Chapitre 10

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Orion

Est-ce qu’on pouvait mourir d’un cœur brisé ? Ash était parti et j’avais l’impression de m’éteindre à petit feu. C’est comme si l’on m’avait amputé d’une part de moi. J’avais passé la plus grande partie de ma vie à ses côtés. Sans lui je n’étais pas certain de savoir comment fonctionner. Je passais les premiers jours dans un état de suffocation constant. Seule la présence apaisante de Zola me maintenait la tête hors de l’eau. Elle me maintenait en vie littéralement. Je ne savais plus comment fonctionner. Le choc du départ d’Ash était trop grand, je ne savais pas comment le gérer. Je passais des heures à fixer le plafond à attendre des larmes qui ne venaient pas. J’étais vide, sans vie. Comme anesthésié.

Un matin, Zola me trouva dans la cuisine à préparer un brunch. Je l’accueillis avec un sourire et mes œufs brouillés dont elle raffolait. Les jours raccourcissaient à vue d’œil, les journées étaient moins chargées. Plus de nichées de Macareux à observer, de plus en plus de pluie. La vie prenait un rythme plus lent. J’envisageais de faire des travaux de couture. Il me fallait des vêtements pour l’hiver. Je pourrais faire un super manteau pour ma Tahnee. Elle serait bien trop mignonne dans la neige ! Mes talents d’elfe de maison me permettaient de faire beaucoup avec peu. Et si j’améliorais la décoration de cet endroit ? Zola me proposait depuis un moment de me choisir un endroit où me faire une sorte de cocon. Un endroit rien qu’à moi. Ça serait formidable ! Je montrerais tout ça à Ash quand il rentrera.

Ce jour-là, le 9 septembre, jour de mon anniversaire, tout est parti en vrille. J’avais trente ans. J’aurais dû le fêter dans la joie et l’allégresse avec Ash et Zola. Mais non, je me retrouvais là comme un abruti de Brownie. Sur une île paumée. Sans lui car monsieur avait préféré jouer au preux chevalier et se sacrifier. On ne savait même pas si Kern pouvait franchir le voile. Comme d’habitude cette tête de mule avait tout décidé tout seul. Il s’était barré en un clin d’œil sans même me laisser le temps de comprendre. À peine une claque dans le dos et pouf il était parti. Dix huit années à vivre comme des frères et c’est tout ce dont j’avais eu le droit. J’étais vraiment qu’une sorte de quantité négligeable pour son altesse royale, le roi des égoïstes. Juste bon a laissé derrière lui. Après tout ce que nous avions traversé ! Je m’envolais et me dirigeais vers les pins. Je fonçais dans les branches et dégommais les pives les unes après les autres. Je les ramassais ensuite au sol et les fracassais sur les troncs. Je lui en voulais tellement. Il m’avait abandonné. Il ne valait pas mieux que mes parents ou les siens ! Je passais trois jours dans la forêt à laisser ma colère s’exprimer.

Zola me ramassa sur un lit d’épines de pin au crépuscule du troisième jour. Toute ma rage m’avait quitté. Je sanglotais dans ses bras. Les larmes m’avaient trouvé, enfin. Cette impression qu’une digue avait cédée. C’était comme si on me déchirait de l’intérieur. Son absence m’était intolérable. Je m’enlisais dans les ténèbres, le jour se confondait avec la nuit. Je restais prostré, assis devant la fenêtre, à fixer l’océan. Qu’allais je pouvoir faire sans lui ? Il avait été là pour moi, m’avait protégé, aidé, accepté, aimé. Il était ma famille. Ma gorge me brûlait à cause de tous ces sanglots. Mes yeux étaient gonflés et mes ailes en berne. J’avais fini par comprendre. Il ne reviendrait pas.

Pourquoi chercher son chemin lorsque l’on a perdu sa raison d’avancer ? Je n’étais rien ni personne sans lui. Je n’avais rien à offrir au monde. La vie ne serrait plus jamais la même. Ash était mon phare, mon point d’ancrage, mon repère. Il avait emporté avec lui, ma joie, mon cœur et mon âme. Le manque et la douleur qui m’assaillaient dès le réveil, me suivaient partout sur l’île. Je me résignais à ne rien connaître d’autre, à ne plus rire ou apprécier un coucher de soleil. Sans que je m’en rende compte, l’hiver annonçait ses prémices en envoyant ses éclaireurs. Le givre n’était pas uniquement présent autour de mon cœur.

