Chapitre 8
Zola
Allongée dans mon lit ce soir-là, je laissais les événements de la journée se dérouler dans mon esprit. La rencontre avec le loup de Ash en était clairement le point d’orgue. Son pelage auburn flamboyait et le soleil y accrochait des reflets changeants. Cette nouvelle apparence me subjuguait une fois de plus. Il s’était montré doux et attentif. Il était aisé d’interagir avec lui ainsi. Je me sentais libre de m’ouvrir en sa présence. Je n’étais certes pas aussi à l’aise qu’avec Orion. Mais la relation était différente. La connexion avait été instantanée avec le Brownie. Une reconnaissance immédiate. Avec son acolyte métamorphe il y avait tout à construire. Nous cohabitions sur l’île depuis quelques semaines maintenant. Nous prenions tous deux notre temps pour tenter de nous rapprocher. Notre colocataire ailé nous observait sans intervenir vraiment. Il connaissait mes réticences à faire confiance à un homme et il savait tout des traumas de son ami. Il nous laissait donc nous dépatouiller seuls. J’étais ici pour trois ans, j’avais donc tout le temps. Hors de question de me précipiter. Si mes deux invités avaient débarqué ici pour sauver leur peau et trouver la paix, il en allait de même pour moi. Je n’avais pas postulé uniquement par attrait pour la vie sauvage, pour ma conscience écologique ou la paie. L’intérêt majeur du poste à mes yeux, fut qu’il était basé loin de tout et solitaire. Mon soulagement était tel lorsque j’ai été retenue, que j’avais fondu en larmes. J’allais enfin pouvoir refaire ma vie, me reconstruire. Entre la formation technique, les simulations diverses pour que je sache comment réagir à chaque situation et les techniques de survies en climat polaire, j’étais partie de chez moi plusieurs mois avant mon arrivée ici. Mon employeur nous avait logées, Tahnee et moi, dans un petit appartement de leur centre de formation. Nous avions ensuite passé quelques semaines en Islande pour l’acclimatation. J’avais été prise dans ce tourbillon et m’étais laissé emporté avec joie. Tout ce que l’on m’avait appris était fascinant. Je me sentais à ma place ici. Enfin en accord et en paix avec moi-même. Je savourais pleinement la tranquillité d’esprit que j’avais trouvé à Hjöx. Le souffle de magie et d’aventure apporté par Orion et Ash, au lieu de m’effrayer, m’avais transcendé. Comme si nos pièces biscornues, assemblées ensemble, formait enfin une belle image.
Le lendemain, jours du solstice d’été, je rentrais de ma journée de travail en exterieur. J’eu la surprise de découvrir Ash dans le poulailler. Prise de panique je m’élançais.
- Ne mange pas mes poules s’il te plait ! Si tu as besoin de plus de viande je te laisse ma part !
Il se retourna, surpris.
- Je ne compte pas manger tes poules Zola ! J’ai juste nettoyé le poulailler.
- Oh d’accord. Désolée ! Mais pourquoi te charger de ça ? J’avais prévu de le faire justement.
- Pour te décharger un peu. Tu fais tout sur cette île. Orion t’aide pour les repas. Je voulais participer aussi. Je me la coule douce depuis mon arrivée. Je sais que tu ne demandes pas à ce que l’on t’aide. Mais tu n’as pas à tout gérer toute seule. Tu nous laisses vivre ici, tu partages tes ressources avec nous sans jamais rien nous demander en retour. Nous sommes là désormais et il est hors de question pour moi de te regarder te tuer à la tâche.
- Me tuer à la tâche c’est une vision un peu exagérée, avant votre arrivée je faisais déjà tout toute seule. Mais merci en tout cas, j’apprécie l’attention.
- Si je peux faire autre chose n’hésites pas.
Ash fit mine de partir. Je voulais le retenir. Qu’il me parle encore. Ou qu’il se taise encore. Les silences valent parfois plus que mille mots. Ash était de ses âmes qui s’expriment mieux par les gestes et les regards. Jamais de paroles inutiles avec lui. Chaque mot prononcé avait son importance. Il est de coutume de dire que le silence est d’or. Les vrais trésors se dissimulaient dans ce qu’il ne disait pas. J’espérais réussir à déchiffrer cette carte qui menait à lui.
