Chapitre 13

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Ash

Je me réveillais en sursaut. Mon corps nu était heureusement recouvert par une couverture. L’odeur de Zola était partout autour de moi, ainsi que celle d’Orion. Ce qui expliquais mon changement de forme, je me sentais en sécurité ici, auprès d’eux. Leurs odeurs combinées agissaient comme un puissant réconfortant sur mon âme. J’inspirais profondément, m’enivrant de la fragrance vanillée qui enrobait l’oreiller. Un léger mouvement attira mon attention. La présence de mon frère contre mon flanc, acheva de me réveiller complétement. En tournant la tête, je découvris Zola, endormie sur un fauteuil prêt du lit. Mon cœur loupa un battement. Je profitais qu’elle ne puisse me voir pour étancher ma soif d’elle. Comme si j’avais passé des mois dans un désert et qu’elle était une source d’eau bienfaitrice. Ses cheveux, aux mèches argentées, étaient tout ébouriffés, un pli soucieux entre les sourcils, ses lèvres entrouvertes… Dieu que cette femme m’avait manqué. J’eu l’impression de respirer pleinement pour la première fois depuis, et bien, la dernière fois où mes yeux s’étaient posés sur elle. Un léger battement d’ailes me tira de ma contemplation. Orion me fixait sans rien dire. Une floppée d’émotions le traversèrent, la joie, le soulagement, la colère… Je savais que je méritais cette dernière. J’allais devoir fournir un tas d’explications. Mais pour l’instant j’étais surtout épuisé et j’avais mal partout. Il le comprit et me laissa tranquille, pour l’instant. Il s’envola hors de la chambre, me laissant seul avec elle. Elle commençait à se réveiller. Je retins mon souffle. Elle ouvrit les paupières et ses grands yeux noisette captèrent directement les miens. Le monde sembla arrêter sa course folle pendant un instant. J’avais désespérément besoin d’entendre sa voix alors je me lançais.

- Bonjour Zola.

- Bonjour Ash.

Elle avait la voix légèrement rauque dû au manque de sommeil. Elle se redressa et s’étira en gémissant. Ce son failli me faire gémir à mon tour. Je m’ébrouais, chassant les images inconvenantes qui venaient d’envahir mon esprit.

- Comment tu te sens ?

Je sursautais. Elle attendait ma réponse. Je ne pouvais clairement pas lui dire ce que je ressentais à l’instant présent. Je choisis une voie que j’espérais plus aisée.

- Crevé, courbaturé et un peu déboussolé.

- Voilà ce qu’il se passe quand on veut jouer les martyrs !

Aïe, je n’avais pas vu le coup venir. Les joues rouges de colère elle se leva d’un bond et sortie de la chambre. Je m’attendais à la colère d’Orion, mais pas à la sienne. Elle sortait si rarement de ses gonds. Un cliquetis sur le sol, suivi d’un couinement me fit perdre le fil de ma réflexion. Tahnee bondit sur le lit et vint se blottir contre moi en pleurant. Je la caressais affectueusement. Enfin une qui était ravie de me voir. Elle me léchait les mains.

- Bonjour ma toute belle, oui toi aussi tu m’as manqué !

Quand Zola entra de nouveau dans la chambre, Tahnee était vautrée sur moi, les quatre pattes en l’air pendant que je lui gratouillais le ventre. Elle s’attendrie à nous voir ainsi. Elle reprit sa place dans le fauteuil.

- Je suis désolée. Je n’aurais pas dû de sauter à la gorge comme ça.

- Ce n’est pas grave Zola.

- Si c’est grave, tu viens à peine de revenir, tu es mal en point et moi je t’agresse.

L’entrée de mon frère me dispensa de répondre. Comment dire à cette femme que je préférais sa colère à son indifférence ? Orion déposa un plateau bien garni sur mes genoux. L’odeur me fit saliver et mon ventre gronda de façon sonore. Leurs yeux étaient fixés sur moi. Je sentis qu’il valait mieux que j’avale quelque chose si je voulais éviter de nouvelles foudres. Je me saisis du bol d’œufs brouillés et commençait à manger. Orion tendit une tasse fumante à Zola. Celle-ci la serra dans ses mains et se laissa aller contre le dossier en soupirant. De grands cernes marquait son visage. Elle semblait épuisée. Orion lui me regardait manger, ses bras croisés fermement sur sa poitrine. Je me forçais à finir mon plat, attrapais une tasse et repoussais le plateau. L’atmosphère était tendue, électrique même. Je me concentrais sur ma tasse, ne sachant que dire. Je savais que je devais tout leur raconter, mais par où commencer ? Jusqu’à il y a quelques heures, je pensais ne jamais les revoir. Un long soupir et la voix douce d’Orion brisèrent le silence.

