Évanescence 10
L'après-midi pèse sur ses épaules. Clayd, debout près d'une fenêtre fissurée, fixe un point invisible du mur. Il n'a pas dormi depuis des heures. Pas vraiment en tout cas. Le sommeil est devenu une idée abstraite, une pause inaccessible. Il soupire longuement, enfile sa veste, le regard éteint, un vide au fond de son âme.
En passant par le salon, il traverse sans un mot le groupe rassemblé : Arnaud, Sophy, Marks, Damians et Lucie sont assis autour d'une grande table, observant une carte tactique. Ils discutent de leur future mission dans le District-3.
— Où tu vas Clayd ? dit Sophy, étonnée.
Clayd ne se retourne pas. Il ouvre la porte.
— Prendre l'air, murmure-t-il avec une neutralité troublante.
Lucie s'avance, conservant une distance.
— Je viens avec toi si tu veux ?
Arnaud, jusque-là silencieux, pose une main sur son épaule pour lui faire comprendre que ce n'est pas le moment. Lucie comprend immédiatement. Elle doit le laisser seul.
Le groupe regarde Clayd partir sans un mot.
Dehors, Clayd est devant sa voiture. Il pose la main sur la portière, puis décide finalement de marcher seul dans le district. Il observe les rues autour de lui, un profond sentiment de nostalgie lui glace le sang. Il revoit son ancienne vie à Lysium, main dans la main avec son fils, avant la chute de tout ce qu'il avait bâti avec sa femme.
Un instant, il remarque une petite famille à coté d'une terrasse, assise sur un banc, contemplant le ciel clair de la mégapole. Clayd reste là, mains dans les poches, fixant un passé qu'il aurait voulu préserver. Un petit sourire discret naît au coin de ses lèvres.
En reprenant sa marche, il comprend que la vie ici est loin d'être parfaite. Les souvenirs douloureux le marquent encore profondément. Il sait que cette paix est une façade. Ce qu'il a vécu n'est pas un hasard, et il se doit de comprendre.
Clayd s'assoit sur un banc près d'un petit parc, observant Oculus City. Il tend sa main droite crispée, fixant sa bague de mariage, symbole d'un serment éternel.
— Plus le temps passe... plus elle est rouillée, murmure-t-il.
Il passe sa main gauche sur l'anneau, essayant de retirer la rouille.
— Je... je sais pas ce que je deviens, Julia...
Une brise fraîche traverse le parc. Ses cheveux bougent au rythme du vent. Il lève les yeux vers le ciel.
— C'était toi, ce message tout à l'heure, Julia ?
Il active sa montre.
— IA, j'aimerais que tu remettes le message de tout à l'heure s'il te plaît.
Un bourdonnement étrange retentit.
— Je crains que ce soit pas possible, Monsieur.
— Pour quelle raison ?
— Je ne vois pas de quoi vous parlez, Monsieur.
— Ce n'est pas grave... Oublie.
Clayd se lève, repart vers un petit quartier du District-2 proche du centre-ville. Il cherche un endroit pour manger. Après quelques mètres, il aperçoit un fast-food qui ressemble étrangement à un bar. L'ambiance y semble chaleureuse. Il entre.
À l'intérieur, quelques personnes discutent calmement. Il s'approche du comptoir. Un hologramme IA l'interpelle.
— Bienvenue Monsieur, puis-je faire quelque chose pour vous ?
— J'aimerais manger quelque chose. Vous auriez une table pour une personne, s'il vous plaît ?
— Bien évidemment. J'aurais besoin de votre Carte d'identité numérique, posez-la sur la borne.
Clayd sort la carte de sa poche et la pose.
— Merci. Votre table est la Clos-5, Bon repas à vous.
Clayd s'installe seul, dos à la cloison, face à une grande baie vitrée. Il observe la rue, les passants, les arbres artificiels, les voitures automatiques, les vitrines éclairées par les néons. Un flash étrange. Sa femme est là, en face, souriante.
À sa gauche, son fils pose sa petite main sur la sienne. Mais Clayd ne ressent rien. Il reste figé, conscient que ce n'est pas réel.
Le bruit ambiant l'engloutit. La télévision diffuse les informations d'Oculus City.
Une voix douce le ramène à la réalité.
— Excusez-moi... tout va bien Monsieur ?
Clayd sursaute. Une jeune fille en tenue de service se tient près de lui. Il ne l'a pas entendue arriver.
— Non. C'est rien, murmure-t-il.
Elle s'éloigne sans un mot.Clayd, déçu de son propre comportement, ressent une gêne. Il se lève, prêt à partir. Mais elle revient avec une petite coupe de glace à la main.
— Tenez. Cadeau de la maison.
Clayd reste sur la défensive.
— C'est pas nécessaire.
— C'est juste pour vous remonter le moral... je vois bien que vous êtes pas d'ici... Et que vous êtes pas dans votre forme. Votre visage ne trompe pas.
Clayd, troublé par sa sincérité, accepte.
— Merci.
La serveuse s'assoit en face de lui.
— J'suis crevée... Trop de bruit, trop de clients. Mais j'aime bien donner un peu de bonne humeur quand je peux. Ça donne envie d'avancer, malgré les soucis.
Une voix forte crie depuis le comptoir :
— HOO ! REVIENS BERTILLE, ON A 2 COMMANDES !
— J'ARRIVE PATRONNE !
Avant de partir, elle sort une petite carte de sa poche et la dépose sur la table. Dessus : un simple numéro à 4 chiffres.
— C'est un numéro sécurité. Tu peux m'écrire ou m'appeler si t'as besoin de parler... vraiment parler, murmure Bertille, en le regardant droit dans les yeux.
Clayd fixe la carte.
— Je...
Trop tard. Elle disparaît derrière la cuisine.
14h49.
Clayd marche lentement sur le chemin du retour. Il tient la carte dans sa main, comme un objet fragile. Il sait que chaque communication est risquée en 2076. La moindre trace est enregistrée. Mais ce numéro... ce format... il est identique à celui que Sophy a utilisé sur l'autoroute. Il le sent. Cette serveuse est différente.
Il ne sait pas encore pourquoi... mais une voix en lui hurle de garder cette carte à tout prix.
Clayd rentre à l'appartement. Mais personne n'est là. Il est seul.
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