- C’est le solstice d’été aujourd’hui. Nous pourrions fêter ça, ce soir.
- Que proposes-tu ?
- Un feu et un pique-nique sur la plage ?
- Pourquoi pas.
Ne trouvant pas d’excuse supplémentaire pour le retenir, je le laissais s’en aller. Il avait accepté de passer la soirée avec moi, avec nous. Il fallait que je prévienne Orion. Il allait se faire une joie de nous préparer un pique-nique digne de la famille royale ! Je le trouvais assoupi sur le canapé. Blotti contre Tahnee. Je restais un moment à les contempler, le sourire aux lèvres. Le fait que mon ami ailé se sente aussi à l’aise et en paix ici me rendait particulièrement heureuse. Il le méritait vraiment après tout ce qu’il avait enduré. Je m’approchais pour caresser ma chienne. Elle aussi semblait enchantée ici. Elle s’était formidablement adaptée à nos invités. Orion ouvrit les yeux et s’étira.
- Bien dormi mon petit cœur ?
- Huuum oui, je n’ai pas pu résister quand j’ai vu Tahnee sur le canapé.
- Ah ah ah c’est sûr qu’elle est la meilleure partenaire de sieste !
- Ça tu peux le dire ! Bon et si je t’aidais pour nettoyer le poulailler ?
- Pas la peine, Ash s’en est chargé. Il semblait s’en vouloir de ne rien faire pour m’aider du coup il a pris l’initiative de s’en occuper.
- Je ne suis pas surpris, il n’aime pas rester sans rien faire. Du coup ta journée est finie ! Tu voudrais faire quoi ? On pourrait se faire un film.
- Ou bien nous pourrions faire un super pique-nique sur la plage. C’est le solstice d’été aujourd’hui. La nuit la plus courte de l’année. On pourrait même faire un feu et admirer le soleil de minuit. Ash est partant, je crois.
- Tu as proposé à Mister grincheux ? Sans bafouiller ??
- Je ne bafouille jamais ! Enfin presque jamais.
- Oui, seulement en sa présence.
Orion me lança un regard entendu en riant sous cape. Il savait parfaitement que je devenais nerveuse dès que Ash apparaissait sous sa forme humaine. J’avais eu beau lui répéter que tous les hommes me rendaient nerveuse, il n’était visiblement pas dupe concernant mon trouble au sujet de Ash. J’ignorais moi-même quoi en penser. Il possédait un charme et un magnétisme évident. Mais je m’étais juré de ne plus me laisser avoir par une belle gueule et des belles paroles. Mon projet en arrivant ici était de me concentrer sur moi, j’avais passé des années à laisser des hommes me dire que je ne valais rien. Tellement que j’avais fini par les croire. Je commençais seulement à me retrouver et apprécier ma propre compagnie. Il était tout bonnement hors de question que je balance tout ça aux orties pour un mot, un regard ou un geste attentionné.
- Du coup, partant pour une soirée sur la plage ? Je connais la plage parfaite pour admirer le coucher du soleil. Elle est un peu difficile d’accès mais ça vaut vraiment le coup.
- Ma jolie tu sais bien que je te suivrais partout où tu iras ! Je me charge du repas. Il nous faut du bois pour le feu. Des nappes pour éviter d’avoir du sable partout et des couvertures.
- Il y a du bois flotté sur la plage, je vais préparer les nappes, les couvertures et prendre des torches pour éviter de se tordre les chevilles. Avant ça je vais prendre une douche. J’ai passé des heures à observer les macareux et les embruns m’ont laissé les cheveux poisseux et la peau salée.
Le Brownie ne m’écoutait déjà plus. Il était lancé dans son tourbillon de préparatifs. J’adorais l’observer. Il semblait jongler avec les aliments et les ustensiles. Il multipliait les produits bruts et cuisinait comme un grand chef. Il soignait le moindre détail et n’hésitait jamais sur les fioritures. Comme s’il se réappropriait ses dons d’elfe de maison. Désormais il s’en servait pour son plaisir et le nôtre. À mon instar, il se retrouvait et réapprenait à s’aimer dans son entièreté. Cette pensée fit gonfler mon cœur de joie et de fierté.
