semblait se liguer contre moi pour me faire ouvrir les yeux sur Zola. J’observais cette dernière qui s’approchait du ruisseau. Elle devait y effectuer des prélèvements. Je ne m’étais pas encore révélé à elle sous cette forme. Elle s’était habituée au lynx et à mes quelques apparitions sous mon aspect humain. Voyons voir ce qu’elle penserait de mon loup. Je prenais garde à ne pas arriver derrière elle pour ne pas l’effrayer. Je me plaçais face à elle sur la rive opposée. Elle était concentrée sur sa tâche, accroupie au bord de l’eau. Elle se redressa et son regard tomba sur moi. La stupeur suivie de quelque chose qui ressemblait à de l’émerveillement se dessinèrent sur ses traits.

- Alors tu es aussi un loup ?

Elle m’offrit un sourire radieux. Evidemment elle m’avait reconnu instantanément. Mes tâches de dépigmentation me rendant facilement identifiable. Quelle malédiction pour un métamorphe. Impossible de passer inaperçu, sous n’importe quelle forme. Ces maudites tâches avaient scellé mon destin dès ma naissance. Je les détestais.

- Généralement tu te contentes de m’espionner de loin. Qu’est ce qui t’as décidé à t’approcher aujourd’hui ? Je sais, je sais, tu ne peux pas me répondre. Je crois que je préfère. C’est comme si tu étais plus abordable sous tes apparences animales. Il m’est plus aisé de m’adresser à toi ainsi. J’ai sans doute passé bien trop de temps à parler à Tahnee et aux poules ! Ou alors c’est juste les hommes en général qui me mettent mal à l’aise. Je ne sais pas trop.

Elle parlait vite tout en se triturant les mains. Elle évitait mon regard. Malgré sa nervosité, elle se montrait franche. Ce que j’appréciais. Je bondis par-dessus le ruisseau et m’approchais d’elle, sans pour autant envahir son espace vital. D’un geste de la tête je désignais sa besace où elle avait rangé ses affaires.

- Oh ça ? Et bien ça fait partie de ma mission. Une fois par semaine j’effectue des prélèvements à différents endroits du ruisseau. En rentrant à la station je les placerais dans le spectromètre de masse pour analyse. Les résultats sont directement envoyés à mon employeur. Je ne suis que la main d’œuvre. En fait cette île est une sorte de laboratoire à ciel ouvert. Son écosystème, son climat et le fait qu’elle soit préservée de l’homme au maximum en fait une formidable source de renseignements pour toutes sortes de choses. La météorologie, l’environnement, la faune, la flore, le réchauffement climatique. C’est vraiment fascinant et je suis contente d’avoir été sélectionnée pour être la gardienne de ce sanctuaire pour les trois prochaines années. J’ai vraiment l’impression d’être utile ici.

Nous nous étions remis en marche et Zola parlait avec emphase et moult détails de son quotidien ici. Envolée la nervosité, elle semblait dans son élément au milieu de cette nature préservée. Elle se pencha pour retirer une feuille de mon pelage. Un geste totalement machinal pour elle. Et pourtant un frisson me parcouru. Je fuyais généralement les contacts. Mais là, la subite envie de me rouler dans les feuilles, pour qu’elle puisse ensuite me les enlever, me traversa l’esprit. Je m’ébrouais, chassant cette idée absurde. La gentillesse intrinsèque de cette femme commençait à s’insinuer sous mes barricades. Et visiblement je n’essayais même plus de lutter. Cette sensation de lâcher prise avait commencée lors de cette soirée où nous avions bu du champagne. Lorsqu’elle nous avait rejoint, je n’avais pu détacher mes yeux d’elle. Elle avait troqué ses vêtements habituels, adaptés à son travail et au climat, pour ses propres vêtements. Une tenue simple qui mettait mieux ses formes en valeur. Cette femme semblait n’être que rondeurs et douceur. Mais ce qui bloqua mon souffle dans ma gorge, ce furent ses cheveux. Une coupe assez courte, des longueurs ondulées sur le dessus, rasée sur le dessous. Ce qui rendait cette coiffure époustouflante à mes yeux, c’était les nombreuses mèches blanches disséminées dans sa chevelure foncée. Elles illuminaient complétement son visage. J’étais totalement sous le choc. Moi qui abhorrais mon unique mèche dépigmentée, elle affichait les siennes avec fierté. J’avais très vite détourné le regard pour éviter de passer pour un pervers. J’avais eu quelques aventures particulièrement éphémères ces dernières années. Mais Orion et notre survie passaient toujours en priorité. Maintenant que nos vies avaient retrouvé un semblant de stabilité et de paix, mon corps réclamait l’abandon que seule une étreinte passionnelle pouvait lui offrir.

- Je pense que Tahnee t’aime beaucoup. Je sais qu’elle fonce toujours te voir quand nous sommes dehors. Avant elle n’était jamais loin de moi. Désormais elle m’abandonne sans hésitation pour toi. Je devrais me sentir vexée mais nous vivions, toutes les deux, une codépendance qui devait prendre fin, pour notre bien à toutes les deux ! Je serais curieuse de savoir ce que vous faites ensemble.

