Évanescence 11

6 minutes de lecture

17h01.


Clayd se réveille d'une courte sieste, alarmé par la vibration de son téléphone. Un appel inconnu. Numéro à 4 chiffres : 1379. Il décroche, la voix encore embuée.

— Mh... Allô ?

Une voix féminine, douce, familière.

— Bonjour... C'est Bertille. La serveuse du fast-food. Tu t'en souviens ? J'aimerais te voir à un banc près du parc, pour discuter un peu en tête-à-tête. Cela te convient ?

Clayd reste méfiant, un pincement de doute le submerge.

— Écoute... Je suis pas intéressé... Surtout pas par une gamine.

— Détrompe-toi, je suis pas là pour ça... Je... Je veux juste parler... J'ai besoin de parler à quelqu'un... Surtout de l'extérieur... Ce serait bien, seulement quelques petites minutes. Tu peux partir quand tu veux.

Clayd soupire, hésitant à cette proposition, mais il finit par répondre.

— Mh... D'accord... Mais je reste pas longtemps.

— Oh ?! MERCI ! Mais n'oublie absolument pas ton passeport ! Les autorités sont brutales ces temps-ci...

Il marche dans le District-2 jusqu'à un petit parc en hauteur. En contrebas, le District-1 se dessine, froidement géométrique, sous un ciel blême. Les méga-tours, le Q.G. du Lys Brisé, les néons qui dansent sur le verre. Il aperçoit une silhouette assise seule sur un banc... De dos. Une sensation familière monte en lui, un picotement étrange, comme un déjà-vu qu'il ne peut expliquer... Il s'avance, les pas lents...

— T'es pas obligé de rester debout... Le banc m'appartient pas. Je ne vais pas te manger, dit-elle avec un ton d'amusement.

Clayd s'assoit à distance d'elle, une main sur le pistolet, prêt à réagir à tout moment à un éventuel danger.

— Pourquoi ce rendez-vous ? Tu me connais pas.

Elle tourne légèrement la tête, un petit sourire triste s'affiche sur son visage.

— Pour être honnête, j'aime faire des rencontres, car ma vie est pas très intéressante... C'est vachement culotté pour une gamine de 19 ans... Oculus City, c'est ma grande prison depuis ma banale naissance.

Elle regarde l'horizon, des yeux fatigués qui trahissent la joie de vivre que représente son visage d'ange.

— Je vais paraître lourde pour toi, mais je vivais avec mes parents et mon petit frère, Ezekil. Il était tombé malheureusement gravement malade. Un truc rare que peu de personnes pouvaient soigner... Son corps l'abandonnait de plus en plus chaque jour qui passait...

Clayd l'écoute intensément. Il sent qu'elle sonde ses réactions, qu'elle... Étrangement, le jauge.

— En 2069, quand la guerre a éclaté... j'étais encore une simple petite ado perdue dans mes vastes pensées... Dans le District-4, j'avais des amis très gentils et déterminés... On jouait régulièrement à se croire invincibles... Voire même immortels... C'était plutôt amusant. Mais très vite... des gens se sont mis à hurler la mort... Des visages ont craqué complètement... Certains ont disparu... D'autres sont affreusement morts sans aucune explication claire... Mes amis sont morts suite à la rébellion qui a éclaté... Mes parents ont été trahis par ceux qu'ils appelaient "camarades", par ces fils de putes de traîtres...

Elle baisse la tête. Une haine emplit ses yeux.

— Et puis...

Clayd sent sa gorge se nouer. Il ressent au fond de lui la colère de Bertille.

— J'en suis désolé...

Bertille lève les mains.

— Ah ! T'as pas à t'excuser, loin de là. La guerre ne pardonne personne dans tous les cas...

Clayd tourne le regard vers elle, et il murmure d'une voix calme et compatissante.

— Et ton petit frère, dans cette histoire ?

Elle lève les yeux, surprise par la question.

— Enfin une vraie question de ta part, dit-elle en rigolant !

— Mon frère a succombé à cette contamination. On sait toujours pas pourquoi, ni comment... Il a décidé de partir, il se sentait trop faible pour rester...

Clayd, dans ses pensées, revoit des flashs de la Brume Noire... Il se dit que même à cette époque-là. Elle était déjà la, malgré le Dôme, il comprend très vite que cette histoire d'architecte et de ce présumé Rossignöll Paraless. Il doit à tout prix savoir la vérité derrière cette histoire.

Clayd se lève doucement.

— Prends soin de toi, Bertille.

