Chapitre 14

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Zola

Les jours qui suivirent furent compliqué pour tout le monde. Orion et moi oscillions entre la joie et l’inquiétude. Ash était revenu, mais à quel prix ? Il se renfermait beaucoup sur lui-même, et passait la majorité de son temps sous sa forme féline. Je savais que c’était plus facile pour lui ainsi, que les souvenirs étaient moins bruyants. J’avais insisté pour qu’il garde ma chambre, le temps pour lui de reprendre des forces. Je ne savais pas trop comment me comporter avec lui. Je les laissais souvent seuls tous les deux, estimant qu’ils devaient prendre le temps de se retrouver. De plus, tous ces sentiments ambivalents à l’égard de Ash, me mettaient dans un état de confusion totale. Le travail étant moins conséquent en cette saison, je ne pouvais pas trouver autant d’excuses que je le souhaitais pour fuir comme une lâche. Ça en devenait ridicule. Je crevais d’envie d’aller vers lui, de le soutenir. Et en même temps j’étais complétement paniquée.

Ce matin-là, la nuit semblait ne pas vouloir se lever. Nous avions atteint le solstice d’hiver. Hjöx était proche du cercle polaire, mais passez pour bénéficier d’une nuit polaire totale. Nous avions droit à quelques heures d’une luminosité toute relative. Cela pesait sur nos morals déjà pas au top. Je décidais de remédier à ça. Mon employeur m’avait fourni une lampe de luminothérapie pour pallier au manque de lumière durant l’hiver. Il était grand temps de s’en servir. Je trouvais mes deux acolytes sur le canapé. Pour une fois Ash était sous sa forme humaine. Je prie ça pour un bon signe. J’installais la lampe sur la table basse face à nous et j’expliquais mon plan d’action.

- Bon, comme vous avez dû le remarquer, nous sommes partis pour vivre dans l’obscurité pendant des semaines. Je ne sais pas vous mais moi ça me plombe le moral !

Orion acquiesçait vivement, heureux que j’apporte un nouveau sujet de réflexion. Lui aussi semblait marcher sur des œufs ces derniers jours.

- Ne m’en parle pas ! Je rêve de soleil et de grand air. Je n’en peux plus de la neige, du vent et du gris.

- Alors pour la neige et le vent je ne peux rien faire. Mais pour le manque de soleil cette lampe va nous aider. Elle est spécialement conçue pour recréer la lumière du jour. Une petite séance ça vous tente ?

- Carrément oui ! Viens t’asseoir avec nous ma jolie.

Il se décala, ne me laissant d’autre choix que de me mettre entre eux deux. J’allumais la lampe grâce à la télécommande et choisis un mode pas trop violent pour débuter. Orion soupira d’aise et se laissa aller contre le dossier du canapé.

- Merci pour ce petit soleil portatif Zola. J’ai l’impression de revivre !

Pour ma part je me sentais un peu oppressée. Le canapé n’était pas très large et j’étais plus que consciente de la présence d’Ash à mes côtés. Nos genoux se frôlaient. Le temps s’écoula doucement. J’essayais de me concentrer sur la lumière, plutôt que sur mon voisin. Au bout d’un moment, un doux ronflement nous indiqua que le Brownie s’était assoupi. Nos rires silencieux firent tressauter nos épaules. Je failli ne pas entendre le chuchotement de Ash.

- Est-ce-que tu m’évites Zola ?

- Hein ? Non ! Enfin… si peut être un peu.

- Pourquoi ?

- Je ne veux pas m’imposer. Je ne sais pas ce dont tu as besoin. Et j’ai peur.

- Peur ? De moi ?

- Bien sûr que non !

- Alors de quoi as-tu peur ?

Je me penchais légèrement vers lui. Nos têtes se touchaient presque.

- J’ai peur de dire ou faire quelque chose de travers. Je peux être une vraie catastrophe ambulante. Et tu n’as pas besoin de ça. J’aimerais être là pour toi, mais j’ai peur de tout faire foirer. Je… je ne sais pas comment t’aider.

- Donc tu t’es dit que m’éviter c’était la meilleure chose à faire ?

- Je n’ai jamais prétendue que mon raisonnement était censé !

J’osais un regard vers lui. Un léger sourire ourlait ses lèvres. De discrets papillons se mirent à battre des ailes dans ma poitrine. Ce qui ne m’aidait en rien…

- Je préfèrerais que tu restes toi-même Zola. J’ai mis du temps à t’apprécier, j’aimerais autant ne pas avoir à tout recommencer.

Ok, les papillons n’étaient plus du tout discrets là, j’étais à deux doigts de m’envoler. Il m’appréciait. Il l’avait dit.

