Évanescence 15
Analepsie
2071.
Le sol tremble faiblement. Une lumière rouge sombre clignote au rythme d'un signal d'alerte silencieux. L'air est humide, saturé d'un froid métallique. Une bande sonore diffuse en boucle des directives robotiques : Ne touchez pas aux parois vitrées. Risque de contamination.
Clayd Attenborough descend lentement un escalier de fer grinçant, sa blouse blanche tâchée de fluides noirs et de sang partiellement séché. À ses côtés, un autre ingénieur. Tous deux arborent un badge électronique gravé du sigle gouvernemental :
B.M SECTION NUMÉRO-5.
— Ils ont encore hurlé cette nuit, dit son collègue d'une voix lasse en tirant sur une cigarette.
— Ça n'arrête jamais... Même quand leurs cerveaux cessent de fonctionner. C'est comme si la Brume voulait les faire tenir... Mais pourquoi ? murmure doucement Clayd.
Ils passent devant une série d'enclos de verre trempé. À l'intérieur, des êtres humains à moitié défigurés. Certains frappent les vitres dans une détresse des plus glauques, d'autres sanglotent à mort, du sang noir sur le sol. D'autres ne bougent plus du tout. Morts. Des enfants... Des femmes... Des vieillards... Tous contaminés par quelque chose qui les dépasse.
Clayd active un scanner sur l'appareil qu'il a entre les mains. Il observe une silhouette recroquevillée dans un état lamentable. Les données affichent :
Sujet : 759
Statut : Âme Fracturée
Résistance psychique : 3%
Cellules mutées : 76%
— IA, affiche-moi les ordres reçus par l'agent Thanmort Velsar.
L'IA s'active émettons, léger, bourdonnement.
— Ordre reçu ce matin par le groupe numéro-2.
Une image holographique apparaît sur la tablette de Clayd : Fin de cycle. Exécution autorisée dans le secteur 4 par l'équipe numéro-5. Clayd, le regard neutre, hoche la tête...
Puis...
il appuie sur un bouton. Un gaz noir sature l'enclos brutalement. Le sujet hurle, gratte le verre jusqu'à y laisser ses ongles. Sa voix se brise. Du sang noir jaillit de tous ses orifices... Un spasme. Puis un silence macabre.
Il continue son travail. D'autres résisteront... alors il utilise une arme spécialement conçue pour les abattre.
Quelques heures plus tard.
— J'ai rêvé d'Anatole cette nuit, souffle Clayd soudainement.
— Ton fils ? demande sa collègue, cigarette à la main.
Clayd hoche la tête brièvement, le regard vide face à la baie vitrée.
— Il me demandait : « Papa, pourquoi tous ces gens meurent sans raison ? Pourquoi tu ne cherches pas à les sauver ? » Et je... je... Je n'ai rien su lui répondre... Même dans un rêve.
La collègue le regarde sans un mot. Ses yeux se posent sur sa main tâchée de sang séché, mais aucune émotion ne la traverse. L'habitude les a rendus insensibles. Mais Clayd... lui, il vacille.
Ils pénètrent une salle. Une femme les attend au centre, silhouette droite, glaciale, vêtue d'une longue veste noire immaculée malgré l'odeur de fer qui l'entoure. Cheveux strictement attachés.
À sa ceinture de cuir : un carnet électronique et une arme standard de catégorie-5 gouvernementale. On ne connaît pas son nom. On l'appelle simplement :
la Directrice.
— Mademoiselle, les rapports de tests d'altération sont terminés ? dit la Directrice d'une voix douce.
— Sujets instables à 88 %. 2 ont manifesté des altérations psychiques de stade II. Aucun survivant déclaré dans notre zone, murmure-t-elle.
Elle hoche la tête. Son regard, digne d'une déesse de la mort.