Je pris mon temps sous la douche, laissant l’eau chaude délasser mon dos, raide depuis quelques jours. Ce soir, une fois de plus, je délaissais mes vêtements techniques pour mes propres habits. Un jean troué, un t-shirt de mon groupe de rock préféré et un pull à capuche rose vif. Après tout ce temps passé à me cacher sous des vêtements amples et ternes, je prenais plaisir à mettre des couleurs vibrantes. Je me maquillais, agrémentant mes yeux de quelques paillettes et mes lèvres d’une teinte prune. Un peu de vanille derrière les oreilles et mes boucles d’oreilles fétiches. En retournant dans la cuisine, je trouvais les deux amis en pleine discussion.
- C’est non Orion.
- Mais pourquoi ? On fête le solstice c’est l’occasion. Zola, dis-moi que tu es d’accord !
- D’accord pour quoi ?
- Des feux d’artifices !
- Ouhla non pas de feux d’artifices Orion ! C’est un sanctuaire pour la faune sauvage ici. Tes feux vont terroriser tout le monde, Tahnee en premier lieu. Et puis le risque est trop grand de se faire prendre. L’île est étroitement surveillée en permanence. Des feux d’artifice c’est vous mettre une cible sur le dos. Désolée mon petit cœur mais c’est trop dangereux.
Les yeux humides et les lèvres tremblantes il baissa la tête. Je m’approchais de lui et glissais ma main dans la sienne.
- Je suis désolé, je n’avais pas du tout pensé ça. Je voulais nous offrir un beau spectacle. Je n’ai pas envisagé un instant les conséquences désastreuses que mon caprice aurait pu engendrer. Je suis vraiment un imbécile.
J’allais répliquer mais Ash intervint en premier.
- Tu n’es pas un imbécile. La preuve, tu m’en as parlé d’abord. Un imbécile aurait agi sans demander l’avis de personne. Tu voulais simplement nous faire plaisir. Personne ne t’en veux pour ça.
- Ash a raison. Ne te maltraite pas ainsi. Les erreurs de jugement ça arrive ok ? Je ne veux plus t’entendre te dénigrer. C’est interdit sur cette île ! Et maintenant en route ! J’ai faim et ça sent trop bon !
Je me hissais sur la pointe des pieds et déposais un baiser sur la joue de mon ami puis attrapais le sac contenant la nourriture. Ash me le prit aussitôt des mains.
- C’est lourd, je vais le porter.
- Tu es au courant que je ne suis pas une faible femme, n’est-ce pas ?
- Je n’ai jamais prétendu le contraire, j’essaie juste d’être galant. En plus le sentier pour descendre sur la plage est escarpé. Il serait dommage que toute la nourriture soit perdue à cause de ta chute.
Je restais un moment interloquée avant de comprendre qu’il venait de faire de l’humour. Ce qui me choquais encore plus ! Son léger sourire en coin finit de m’achever. Si je me mettais à parler j’allais bafouiller. Je pris donc le sac contenant les nappes et les couvertures et sortis rapidement. La soirée s’annonçait belle, le vent était tombé. Nous progression en file indienne. Orion et Tahnee en tête. Je sentais la présence calme et silencieuse de Ash derrière moi. Le chemin qui menait à la plage se présentait devant nous. Orion prit sa taille humaine.
- C’est vraiment escarpé il a raison. Je vais te porter pour descendre ma jolie.
Une fois de plus, le métamorphe prit la parole avant que je puisse ouvrir la bouche.
- Je vais m’occuper de Zola, tu devrais descendre les sacs et commencer à préparer le feu.
Il tendit son sac au Brownie et lui donna également le mien. Il s’envola aussitôt vers le sable. Je me tournais vivement vers le métamorphe, les sourcils froncés.
- Tu vas arrêter de me faire passer pour une chose fragile !
- Je ne pense absolument pas que tu sois fragile, je voulais juste éloigner Orion car j’aimerais te parler.
- Oh, d’accord. Et bien vas-y parle.
- Merci pour tout l’heure.
- Sois plus précis Ash. Tu me remercies à quel sujet ?
- Au sujet d’Orion. Merci de ne pas l’avoir enfoncé pour son erreur. Je crois qu’il n’aurait pas supporté de te décevoir. Donc merci d’avoir été compréhensive avec lui. Et…
Il semblait nerveux tout d’un coup, il baissa les yeux et son pied gauche frottait par terre.
- Et ?
Il semblait prêt à se jeter sur le sentier plutôt que de continuer à me parler. Je baissais la tête pour capter son regard et lui fit un sourire encourageant.
