Chapitre 9
Ash
J’ouvris les yeux sur le salon de la station. Nous étions restés tard sur la plage et Zola nous avait proposé de rester dormir chez elle. Elle avait insisté pour me céder sa chambre mais j’avais refusé. Hors de question de la chasser de son lit. Le canapé avait fait parfaitement l’affaire. Après tous ces mois à dormir dehors, sous mes formes animales, il était étrange de me retrouver ici dans ma peau d’homme. Orion lui avait dormi dans la chambre avec elle. Il aurait la chance de pouvoir profiter cette divine odeur de Vanille qui émanait d’elle. Quand je l’avais sentie hier soir devant le feu, j’avais dû me faire violence pour ne pas enfouir mon visage dans son cou. Elle n’aurait jamais toléré ce geste. Et pourtant j’en crevais d’envie, encore maintenant. Des images de la soirée de la veille défilèrent sous mes paupières. L’instant fugace où elle s’était retrouvée dans mes bras. A ce souvenir, un long frisson me parcouru. Je n’eu cependant pas le loisir de m’y attarder car des cris de panique provenaient de la chambre. C’était la voix d’Orion. Mon sang ne fit qu’un tour. Je me levais prestement et fonçais. En entrant, je trouvais Orion qui virevoltait comme un fou dans la pièce, Tahnee qui geignait doucement, la tête sur le ventre de sa maîtresse. Cette dernière était étendue, livide. Les couvertures avaient été repoussées. Je ne pus m’empêcher de regarder ses jambes, dévoilées par un petit short. Des mollets galbés er des cuisses charnues. Je dégluti et détournais mon regard.
- Orion qu’est ce qui se passe ?
- ELLE EST PARALYSEE !!
Ok mon ami paniquait complétement. Mais à voir Zola ainsi je me doutais que la situation n’était pas normale. L’angoisse m’étreint la gorge. Je m’accroupi près de la tête de lit.
- Est-ce que tu vas bien Zola ?
- J’ai connu mieux. Mon dos est complétement bloqué, je n’arrive pas à sortir du lit.
- Mince. Comment ça se fait ? Tu t’es fait mal ?
- J’avais le dos raide depuis plusieurs jours. Je crois que le fait de resté assise très longtemps hier soir, sur le sable, n’a pas aidé.
Elle semblait effectivement coincée et un peu paniquée. Je devais l’aider.
- Orion cesse de voleter dans tous les sens et va lui préparer une bouillotte et une tasse de thé.
Une fois seul avec elle, je m’assis au bord du lit.
- Il faut détendre et réchauffer les muscles de ton dos Zola. Tu es d’accord pour que je t’aide ?
- Oui s’il te plait.
- Ok alors je vais t’aider à te mettre sur le côté et j’utiliserais mes mains pour stimuler les points d’acupression du bas de ton dos. C’est toujours d’accord ?
- Tu es sûr de ce que tu fais ?
- Je ne te proposerais pas sinon. J’ai souvent assisté les guérisseurs dans le camp de Kern.
Ses grands yeux noisette, remplis d’angoisse et de gène, se baissèrent. Elle triturait ses mains.
- Quel est le problème Zola ? Je te promets que je sais ce que je fais.
- Ce n’est pas ça. C’est juste que je ne suis pas franchement à l’aise avec mon corps.
- Je comprends. Je déteste le mien. Mais en attendant tu souffres et tu ne peux pas rester comme ça. Je ne suis pas là pour émettre un jugement sur ton corps mais pour te soulager de ta douleur. Ok ?
- D’accord, fais ce que tu as à faire.
Je me relevais et allais farfouiller dans la salle de bain. J’y trouvais un pot de crème pour le corps. Ça ferait l’affaire. De retour auprès de Zola je l’aidais à se mettre en position. Je remontais la couverture sur ses jambes pour la maintenir au chaud et qu’elle se sente moins exposée. Je m’assis derrière elle et remontais le bas de son t-shirt. Après avoir chauffé la crème entre mes mains, je les appliquais délicatement sur sa peau et commençais mes pressions. Orion était revenu sans faire de bruit. Il apposa la bouillotte juste sous la zone que je massais et ressorti. Je sentais les tensions se détendre sous mes doigts. Sa peau était chaude et douce. Elle s’agrippait à son haut. J’avais envie de lui dire qu’elle ne devait pas avoir honte de son corps, mais ce n’était clairement pas le bon moment. C’est sa voix qui me sortit de mes songes.
- Pourquoi est ce que tu détestes ton corps ?
Je ne dis rien pendant un moment. Venant d’elle, ce n’étais pas de la curiosité déplacée. Elle cherchait à me comprendre.
- Pardon Ash, tu n’es pas obligé de répondre.
- C’est moi qui ai abordé le sujet, il est normal que tu t’interroges. Je vais te répondre. Et si tu veux, ensuite, tu me diras pourquoi, toi, tu n’aimes pas le tien ok ?