— Bien. Supprimez les autres restants. Et passez à la fournée suivante. L'adjointe s'occupera du reste. Nous recevons 35 nouveaux contaminés ce soir. Des transferts de quartiers civils. Des fuites d'info ont été détectées sur le vieux net. Un grand nettoyage s'impose, souffle la Directrice.
Son regard se tourne ensuite vers Clayd, impassible.
— Vous êtes un homme brillant. Le Basilic vous doit beaucoup, jeune homme. Mais... N'oubliez pas notre pacte. Vous servez la stabilité de Francilia et de notre grand Dirigeant. Pas votre bonne conscience simpliste.
Elle s'approche. Près... Trop près. Sa voix devient un murmure qui viole même la mort.
— Si vous craquez une seule fois, c'est votre femme qu'on enverra ici. Et le petit Anatole... il finira dans une cuve, accompagné de ces monstres. Est-ce bien compris, Monsieur Attenborough ?
Clayd serre la mâchoire. La sueur sur son front dégouline d'un stress qu'il ne contrôle pas. Il acquiesce comme un vulgaire chien. Ses poings tremblent comme un pauvre esclave.
La Directrice s'éloigne dans les couloirs, ses talons claquant sur le béton comme une sentence irrévocable.
Clayd revient devant l'un des enclos, complètement perdu. Une jeune fille l'observe. Silencieuse. Détruite par une envie de mourir. Ses yeux sont d'un noir absolu. Pas de peur. Pas de douleur. Pas de regret. Juste un vide.
Il tend sa main droite, entre un code, et l'enclos s'ouvre lentement.Clayd est figé... Statique devant la jeune fille qui le fixe.Il lève son arme... Mais une sensation étrange le parcourt. La jeune fille ne recule pas, elle n'a pas peur de la mort.
Elle murmure d'une voix douce, qui transperce l'essence même de Clayd.
— Toi... Tu n'es pas réel.
Un bruit assourdissant retentit...
Mais au moment où la balle part, un glitch visuel brutal l'envahit, transperçant son être. La pièce se déforme dans tous les sens, devenant de plus en plus floue. Le couloir disparaît dans un voile noir. Des cris, des visages, des corps...
Et cette voix, encore et encore qui transperce le voile au delà de la mort.
Toi... Tu n'es pas réel.
Retour au présent.
Clayd hurle, le corps tremblant dans l'atelier de Nirtch, à genoux sur le sol, en sueur, crachant du sang noir. Ses mains s'enfoncent dans la surface métallique, comme aspirées dans un gouffre de cadavres ambulants. Son visage figé par l'horreur. Des visions qu'il ne comprend pas apparaissent simultanément.
Bertille tente de le réveiller, complètement paniquée. Nirtch observe en silence, comme s'il connaissait ce type d'effondrement.
— Il revoit tout, dit-il simplement, d'une grande neutralité.
— Quoi ?! Qu'est-ce qu'il revoit ?! Pourquoi il vomit du sang de cette couleur ?! s'écrie Bertille.
Nirtch se lève doucement et s'avance jusqu'à Clayd et Bertille.
— L'enfant du passé, porteur du souffle noir, detruit ce que les hommes tentent de sauver. Marmonne Nirtch
— Qu'est ce que tu raconte Nirtch ? Hurla Bertille paniqué.
— Oh nom de celui qui doit déchaîner le royaume du néant. Que la mort guide cet homme dans son supplice.
Quand l'usurpateur se tiendra devant le miroir, croyant être Unique, il s'assiéra au cœur du sanctuaire des âges, et parlera comme s'il avait fait le monde de ses mains. Mais de la brume viendra le néant au delà du silence, immobile de sa chair, portant en elle le pardon que le feu avait renié, L'eco du néant. Marmonne Nirtch.
Il sort un pistolet de sa veste et le pointe, de sang-froid, sur la tempe de Clayd.
Sa voix est froide, implacable.
— Séhrah Némoria. Cela te dit quelque chose, espèce de sac à merde ?
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