Chapitre 11

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Zola

Orion était enfin de retour. Ces deux derniers mois avaient été longs. Il était là physiquement, mais son esprit était tourmenté et son cœur en miettes. J’étais heureuse de le retrouver. Ses grands yeux verts retrouvaient leur éclat. Je les avais cru éteint pour toujours. Mais sa nature profonde reprenait le dessus. Il était une force vive fait pour briller. Cependant cette période de deuil avait été nécessaire pour en arriver à accepter le départ de son ami. Pour ma part j’essayais de ne pas trop y penser. Même si nous nous étions rapprochés, je connaissais mal Ash. Nous avions tous les deux protégés nos cœurs. C’était sûrement mieux ainsi. Pour autant j’aurais préféré qu’il ne prenne pas une décision aussi radicale. Ne pas savoir ce qu’il advenait de lui me gardais éveillée de longues heures la nuit. Pour ne rien arranger, Orion faisait des cauchemars. J’étais totalement épuisée. Il dormait dans le salon mais je l’entendais gémir, crier et se débattre. Je souffrais pour lui. Cette nuit-là, n’y tenant plus, j’allais le chercher. Je le trouvais éveillé sur le canapé. Il avait repris sa taille humaine. Les coudes sur les genoux et le visage dans les mains il tremblait légèrement. Je me plaçais devant lui. Il leva le regard sur moi. Je me contentais de lui tendre la main. Il l’a saisit et je l’entrainais dans ma chambre.

- Tu dors mal, je dors mal. Autant dormir mal ensemble ok ?

Il me sourit et se laissa tomber sur le lit. Je m’y installais aussi.

- Zola ?

- Oui mon petit cœur ?

- C’est ok si je garde cette taille ?

- Bien sûr. Pourquoi ça ne serait pas ok ?

- Je ne voudrais pas que tu te sentes mal à l’aise d’avoir un type dans ton lit.

- On parle de toi Orion, pas d’un inconnu trouvé sur un obscur site de rencontre !

- Je sais bien, je voulais juste te dire que je suis correct. Pas de geste déplacé ou de frottement bizarre.

J’explosais de rire. Je me tournais vers lui et il en fit de même. Je lui caressais la joue. Il saisit ma main et y déposait un baiser.

- Ce que je veux dire ma jolie, c’est que je ne comporte comme ça avec personne. Je ne crains pas le contact physique. J’apprécie les câlins, mon dieu j’adore tes câlins ! Mais ça ne va pas plus loin. Je t’aime, tu fais partie de moi. Mais c’est un amour platonique. Je ne ressens pas d’attirance sexuelle, pour personne. Tu crois que quelque chose cloche chez moi ?

- Bien sûr que non voyons ! Il existe un terme pour te définir. Tu es asexuel. Rien ne cloche. Tout comme le fait que tu ne sois pas né dans le bon corps, ton orientation sexuelle fait partie intégrante de ce que tu es. Tu es né comme ça. C’est tout.

Orion m’attira dans ses bras.

- Comment tu fais pour toujours trouver les bons mots avec moi ?

- C’est mon super pouvoir !

- Je vais te fabriquer une cape alors !

- D’accord mais à paillettes hein ?

- Evidemment.

Trois jours plus tard, je trouvais, non pas une cape, mais un superbe châle à paillettes à côté de ma tasse de thé. Les talents d’Orion étaient sans bornes ! Avec l’hiver qui approchait, j’étais contente de pouvoir me pelotonner dedans. J’allais bientôt mettre le poulailler en hivernage, les poules ne survivraient pas aux températures extrêmes et à la neige. Elles seraient au chaud pour l’hiver. Cette saison m’annonçait des journées plus calmes. Les observations et les prélèvements seraient moins nombreux. Un gros ravitaillement aurait lieu dans les prochains jours. Plus important que les précédents car il contiendrait mes tenues techniques spéciales grand froid ainsi que celles de Tahnee, du carburant pour le groupe électrogène, un stock plus conséquent de vivres. En cas de tempêtes je devais pouvoir être en capacités optimales de survie. J’avais également commandé des livres, de la laine (sous la demande expresse de mon elfe de maison), des produits d’hygiènes et d’entretien, de la nourriture pour les poules et un stock de croquettes. Je ne savais pas trop comment aborder cette saison. Je savais que cela serait long, froid et sombre. L’Islande ne bénéficiait pas d’une nuit polaire complète, mais les jours seraient tout de même plus courts. Mais le plus dur c’était de me dire que nous n’affronterions pas tout ça tous les quatre. Ash m’avait dit que son Lynx et son loup prenaient leur pelage hivernal, ce que j’avais eu hâte de découvrir. Je devrais me contenter de l’imaginer. Heureusement je n’étais pas seule. Orion se réjouissait de l’arrivée imminente de la neige. Il faisait plaisir à voir. Il me racontait de plus en plus d’anecdotes sur sa vie de l’autre côté du voile. Mais comme d’habitude il ne rentrait pas dans les détails. Je sentais que certains aspects de sa vie passée lui faisaient honte. Mais je voulais comprendre.