- Ok.
- Tu as du remarquer mes tâches de dépigmentation. J’en ai sur le corps aussi. Je les déteste. Je fuis mon reflet et de façon général j’ai du mal à accepter mon corps.
- C’est pour cela que tu passes autant de temps sous tes autres formes ? C’est plus facile ?
- On peut dire ça oui. Quand je suis dans mes autres corps, l’instinct primal prend le dessus. Mon esprit humain est comme en retrait, en sourdine. Les mauvais souvenirs ne sont plus qu’un lointain écho.
- J’aimerais pouvoir faire la même chose. Toute ma vie mon corps a été un sujet de moqueries pour les autres. Les hommes que je fréquentais n’assumaient pas de sortir avec une grosse. Ils me rabaissaient en public, critiquant ouvertement mon physique. Et moi je laissais faire, car je ne voulais pas finir seule. Au final, je l’étais déjà, seule. Dans ma vie, dans mes relations. Partout. Seule au milieu des gens. Bizarrement, c’est quand j’ai choisi la solitude en acceptant ce poste, que je ne me suis plus sentie seule. Je m’avais, moi. Tahnee était déjà là, mais c’est comme si j’avais fini par me rencontrer moi-même. Je ne suis toujours pas en paix avec mon corps, il faudra du temps. Mais je garde espoir.
- Tu finiras par l’aimer. Le physique des gens ne devrait jamais être un sujet de moqueries. Les personnes jugent sur l’apparence sans chercher à découvrir ce qu’il se cache derrière. A force nous finissons par nous juger nous-même.
- Nous vivons dans un monde d’apparence. À partir du moment où nous ne rentrons pas dans les normes imposées, nous sommes montrés du doigt. Je déteste ça.
- Orion et moi venons d’une autre réalité, un Brownie et un métamorphe, et ni notre provenance ni notre apparence n’ont jamais été un problème pour toi. Mon frère avait raison depuis le départ. Tu es une belle âme.
Je vis le haut de sa joue s’empourprer. Je rabaissais son t-shirt. Mon acolyte choisi ce moment pour débarquer avec un plateau chargé de nourriture. J’aidais Zola à se mettre assise. Elle semblait moins raide. Elle me remercia d’un doux regard. Orion posa le plateau sur le lit.
- Il faut que tu manges ma jolie. Je t’ai préparé plein de bonnes choses.
- Ok mais seulement si tous les deux, vous partager tout ça avec moi. Asseyez-vous.
L’elfe n’hésita pas une seconde et se cala contre Zola. Elle me fixait avec insistance. Je finis par m’assoir face à elle. Comme à mon habitude je picorais. J’appréciais la nourriture, mais je me la refusais. Je mangeais juste assez pour que mon corps fonctionne. Jamais plus. Je punissais mon corps. Pour éviter que, la bien trop perspicace femme en face de moi, ne soulève le sujet, je lui proposais de nouveau mon aide.
- Tu devrais renforcer ton dos. Faire des étirements, des exercices. Nous pourrions en faire ensemble. Je passe beaucoup de temps sous cette forme désormais et je sens bien que je suis rouillé.
- Je suppose qu’il faudrait oui. Par contre si tu me hurles dessus ou que tu me fais faire des pompes, je t’éjecterais de cette île à grands coups de pieds dans ton derrière.
- Je te promets. Pas de cris et pas de pompes.
C’est ainsi que démarra notre nouvelle routine matinale. Je continuais à dormir sur le canapé. Quand Zola se levait, nous enchainions des exercices doux pour travailler notre souplesse et notre mobilité. Parfois en musique. Mais toujours dans le calme. Nous échangions peu de paroles. Les silences étaient confortables avec elle. Ensuite nous prenions le petit déjeuner avec Orion. J’adorais ces débuts de journées. Les semaines défilèrent doucement, comme si le temps prenait justement son temps ici. Je n’avais jamais connu une telle quiétude. Plus je passais de temps avec Zola, plus j’en voulais davantage. Chacun de ses sourires ou éclats de rire étaient comme un baume apaisant sur mon âme meurtrie. Mon corps voulait s’élancer vers elle. Mon cœur rugissait au moindres de ses contacts. Mais je connaissais ses craintes. Je prenais ce qu’elle me donnait sans jamais rien lui demander. Je n’avais de toute façon rien à offrir. Je refusais que ma noirceur souille sa lumière.