- Tu devrais aller te laver. Je t’ai laissé des affaires dans la salle de bain. Prends ton temps et viens nous retrouver quand tu te sentiras prêt.

Il tendit la main à Zola pour l’aider à se relever et ils sortirent. Je restais encore un moment à ruminer puis je m’extirpais du lit. Je serrais les dents en posant mon pied gauche par terre. Mais je refusais d’y penser maintenant. Une fois sous la douche, je posais mon front et mes mains contre la paroi et me laissait engourdir par la chaleur de l’eau. Puis je me lavais, deux fois, espérant être un homme neuf en sortant de cette salle de bain. Mais la crasse qui flottait dans mon crâne ne partirait pas aussi facilement. Je coupais l’eau et essorait mes cheveux emmêlés. Je trouvais une serviette propre qui m’attendait, suspendue au même crochet, comme si je n’étais jamais partie. Et pourtant plus de quatre longs mois s’étaient écoulés.

En arrivant dans la cuisine, je les trouvais adossés au plan de travail. Orion s’approcha de moi prudemment.

- Je sais que tu préfères éviter mais là je crois que tu en as autant besoin que moi.

Et sans plus attendre il me prit dans ses longs bras. M’attendant à tout sauf à ça, je restais figé un instant. Puis je posais mon front sur son épaule et posait mes mains sur le bas de son dos. Il avait raison. J’avais besoin de ça. J’avais eu si peur qu’il me rejette. Je sentais mon ami trembler contre moi. Le mal que je lui avais fait en partant serait long à guérir. En relevant légèrement la tête je tombais dans son regard à elle. Elle était émue de nous voir ainsi. Cette femme faisait preuve d’une empathie hors normes. Tout comme Orion. Je les avais blessés, tous les deux. Je ne méritais pas leur compassion. Orion s’éloigna, conscient de mes limites. Il prit quand même le temps de murmurer à mon oreille.

- Tu m’as horriblement manqué mon frère, ne refait plus jamais ça.

J’acquiesçais doucement. Puis je leur demandais de s’asseoir. Je m’installais en face d’eux.

- Je ne sais pas trop par où commencer. Mais je tenais à vous dire que je ne suis pas parti de gaité de cœur. Mais j’ai eu raison de le faire.

Orion souleva un sourcil et posa ses coudes sur la table, attentif. Zola se tordait les mains et évitait de me regarder. Je déroulais alors mon récit. Comment j’avais espionné Kern, comment j’avais découvert qu’il préparait une invasion de ce côté du voile. Il avait trouvé une réplique du sort que nous avions volé. Il ne voulait pas seulement se venger de nous, il voulait conquérir. Mais ses préparatifs ne se passaient pas bien. Des tensions naissaient dans ses rangs. Je m’en étais servi, lançant des rumeurs, dévoilant la vérité sur leurs libertés qu’ils pensaient rembourser. J’étais également parti en quête de Drusila, la némésis de Kern. Elle accumulait elle aussi du pouvoir, mais pas pour son propre profit. Elle était la protectrice de son peuple. Là où Kern ne voyait que de la chair à canon sacrifiable, elle voyait l’avenir. Je demandais audience auprès d’elle et lui racontait tout, sauf le sortilège. Mais tous les vilains secrets, les planques et les projets de Kern lui furent servies sur un plateau. Elle me proposa de me joindre à elle pour assister à la chute de Kern. Ce que je m’empressais d’accepter.

- Attends, attends. Tu as réussi à approcher Drusila aussi facilement que ça ?

- Je n’ai pas dit que ça avait été facile. Il n’a pas été simple d’obtenir sa confiance. J’ai passé quelques jours dans ses cachots avant qu’elle ne se décide à me recevoir.

Je sentis mes deux amis se raidirent face à moi. Orion serrait les poings et Zola ne put retenir un petit cri d’horreur. Je passais sous silence les trop nombreux jours sans manger, dans le froid, à espionner le camp.

- Le plan de Drusila était simple. Elle ne comptait pas attaquer Kern frontalement. Contrairement à lui, elle tenait à la vie de chaque personne sous ses ordres. Nous avons donc intensifié ce que j’avais instigué. En quelques semaines le chaos régnait dans le camp. L’insurrection était désormais impossible à endiguer. Drusila proposa une alliance aux rebelles. Ce qu’ils acceptèrent. Je ne connais pas les termes de cette alliance et je m’en fiche.

- Et Kern dans tout ça ?

- Le lâche s’est enfuit juste avant qu’elle n’entre triomphante dans le camp !

- Donc il court toujours ? Quel enfoiré !

Orion s’était levé et faisait les cents pas. Il passait ses mains nerveusement dans ses boucles.