Un soir de pleine lune, je me surprenais à penser à lui avec tendresse. Quand j’étais arrivé au camp de Kern et que Ash m’avait révélé sa nature de métamorphe, j’avais été fasciné. Puis il m’avait montré. Son lynx m’avait fait fondre. Il m’était apparu sous sa forme lupine un soir de pleine lune. Il ne m’en avait pas fallu plus pour faire un amalgame. J’étais persuadé qu’il était un loup garou et que la pleine lune le faisait se transformer. C’est la première fois que je l’entendais rire. Je l’entendais encore dans ma tête. À ce souvenir mon cœur se serra. Nous n’avions pas souvent eu l’occasion de rire ensemble. Je le regretterais toute ma vie. Mais il aurait voulu que je continue d’avancer, de profiter de cette chance. Il avait fait le choix de partir pour garantir mon avenir. Je me devais de respecter sa décision et l’honorer. Il n’était pas parti le sourire aux lèvres et la fleur au fusil. Il savait ce qu’il l’attendait de l’autre côté du voile. Je devais arrêter de me morfondre et célébrer son acte de bravoure. Ma vie continuait. Elle serait toujours un peu bancale, mais sa flamme vivrait au fond de moi.

Octobre était bien installé. Le vent glacial et la pluie qui aurait dû me maintenir au fond du trou, m’apparaissaient comme un renouveau. La pluie lavait mon âme et le vent séchait mes pleurs. Je me redressais avec l’impression de respirer vraiment depuis des semaines. Ma douleur était toujours là mais elle ne pesait plus si lourd. Une seule chose m’avait empêché de sombrer totalement. La présence de Zola. Elle avait veillé sur moi, parfois de loin, parfois du plus prêt possible. Elle ne m’avait forcé à rien, me laissant vivre tout ça à mon rythme. Comme si j’avais eu besoin de vivre toutes ces étapes par moi-même pour enfin me retrouver. Pas un instant elle ne m’avait abandonné, oblitérant sa propre peine pour m’aider avec la mienne, tout en continuant sa mission sur l’île, sans jamais flancher. Cette constatation me fit froncer les sourcils. Personne n’avait été là pour elle. Mais j’allais changer ça. Je serais sa personne comme elle était la mienne. Je partis à sa recherche. La nuit allait tomber. Elle devrait être rentrée. Je la trouvais dans le poulailler. Accroupie, de dos, elle ne m’entendit pas arriver.

- Ma belle, c’est ici que nous nous sommes rencontrés.

Un sanglot étouffé me répondit. Je m’accroupi à mon tour en me positionnant derrière elle et enroulais mon corps sur le sien.

- Lâches tout ma Zola. Je suis là. Je sais que j’ai été un fantôme ces dernières semaines mais désormais je suis là, pour toi.

Elle se retourna et s’effondra en larmes dans mes bras.

- Oh Orion ! Si tu savais comme ça a été dur. Ash est parti et toi tu n’étais plus vraiment là. C’était horrible de te voir dans cet état sans pouvoir t’aider. Je suis désolée.

- Mais tu as fait tout ce qu’il fallait ma jolie, ta présence constante c’est ce qui m’a permis de m’en sortir. C’est moi qui suis désolé, tu as dû tout gérer toute seule pendant que je morfondais.

Elle s’essuya les yeux et me caressa la joue avec douceur.

- Tu ne te morfondais pas Orion. Tu faisais ton deuil.

- Ash n’est pas mort.

- Et alors ? Son départ a été brutal et douloureux. Tu as perdu un être cher quoi que tu en dises.

- Alors c’était ça ? J’étais en deuil ?

- Je t’ai observé et tu en as traversé toutes les étapes oui. C’est important pour accepter et avancer ensuite.

- Mais toi ?

- Je ne connaissais pas Ash aussi bien que toi.

- Peu importe, tu as le droit d’être triste aussi Zola. Tu as laissé mon chagrin prendre toute la place.

- Tu en avais besoin.

- C’est vrai. Mais je me sens mieux désormais. Je ne te laisserais plus porter ma peine en plus de la tienne. Viens ma Zola, tu sais ce qu’on le dit. Seul on va plus vite. Mais ensemble on va plus loin.

Je ne remis debout. Je lui tendis la main, elle la saisit. Je pensais ce que je venais de lui dire. Avec sa main dans la mienne, l’avenir me semblait moins incertain.

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