Zola s’arrêta deux autres fois pour prélever de l’eau du ruisseau. Nous avancions en silence, côte à côte. Sa main frôlait parfois mon pelage. Comme si, inconsciemment, je m’étais rapproché d’elle. Nous suivions désormais le sentier qui surplombait la plage. Elle s’assit sur un rocher plat. Des lupins violets s’étalaient derrière elle. Le vent s’engouffrait dans ses cheveux aux reflets d’argent. Les rayons du soleil faisaient ressortir les nuances vertes de ses yeux noisette. Le calme et la sérénité émanaient d’elle. Instinctivement je vins me coucher le long de sa hanche.

- Ash ? Je suis désolée d’avoir réagit aussi fortement la dernière fois. Tu voulais protéger Orion j’en ai conscience. Je me suis sentie acculée et accusée sans raison. Tu as essayé de m’intimider et j’ai répliqué. Comprends-moi. C’est la première fois que tu te présentais à moi sous ta forme humaine et tu t’es montré directement hostile. J’ai vécu des relations compliquées avec des hommes. Ils me rabaissaient et m’accusaient à tort et à travers de tout ce qui allait mal dans leurs vies... Je me suis juré que plus jamais je ne laisserais un homme me maltraiter de quelques façons que ce soit. Du coup j’ai vrillé. Je ne te demande pas de me faire confiance, nous n’en sommes pas là. Mais au moins admettre que je ne vous veux aucun mal.

Elle m’observait pour voir ma réaction à ses explications. La colère bouillonnait en moi suite à ses révélations. Mais je ne voulais pas l’effrayer. Je lui mis un léger coup de museau dans le genou. Ce qui la fit rire. Elle tendit la main au-dessus de ma tête et se figea aussitôt en se mordant la lèvre inférieure.

- Pardon c’était déplacé. Je n’aurais pas dû faire ça. Tu es un homme avant tout, pas un animal que l’on cajole.

Un tas d’images envahirent mon esprit. Je soupirais et lui mit un coup de museau dans la main cette fois-ci. Elle mordillait toujours sa lèvre puis tendit une main hésitante vers moi. Je vins coller mon crâne sous sa paume. Ses caresses étaient légères et douces. Je ne pus retenir un grognement de satisfaction. Si j’avais été sous ma forme de lynx je serais en train de ronronner comme un gros chaton. J’étais bombardé de sensations. Mon esprit partait dans tous les sens et mon cœur semblait sur le point de s’arrêter. Toute ma vie j’avais refusé que l’on me touche, sauf rares occasions. Et là je me retrouvais à quémander ses caresses. Je pourrais essayer de me convaincre que c’était mon loup qui appréciait. Mais l’auto persuasion c’était plus le domaine d’Orion. En ce qui me concernait, j’étais réaliste. Certains diraient froid et sans cœur et je ne pouvais pas leur donner tort. Et pourtant mon palpitant survolté à cet instant prouvait le contraire. Zola finit par se relever.

- Merci pour ce moment Ash. J’apprécie grandement. Je sais que tu refuse les contacts physiques, je me sens donc honorée. Je n’en parlerais à personne c’est promis.

Elle me fit un clin d’œil et reprit son chemin. Je la laissais s’éloigner et regagnais le grand pin qui me servait d’abris. Je m’assurais d’être seul avant de me métamorphoser. Je me retrouvais nu. En frissonnant je sortis mes vêtements de leur cachette et m’habillais rapidement. Mes formes félines et lupines ne me demandaient que peu d’énergie. Il était facile de se laisser guider par mon instinct primal. Enfiler ma peau d’homme était un combat de chaque instant. Non pas que c’était douloureux physiquement, ni même épuisant. Mais ainsi, mon esprit n’était jamais en paix. Trop de souvenirs. De ceux qui vous empêchent de dormir la nuit.

- Alors mon frère, tu te décides enfin à nous montrer ta belle gueule ?

- Putain Orion, combien de fois je t’ai déjà dit de ne pas me surprendre comme ça ?

- J’ai arrêté de compter il y a longtemps. Tu as montré ton loup à Zola, je suis fier de toi. La prochaine étape c’est de tenir une conversation civilisée avec elle. Tu t’en sens capable ?

- Honnêtement ? Je n’en sais rien. Elle me parle facilement quand je ne suis pas… moi. Et il m’est facile d’interagir avec elle ainsi.

- Ne dis pas n’importe quoi. Tu es toujours toi, que ce soit de la peau ou de la fourrure qui te recouvre. Et elle le sait parfaitement. Je crois plutôt que c’est toi qui as peur de laisser entendre ta voix. Peur qu’elle t’entende et te comprenne. Ou pire, qu’elle t’accepte comme tu es.

Avec un regard entendu, il s’éloigna, me laissant seul avec mes pensées. Evidemment il avait raison, comme d’habitude. Cela m’agaçait qu’il me connaisse aussi bien. Je ne laissais pas les gens m’approcher et me connaître. Cela leur donnait bien trop de pouvoir sur moi. Ils risquaient ensuite de s’en servir pour me contrôler et faire de moi leur marionnette. Je ne laisserais plus jamais une telle chose se produire. Kern avait tenté de me briser. Je lui avais fait confiance et ma vie avait basculé dans les ténèbres. Tenir les gens à distance m’étais devenue aussi naturel que de respirer. Orion était mon exception. Comme j’étais la sienne. Jusqu’à Zola. Ces deux-là avaient réussi à créer un lien fort en si peu de temps. Une vraie connexion. Orion avait dit qu’il s’était senti appelé jusqu’ici. Ils s’étaient trouvés et reconnus. Il lui avait fait instantanément confiance. Je doutais d’y arriver un jour. J’avais cependant une certitude. J’étais incapable de rester loin d’elle.

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