- Tu crois vraiment que je l’aurais laissé s’en sortir si facilement ? Que j’aurais tout sacrifié pour le laisser s’enfuir ?

Il s’arrêta brusquement et me fixa. Zola semblait sur le point de s’effondrer.

- Je l’ai traqué. Quand je l’ai retrouvé, nous nous sommes battus.

- Et ?

- Je l’ai tué.

Un silence de plomb tomba sur la cuisine. Je pris ma tête entre mes mains, incapable de les regarder, eux, ces deux êtres si purs et emplis de bonté. La voix de Zola me transperça de part en part.

- Une bonne chose de faite !

Je relevais la tête brusquement vers elle, choqué. Elle avait plaqué ses deux mains sur sa bouche comme pour rattraper ses mots. Son visage si expressif était cramoisi. Orion était aussi interloqué que moi. Elle se leva, les bras en l’air, et arpenta elle aussi la cuisine.

- Merde, heu attendez, oh la la ! Je ne cautionne pas le meurtre, mais j’imagine que tu n’as pas eu le choix. Je me trompe ?

Le regard plein d’espoir qu’elle me lança, alluma une petite flamme en moi. C’est comme si elle ne voyait pas le mal en moi. Alors, m’accrochant à cette flamme vacillante, je terminais mon histoire.

- Quand je l’ai trouvé, il se terrait dans une grotte. Même ses plus fidèles l’avait abandonné. Il était vraiment pitoyable. Il suintait la peur par tous les pores de sa peau. J’étais sous mon loup. Quand il m’a vu, il a commencé à me balancer toutes sortes de sorts. Ils ricochaient dans tous les sens dans cette foutue grotte. Certains m’ont blessé. Le dernier m’a atteint lourdement à la patte arrière. Je n’arrivais pas à me relever. Il me toisait en riant, me hurlant que jusqu’au bout j’aurais été une déception pour tout le monde, qu’une fois qu’il m’aurait réglé mon compte, il viendrait s’occuper de toi Orion. Il avait une boule de feu à la main. Je n’ai pas réfléchi. J’ai bondi sur lui. Surpris par mon regain d’énergie, il a trébuché sur une pierre et est tombé en arrière. Sa boule de feu a enflammé sa tunique. J’ai juste eu le temps de rouler sur le côté. Son corps s’est embrasé si vite…

Le souffle erratique je ne voyais plus ce qui m’entourais. J’étais de nouveau dans cette grotte, l’odeur de la chair carbonisée emplissait mes poumons, les cris de douleurs résonnaient à mes oreilles. Puis le silence. Mortel. Infernal. J’avais appris le sort de téléportation par cœur. Je reprenais brièvement ma forme humaine et le jetais. J’arrivais sur l’île mais toujours de mon côté du voile. Le second sort me demanda plus d’effort, ayant perdu beaucoup de sang. Mais je parvins à créer la déchirure. Mon lynx s’imposa à moi, ma régénération devait commencer au plus vite. Mais je voulais les trouver d’abord. Ils étaient sur la falaise, j’avançais péniblement vers eux dans cette neige abondante.

Une main douce se posa sur ma nuque. Une voix tout aussi douce se glissa dans mon oreille.

- Respire Ash. Tu es avec nous, en sécurité. Regarde-moi.

Je m’accrochais désespérément au timbre chaud de cette voix qui semblait me tirer des ténèbres. Je levais les yeux vers elle. Elle inspirait et expirait calmement sans jamais me quitter des yeux. Sa main toujours sur ma nuque. Je calais ma respiration sur la sienne. L’angoisse s’échappait doucement. Ma vue redevint nette, mon cœur s’apaisa. Zola retira sa main, mais je m’en saisi instinctivement. Elle me laissa faire, comprenant mon besoin de m’ancrer à la réalité. Orion lui lança un regard plein de gratitude. Puis il s’approcha de moi, doucement. Il s’agenouilla devant moi.

- Tu ne l’as pas tué mon frère. Ne t’inflige pas ce genre de souffrance inutile. Le sort à décidé pour lui. Tu étais prêt à tout sacrifier, y compris ta vie, pour me protéger. Je ne suis pas certain de mériter tout ça, mais je saurais m’en montrer digne. Je te le promets. Merci.

Il posa sa joue sur mon genou et laissa libre cour à ses larmes. Nous restâmes ainsi un moment. Moi qui m’accrochais à Zola et Orion qui pleurait à mes pieds. Elle fut la première à bouger. Elle retira doucement sa main de la mienne.

- Je vous laisse tous les deux, je dois aller travailler.

Je la regardais se préparer. Avant d’entrer dans le sas, elle se retourna, me fit un sourire et me dit la phrase que j’avais le plus besoin d’entendre à ce moment précis.

- Bienvenue à la maison Ash.

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