Mais Bertille, à son tour, se lève, cette fois brusquement. Elle saisit sa main, un geste à la fois brutal, mais rempli d'un appel à l'aide. Sa voix tremble, mais elle se tient droite face à lui.

— Je veux la vérité à tout prix ! Je veux me battre pour quelque chose ! Pour les miens ! Pour tous ceux que j'ai perdus, et surtout pour ceux que personne ne regarde !! Le... Le Lys Brisé n'est plus un espoir pour nous ! C'est devenu un masque rempli de sang encore liquide que j'ai envie de leur arracher !

Clayd la fixe, surpris. Elle lui rappelle quelqu'un. Un feu ardent dans ses yeux.

— Je te déconseille absolument de faire ça. T'es qu'une jeune fille encore avec un avenir... Lâche cette histoire, tu tiendras pas longtemps.

— Je suis pas seule. On est quelques-uns à vouloir se battre pour notre peuple... On veut rallumer ce qui a failli s'allumer en 2075 !

Clayd repousse la main de Bertille posée sur la sienne.

— Vous êtes malades... C'est plus une rébellion, c'est un suicide collectif... Tu cherches sincèrement à crever la gueule ouverte face à des types aussi puissants ? On ne sait même pas comment ils ont accédé à autant de pouvoir !

Elle le pousse doucement, prise d'une colère froide.

— Putain, tu connais rien à ce qu'on vit ici ! Cette ville, c'est pas une mégapole comme les autres, en dehors de ce pays... C'est une... Une putain de cage en verre... Et ceux qui crient trop fort, on les fait taire sans aucune possibilité d'explication avec eux...

— Dehors, c'est pire, dit-il avec une neutralité sans nom.

— Peut-être. Mais ici, on crève lentement comme des primates... Et c'est encore plus cruel de ne rien faire pour changer ça... S'il te plaît, aide-nous...

Clayd ne prend pas la peine de la regarder, et tourne les talons.

— Bonne chance. C'est tout ce que je peux te dire.

Il s'éloigne.

Mais la voix de Bertille le frappe dans le dos.

— Attends, s'il te plaît !!

Clayd s'arrête brusquement.

— Je connais quelqu'un du Lys Brisé... Un homme à la peau noire... Très gentil, il s'appelait... Rowl. Ou un truc comme ça. Quand j'étais petite, il m'a aidée après la mort de mes parents... Il pourrait nous aider, car j'ai l'impression qu'il est pas comme les autres.

Clayd se fige. Son cœur s'arrête. Une décharge lui traverse la poitrine comme un choc du passé.


Ce nom.

Ce putain de nom.


Il se retourne lentement. Son visage a changé spontanément. Son regard est devenu un gouffre d'un cauchemar qu'il n'a pas oublié.

— Qu'est-ce ?! Comment ?!

— Ah ? Tu le connais ? dit-elle d'un regard surpris.

Clayd s'avance brutalement vers Bertille, maintenant à quelques centimètres d'elle, un visage dur rempli d'une haine profonde qui refait surface, regardant Bertille de haut. La main dans sa poche, tenant le pistolet cybernétique, commence à le serrer de plus en plus fort.

— Qu'est-ce que t'es en train de me dire là ?

Bertille, dans une incompréhension, peine à savoir pourquoi il réagit ainsi.

— Je... Je sais pas... Cet homme m'a toujours expliqué qu'il est un homme à double métier...

Clayd, perdant son sang-froid, commence à parler d'un ton très brut.

— Comment ça "à double métier" ?! Dis-moi !

Elle recule, prise d'une inquiétude, tournant la tête, esquivant son regard.

— T'es flippant là... Il t'a fait du mal ? murmure Bertille à voix basse.

Clayd, voyant la jeune fille prise de peur, se rend compte de sa montée de colère. D'une voix plus calme, il reprend ses esprits.

— Ce n'est rien... Excuse-moi.

Il pose une main sur son épaule gauche en signe d'excuse. Puis, tourne le dos et part sans un mot de plus.

Bertille reste statique, elle ne bouge pas. Elle sent une étrange sensation de peur, mais aussi une autre qui parcourt son âme. La main qu'il a posée sur son épaule gauche a dégagé une chaleur légère qu'elle peine à oublier.

Elle avale sa salive, lâchant un petit sourire en coin. Un regard qui dégage un incendie d'émotions se propage dans ses veines.

Bertille regarde sa main gauche. Elle remarque des spasmes.

— Je tremble ?

Elle lève la tête, fixant une dernière fois l'homme partir de dos au loin, le vent l'emporte sans qu'elle puisse l'arrêter.


— À plus tard, Clayd.

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