Nous avions pris le rythme de dormir ensemble, trouvant du réconfort dans la présence de l’autre. C’était également pour nous l’occasion de longues discussions et de confidences. Comme si là, blottis l’un contre l’autre, avec la pénombre pour cacher notre embarras, nos cœurs s’ouvraient totalement. Un soir où je tenais sa main dans la mienne, j’osais aborder le sujet.

- J’aimerais que tu me racontes.

- Te raconter quoi ma Zola ?

- Ce qui vous a mené à vous enfuir Ash et toi.

Sa main se crispa et un long silence me répondit. Ne voulant pas brusquer mon ami, je patientais. J’avais l’impression d’entendre les rouages de son esprit et je devinais son indécision. Il relâcha un long soupir et se racla la gorge.

- Tu es certaine de vouloir entendre ça ? Ce n’est pas reluisant, je ne suis fier de rien et ce ne sont pas des bons souvenirs.

- Je ne te forcerais pas Orion. J’aimerais juste comprendre. Jusqu’ici je ne vous ai pas posé de questions sur tout ça et je me satisfaisais du peu d’informations que vous me fournissiez. Mais avec le départ précipité de Ash…Je ne sais pas, je sens que j’ai besoin de réponses.

- Je comprends et je vais essayer de te les fournir. Mais s’il te plait, essayes de ne pas trop nous juger et ne pas oublier que nous n’avions pas le choix.

- C’est promis mon petit cœur.

Je lui serrais la main pour lui apporter mon soutien. Il posa la tête sur mon épaule et son bras enroulé sur mon ventre, il entama son récit. Kern l’avait acheté à ses douze ans et transféré dans son camp. Il n’était alors qu’un jeune Brownie, vendu par ses parents et se débattant avec son identité. Les autres enfants du camp ont tout de suite vu en lui une cible. Sauf Ash. Le métamorphe l’avait immédiatement pris sous sa protection. Il était plus âgé, quinze ans, et était là depuis un moment. Il était craint et respecté. Kern approuvait ce duo et demanda à Ash de former Orion. Il m’avait déjà expliqué que Kern leur proposait de racheter leur liberté en échange de beaucoup d’argent. Ce dernier leur proposait de travailler pour lui. Evidemment rien de légal. Leurs capacités respectives firent de mes deux amis un duo redoutables de voleurs.

- Quand nous avons commencé, nous étions grisés par tout ça. La possibilité de sortir du camp, ces lieux insolites que nous découvrions et la perspective d’être libres un jour. Peu nous importais qui nous volions. On se sentait invincibles. Chaque nouveau larcin était un pas de plus vers notre liberté. Je pouvais m’introduire partout et Ash protégeait mes arrières. J’étais trop jeune pour comprendre qu’il n’hésitait pas à mettre sa vie en danger pour protéger la mienne. Il l’avait fait dès le premier jour et ne s’est jamais arrêté.

Orion respirait fort et son cœur s’emballait. Replonger dans ses souvenirs était éprouvant pour lui. Je lui caressais doucement la nuque dans un geste que j’espérais apaisant. Il m’expliqua qu’aux fil des années les missions devenaient plus complexes et plus dangereuses. Il y avait parfois des confrontations violentes. Ils volaient la plupart du temps de l’or, des joyaux et des sortilèges, afin que Kern engrange de plus en plus de pouvoir. Cette vie les brisait à petit feu. Ils ne s’étaient liés à personne d’autre, le taux de survie dans le camp étant très limité. Mon cœur se serrait. J’étais reconnaissante envers Ash d’avoir prit autant soin d’Orion. Dans leur malheur ils étaient là l’un pour l’autre.

- Nous avons passé dix-huit putains d’années à voler pour Kern. Il y a un an nous avons compris que notre liberté n’était qu’une chimère. Il devenait de plus en plus insatiable. Il lui en fallait toujours plus. Lors de notre dernière mission nous devions voler un vieux grimoire. Depuis quelques années nous avions pris l’habitude de prélevé un peu d’argent sur nos larcins. Une sorte de taxe pour nous rétribuer. Nous prenions également le temps de lire ou d’essayer de comprendre les différents sortilèges qui passaient entre nos mains. Cela nous donnait une idée sur les projets de Kern. Dans ce fameux grimoire nous avons trouvé le sort pour franchir le voile. Nous y avons vu une porte de sortie. Nous ne sommes pas rentré au camp cette nuit-là. Nos maigres possessions et notre petit butin sous le bras nous nous sommes enfuis. Sans un regard en arrière.