- Moi qui pensais que tu me tolérais à peine…

- Détrompe-toi.

- C’est bon à savoir. Être moi-même alors ?

- S’il te plaît oui.

- Très bien. Est-ce qu’on peut parler de tes cheveux ?

Sa main se porta instinctivement à sa mèche blanche, comme pour la cacher. Je m’en voulu d’avoir été aussi directe.

- Je parle du fait que c’est un vrai sac de nœud Ash !

- Ah, ça… Oui. Disons qu’ils n’ont pas vraiment été ma priorité ses derniers mois…

- J’imagine. Tu me laisserais t’aider ?

- Ne t’embête pas. Je pensais tout couper.

- Surtout pas !

J’avais presque hurlé. Il paru surpris. Il fallait à tout prix que je l’empêche de sacrifier sa magnifique chevelure. Longs, souples et soyeux, ses cheveux étaient somptueux. Ils lui arrivaient désormais au milieu du dos. Un homme au cheveux longs, c’était clairement mon gros point faible. Ash se tortilla, mal à l’aise. Il fallait que j’arrête de reluquer sa crinière comme ça !

- Par pitié, ils sont magnifiques. Ils ont juste besoin d’un bon démêlage. Viens avec moi.

Se faisant, je me levais et l’entrainais avec moi dans la chambre. Je le fis s’asseoir sur le lit et m’éclipsais dans la salle de bain. À mon retour je fus soulagée de constater qu’il n’avait pas bougé. Il m’épiait, mi-curieux, mi-inquiet. Je lui montrais alors ce que j’avais dans les mains.

- Un spray démêlant pour les jours de flemme, ma brosse et un miroir. Tu permets ?

Il acquiesça doucement, ne me quittant pas des yeux. Enhardie par son accord, je m’approchais de lui et commençais à lui appliquer du spray sur l’ensemble de sa chevelure. Je prenais ensuite ma brosse et attaquait le démêlage, mèche par mèche. Délicatement.

- Tu me dis si je te fais mal surtout.

- Hum hum.

Les yeux fermés, il semblait apprécier. Je me tracassais depuis des jours pour trouver le moyen de l’aider, et c’est finalement mon obsession pour ses cheveux et mon manque de tact qui avaient décoincé la situation. Tout comme le jour où il m’avait massé le dos, cette séance de démêlage était d’une intimité folle. Il s’en remettait à moi, comme j’avais pu le faire avec lui ce jour-là. Cette confiance implicite me bouleversa. Je prenais mon temps, m’appliquant mèche après mèche. Jusqu’à arriver à l’argentée. Je la pris délicatement entre mes doigts et y passais la brosse. J’étais désormais très près de lui. J’avais posé la brosse et me contentais désormais de faire glisser cette mèche qu’il abhorrait entre mes doigts, complétement fascinée. Il ouvrit les yeux.

- Qu’est ce que tu fais Zola ?

- J’admire ces filaments d’argent.

- Je les déteste.

- Je sais.

Il posa son regard sur mes propres cheveux. Il semblait vouloir comprendre.

- Je ne suis pas née avec. J’ai eu des cheveux blancs très tôt. J’étais encore adolescente. J’ai passé presque vingt ans à me les teindre, les cacher. Un jour, il y a deux ou trois ans j’ai dit stop. J’ai tout rasé et décidé d’assumer pleinement. Je ne regrette absolument pas.

- J’aimerais avoir ta force de caractère.

- Je n’appellerais pas ça de la force de caractère. Plutôt une planche de salut. À l’époque c’était la seule chose sur laquelle j’avais une emprise, que je pouvais contrôler.

- Je n’ai aucun contrôle sur mes tâches. Je ne peux pas les camoufler, juste les subir.

Ne voulant pas risquer de le braquer en allant trop loin ou de me mêler de ce qui ne me regardais pas, je repris mes affaires. Le sujet était trop sensible et lui encore trop fragile. Il communiquait et s’ouvrait petit à petit, je pris cela comme une petite victoire.

- Mais par pitié Ash, ne coupe pas tes cheveux à cause des nœuds. Sérieux utilises mon après shampoing et ma brosse ok ?

- J’y penserais. Merci.

Je lui fis un clin d’œil et sortais de la pièce. Un clin d’œil ? Sérieusement ? Et pourquoi pas un check du poing tant qu’on y est ? Je lâchais un cri de frustration en arrivant dans la cuisine.

- Bah alors ma jolie ? Les cheveux de notre grognon préféré t’ont donné du fil à retordre ?

- Humpf même pas, c’est plutôt mes réactions en sa présence qui me rendent chèvre.

- Je vois.