L’été touchait à sa fin. Nous serions bientôt en Septembre. Les jours raccourcissaient. J’avais vu Zola verser des larmes quand les macareux avaient pris leur envol. Elle était vraiment connectée à cet endroit. Elle s’impliquait et prenait son travail au sérieux. Elle parlait avec enthousiasme de sujets qui la passionnaient. Elle s’émerveillait de choses simples. J’aimais voir le monde à travers ses yeux. Elle riait de bon cœur, souvent d’elle-même. Elle ne jouait pas un rôle. Elle était vraie, entière, rayonnante. Comme un phare dans mon obscurité. Grâce à elle, je découvrais un Orion rieur et plein de vie. Il semblait en paix avec lui-même. Je me surprenais souvent à mêler mon rire aux leurs. La douceur de vivre ambiante nous faisait du bien à tous. Je continuais de prendre mes autres formes, notamment pour passer du temps avec Tahnee. Je courrais souvent avec elle, ressentant cette liberté propre aux animaux.
Malgré tout, au fond de moi, persistais cette impression, sournoise, que tout allait s’effondrer. Que ce bonheur, je ne le méritais pas. Zola et Orion avait trouvés leur équilibre ici. Pour ma part, la gravité semblait toujours la plus forte. Je les observais et je me disais qu’ils s’en sortiraient tout aussi bien sans moi. Je pourrais partir. Retourner dans ma réalité. Je savais que Kern nous pourchasserait sans fin. Je refusais de prendre le risque de le mener à eux, à elle. Si j’y retournais, si je me rendais, ils seraient en sécurité. Ce soir-là, je les trouvais tous les deux dans la cuisine. Orion avait une tondeuse à la main, prêt à refaire la coupe de cheveux de Zola. Je les observais débattre sur la longueur idéale. Mon frère voulait en plus lui colorer les cheveux. Je me tendis. Hors de question de sacrifier cette chevelure incroyable. Heureusement Zola coupa court au débat.
- Je te l’ai déjà dit, jamais je ne colorerais mes cheveux. J’ai mis des années à accepter mes cheveux blancs et désormais je les aime. Allez mets la tondeuse en route et fais-moi un beau dégradé.
- Ok ma belle. Tu as raison de t’assumer ainsi. Tes cheveux sont magnifiques.
Je restais là, les regardant vivre. Je savais que je prenais la bonne décision. Orion leva le regard vers moi.
- Pourquoi tu nous regardes comme si tu n’allais plus jamais nous revoir ?
- Parce que je vais partir.
- Qu’est-ce que tu dis ?
Ils s’étaient tous deux approchés de moi. Zola retenait son souffle.
- Tu veux partir ? Mais pour aller où ? Tu ne supportes plus la vie ici ?
- Mon choix n’a rien à voir avec cette île. Je dois partir. Il est temps. Pour vous protéger.
Les ailes d’Orion se mirent à vibrer de rage.
- Non ! Je t’interdis de faire ça ! Tu ne repars pas là-bas ! Kern ne peut pas nous trouver ici !
- Nous n’en sommes pas certains. Qui nous dit qu’il n’a pas trouvé un autre sortilège pour créer une déchirure dans le voile ? Je refuse d’attendre que ça se produise. Je ne le laisserais pas débarquer ici et tout saccager. C’est moi qu’il veut.
- Alors je viens avec toi.
- Non pas cette fois. Ta vie est ici désormais. Tu as dit toi-même que tu t’étais senti appelé sur cette île. C’est ton destin Orion. Tu mérites tout ça. Restes avec Zola.
Cette dernière me regardait en silence, les yeux humides. Je m’approchais d’elle, je pris son visage dans mes mains et collais mon front au sien. Elle agrippa mes poignets.
- Tu prendras soin de lui, pour moi ?
- Je te le promets.
- Merci douce Zola. Merci pour tout.
Je déposais un baiser sur sa joue et m’éloignais tant que j’en avais le courage. Orion pleurait à chaude larmes. Je posais mes mains sur ses épaules et l’attirais à moi.
- Tu sais que je n’ai pas le choix.
- Tu vas tellement me manquer.
- Toi aussi mon frère.
- Qu’est ce que je vais faire sans toi Ash ? C’était toi ma raison d’avancer.
- Tu vas vivre Orion. Tu vas vivre.
Il me serra dans ses bras et je le laissais faire. Il me murmurait ses adieux tandis que je caressais sa nuque. Ses épaules tressautaient. Deux yeux noisette, remplis de larmes, avaient capturé mon regard. Des messages silencieux et beaucoup de regrets passaient entre nous. Je repoussais doucement Orion. Je jetais un dernier regard autour de moi. Je m’étais senti bien pour la première fois depuis longtemps, ici. Je sortais le couteau de ma poche et m’entaillais la paume de la main. Je récitais rapidement le sortilège apprit par cœur en laissant coulé mon sang. La déchirure s’ouvrit. Je regardais une dernière fois mon ami, mon frère et lui fit un sourire. Zola lui serrait la main. Ses lèvres tremblaient, mais elle affichait un visage résolu. Elle serait là pour lui. J’avais confiance en elle.
- Adieu Zola.
- Adieu Ash.
Je me précipitais dans la déchirure sans un regard en arrière, le visage noyé de larmes.
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