- Et merci de te soucier de notre sécurité. Ça compte beaucoup pour moi, pour nous.
- Je t’en prie, je me soucie de vous autant que vous le faite pour moi. Jamais je n’aurais hurlé sur Orion. Je protège mon havre de paix mais jamais je ne le rabaisserais pour ça. Il a un cœur pur, un cœur d’enfant. C’est précieux.
Ash m’observa un instant, la tête penchée.
- Tu possèdes une bonne analyse des gens qui t’entours.
- Si seulement, cela m’aurait évité bien des problèmes. Cette petite tornade ailée est mon exception je crois bien. Si on allait le rejoindre ?
- D’accord mais je passe devant. Et avant que tu ne me crucifie, je tiens juste à te rappeler que mes talents en tant que lynx et loup me permettent une meilleure appréhension de mon environnement. Je serais un point solide devant toi et je pourrais te prévenir en cas d’obstacle.
- Arrête de faire ça !
- Faire quoi ?
- Te montrer logique et prévenant pour pas que je puisse dire quoi que ce soit. J’ai horreur de ça !
Sur un éclat de rire il s’élança sur le chemin. A quel moment un rire parvenait à faire s’agiter mon bas ventre ? Il résonnait comme un appel, un chant oublié, une prière. Je mourrais d’envie de répondre à cet appel. Mais ma conscience et ma peur reprirent vite le dessus. Je me mis en marche. Déconcentrée par ce maelström d’émotions, je trébuchais. D’un mouvement vif, Ash me rattrapa. J’étais dans ses bras, le nez sur sa poitrine, me conjurant de toutes mes forces à ne pas inspirer. Je me reculais. Ses grandes mains tenaient toujours mes coudes. Il me regardait avec une lueur dans ses yeux dorés.
- Je te préviens que si j’entends un « je te l’avais bien dit », je n’aurais aucun scrupule à te pousser en bas de la falaise.
- Comme je tiens à mon intégrité physique, je ne dirais rien.
S’assurant une dernière fois de mon équilibre, il me fit un clin d’œil. Je grognais pour la forme, me retenant de lui tirer la langue. Quelques minutes plus tard, nous étions arrivés sans encombre sur la plage. Un grand feu brûlait déjà. En y regardant de plus prêt je constatais que ce n’était pas le bois flotté qui servait de combustible, mais des branches de pin. Devinant mon interrogation, Orion m’expliqua ce choix.
- Il paraît que le bois flotté dégage beaucoup de toxine à cause de tout le sel qu’il contient. Ash avait préparé ces branchages.
Je me tournais vers ce dernier.
- Et bien merci de nous avoir évité l’intoxication. Mais quand as-tu eu le temps de faire ça ?
- Juste après que tu m’en ait parlé. Je me doutais que nous viendrions sur cette plage. Et je te rassure j’ai pris des branches mortes, je n’ai pas coupé d’arbre.
Touchée une nouvelle fois par sa prévenance, mon cœur se remit à battre la Samba. Me sentant rougir, je fixais mon regard sur l’océan. Le coucher de soleil semblait infini à cette période de l’année. C’est comme s’il rebondissait sur la ligne d’horizon. Il nimbait d’or la falaise et jetait des reflets rouge-orangé sur l’étendue d’eau. Le ciel semblait en feu. J’inspirais profondément, m’imprégnant de cette atmosphère chaleureuse et apaisante. En me retournant je trouvais mes deux compères assis autours du feu. Orion avait tout installé. Je me callais entre eux et il me tendit un plat rempli de sandwich à l’œuf, mes préférés. Je mordis à belle dent et m’extasiais. Ce sandwich méritait d’être dévoré.
- Mon petit cœur c’est délicieux !
J’étais si bien à cet instant. La nourriture était succulente, la vue époustouflante et la compagnie plus qu’agréable. D’un accord tacite nous ne parlions que de choses légères. Quand la température commença à baisser, ils se rapprochèrent instinctivement de moi. Ash enroula une grande couverture autours de nos épaules. Orion posa sa tête sur mon épaule en soupirant d’aise. Leur chaleur irradiait autours de moi. Je me sentais en sécurité. Rien de mal ne pouvait m’arriver tant qu’ils étaient près de moi.
Annotations
Versions