- Tu ne vois rien du tout.

- Hum Hum…

Le voilà qui recommençait avec son air narquois. Je lui tirais la langue et il éclata de rire. J’attrapais un torchon et me mis à le pourchasser autours de la table pour lui fouetter les fesses. Visiblement la maturité s’était faite la malle… Mais quel pied infini de pouvoir se montrer aussi spontanée sans se faire juger ! Evidemment le Brownie étant plus vif et doué que moi, je finis par me retrouver étalée sur le sol, avec lui à califourchon sur moi en train de me chatouiller sans pitié. Tahnee comme toujours en profita pour venir me lécher les oreilles. Je hurlais de rire au point d’en pleurer. Orion s’écroula à mon côté, rouge et pleurant de rire aussi. C’est débraillés, les membres entremêlés, transpirants et gloussants que Ash nous trouva. Il sembla heureux de nous voir ainsi. Mais aussitôt après une ombre passa sur son visage.

- Je…Je vais faire un tour.

- Quoi ? Non, il fait nuit attends…

Mais il s’était déjà précipité dehors. Je fus plus prompte à me relever et me lançais à sa suite. Je pris quand même le temps d’enfiler un manteau et un bonnet. Le vent soufflait en grosses bourrasques, faisant voler la neige tombée plus tôt dans la journée. Les nuages masquaient la lune. La visibilité était quasi nulle. Je me dirigeais d’instinct vers la forêt de pins. C’est là que je le trouvais, aux pieds de son arbre. Je me ruais vers lui.

- Ash ! Qu’est ce qui te prends bon sang ?

- Rentre Zola, il fait trop froid pour rester dehors.

- Justement ! Viens avec moi.

- Non je vais rester un peu.

- Alors je reste avec toi.

- Quoi ? Non, tu rentres !

- Je n’ai pas d’ordres à recevoir de toi !

Il s’approcha de moi, me dominant de sa hauteur, fulminant. Tant mieux. Je préférais sa colère à son calme inquiétant. Sa rage alimentait la mienne. Il n’avait pas de manteau. Merde il allait geler. Il tremblait déjà. Je ne savais pas si c’était de rage ou de froid. Sans plus réfléchir, je saisi ses mains et commençais à les frictionner, puis je passais à ses bras.

- Mais qu’est-ce que tu fabriques ?

- Je t’empêche de perdre un membre imbécile !

- Pourquoi tu fais toujours ça ?

- Faire quoi ?

- Me rattraper alors que j’ai juste envie de tomber ?

Je le fixais, interloquée, la poitrine douloureuse. Je le relâchais et reculais d’un pas. Je criais pour que le vent ne couvre pas ma voix.

- Parce que moi aussi je t’apprécie idiot !

Orion arriva au même moment, il avait apporté de quoi couvrir son ami. Ash nous suivi sans discuter. Nous avancions difficilement. Le vent ayant formé des congères. Une fois à l’intérieur, nous nous ruèrent sur les plaids. Je claquais des dents, Ash faisait tout son possible pour essayer de ne pas trembler. Son frère lui jeta un regard noir.

- C’est quoi ton problème putain ?

- Rien, laisse tomber.

- Sûrement pas ! Tu m’expliques et maintenant !

- C’est mieux si je m’en vais, je n’ai pas ma place ici.

Il avait murmuré cette dernière phrase, les yeux rivés au sol. Je n’osais intervenir. Orion laissa tomber son plaid.

- Mieux pour qui ? Pour nous ? Pour toi ?

- Vous avez trouvé votre équilibre sans moi. Vous êtes heureux. Il est hors de question que je vienne tout gâcher.

- Tu te fous de moi ? Tu sais pendant combien de temps nous avons à peine osé respirer après ton départ ? Combien de semaines j’ai passé à me morfondre ? Combien de fois j’ai entendu Zola pleurer dans le poulailler ? Ton départ nous a bousillé. Ce soir c’étais la première fois que l’on s’amusait vraiment depuis des mois. Et tu sais pourquoi ? Parce que tu nous es revenu. On se sent à nouveau complet. Alors ne viens pas me dire que tu n’as pas ta place ici. Notre équilibre c’est toi. Tout comme nous sommes le tien. Laisse-nous être là pour toi Ash. Arrête de nous repousser.

Je m’approchais silencieusement, et posais mes mains sur chacune de leur. Je les serrais doucement.

- Ash, Orion a raison. Sans toi, nous sommes bancales. Nous nous sommes appuyés l’un sur l’autre en ton absence, par nécessité, par instinct de survie. Mais j’en ai marre de survivre. Je veux vivre. Et j’ai besoin de toi pour ça.

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