Ils avaient étudié le sortilège. Il devait être pratiqué à l’endroit même où ils souhaitaient « atterrir » de l’autre côté. Alors ils avaient décortiqué les cartes et débattus sur le meilleur choix possible pendant des semaines. Orion avait choisi cette île dès le départ. Ash refusait à chaque fois. Leur cavale dura quatre mois. Kern avait lancé ses mercenaires à leurs trousses. Un jour ceux-ci les débusquèrent. Ils durent se battre. Ash fut blessé. Gravement. Ses formes animales lui permettaient de guérir plus vite, mais il était mal en point. Lors de leurs recherches, ils avaient trouvé un sort leur permettant de se téléporter d’un endroit à un autre. Orion prit la décision. Il les envoya vers cette île dont l’appel résonnait jusqu’au fond de ses entrailles. Ash était dans une semi conscience, lui permettant une meilleure régénération. Une fois sur place, mon ami lança le sortilège qui les mèneraient à moi.

- J’avais une trouille bleue qu’il m’en veuille. Mais je savais au fond de moi que cet endroit serait notre seconde chance. Je pensais qu’il avait fini par l’admettre. Malheureusement ses craintes n’ont jamais été apaisées. Juste mise en sourdine.

- Il te manque ?

- À chaque instant.

Nous nous tûmes chacun perdus dans ses pensées. Sa respiration se ralenti, son corps se détendit. Comme si se confier à moi avait apaisé quelque chose en lui. Je lui caressais toujours la nuque.

- Ash et toi avez fait ce que vous pouviez pour vous en sortir. Tu n’as pas à avoir honte. Je ne vous jugerais jamais pour ça.

Il entrelaça nos mains sur mon ventre et se laissa glisser dans le sommeil. Pour ma part je restais un moment éveillé, essayant de m’imaginer mes deux amis plus jeunes, dans un monde dangereux. Je finis par m’endormir. Comme d’habitude, des yeux dorés me suivaient jusque dans mes rêves.

Une semaine plus tard les premiers flocons tombèrent sur Hjöx. Vivant dans une station météo je savais parfaitement qu’ils arrivaient, mais je fus quand même surprise. Nous nous sommes précipités dehors comme des enfants. Orion voletait en tous sens et Tahnee essayait d’attraper les flocons. Une vraie parenthèse enchantée. Deux semaines plus tard, la neige avait tout recouvert et nous nous étions quelque peu lassés. Je devais vérifier chaque jour qu’elle ne recouvrait pas les panneaux solaires, n’endommageait pas les capteurs. La saison polaire impliquait beaucoup de maintenance. Mon employeur était toujours très satisfait de mon travail. Orion me dégageait quotidiennement un passage vers le poulailler. Nos cocottes se portaient bien pour l’instant. L’île avait revêtue ses atours polaires. Le contraste entre le vert intense des pins et le blanc du paysage enneigé était saisissant. Le ciel était rarement dégagé, mais parfois un bout de ciel bleu faisait une apparition fugace. Les températures qui chutaient, les vents violents et les jours si peu lumineux nous rappelaient cependant, que plus au Nord, l’hiver régnait en maitre.

Pour parer à la rudesse du climat, Orion et moi cuisinions des plats réconfortants. Mon curry de pois chiches remporta tous les suffrages. Ses roulés à la cannelle me tirèrent presque des larmes. Il nous avait tricoté des bonnets assortis, oui même pour Tahnee. Elle s’était habituée aux petits chaussons et à la tenue prévue pour elle. Mon ami ailé s’était fabriqué des vêtements bien chaud à base de laine et de morceaux de tissus récupéré ici et là. Ils les avaient taillés aux mensurations de sa taille normale. Lorsqu’il grandissait pour prendre sa taille humaine, les vêtements grandissaient avec lui. Pratique ! Il m’avait demandé la permission de se faire un petit coin rien qu’à lui. Comme s’il avait besoin de demander la permission. J’attendais depuis un moment qu’il considère cet endroit comme sa maison. Se construire un cocon serait un grand pas dans ce sens. Il avait récupéré quatre caisses en bois et se fabriqua une sorte de duplex. Il possédait visiblement un gros talent d’architecte d’intérieur. Une guirlande de Noël, reçue lors du dernier ravitaillement, lui servait d’éclairage, des rideaux taillés dans une de mes chemises que j’avais abimé, lui offrait de l’intimité. L’intérieur était douillet et fonctionnel. Il s’était même fabriqué un hamac en laine. Ses différents talents manuels ne cessaient de m’émerveiller. Je m’empressais de le féliciter.

- Orion c’est incroyable ! D’où te sont venues toutes ces idées.

- Et bien disons que j’ai passé des années à fantasmer sur le jour où j’aurais enfin un endroit à moi. J’avais déjà tous les plans en tête. Ash n’en pouvait plus de m’entendre déblatérer sur le sujet !

Ses yeux étaient lumineux quand il parlait de son ami. Cependant je savais que, l’angoisse de ne pas savoir ce qu’il vivait de l’autre côté, le tenait souvent éveillé la nuit. Tout comme moi. Était-il retourné dans le camp de Kern ? Était-il prisonnier ? Mais surtout… Était-il en vie ?

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