Évanescence 16
Le sang noir s'écoule lentement de la bouche de Clayd, dessinant des lignes grotesques sur le sol métallique. Sa tête à peine redressée tremble sous le poids d'une douleur qu'aucun mot ne saurait exprimer. Ses yeux, mi-clos, roulent vers le vide. Sa gorge émet des râles étouffés, son souffle brisé, son front trempé de sueur suffoquant.
— Clayd... Clayd, t'en vas pas, reste avec moi, murmure Bertille d'une voix tremblante.
Elle est à genoux, ses deux mains posées sur l'épaule gauche de Clayd. Son visage d'ange, si lumineux quelques heures plus tôt, est maintenant fendu d'un masque d'angoisse. Ses yeux clairs, agrandis par la peur, fixent Nirtch qui, droit devant elle, pointe toujours son arme sur la tempe de Clayd.
Elle hoche doucement la tête de gauche à droite. Sans un mot. Mais le message est clair :
Non... ne fais pas ça.
Nirtch n'a pas besoin de mots pour comprendre, ni pour refuser son message.
— Tsss... T'as pas idée de ce qu'il est, Bertille, lâche-t-il avec un grondement lourd et sourd.
Soudain, il lève brutalement la jambe et frappe d'une violance extrême, Clayd en pleine bouche. Le choc est sec, violent, brutal.. Le crâne de Clayd bascule violemment sur le côté droit, Il s'écrase au sol, les bras inertes, la mâchoire en sang. Bertille recule d'un bond, les deux mains plaquées sur sa gorge comme pour empêcher un cri de sortir. Son corps tremble. Sa respiration est coupée brutalement.
— Debout, fils de pute ! T'as pas le droit de crever maintenant ! hurle Nirtch en avançant, ses bottes martelant le sol.
Il s'approche, et sans hésiter, lui envoie un autre coup de pied dans les côtes. Puis un autre. Et encore un. Les impacts sont lents, mais lourds, précis. Comme s'il frappait avec l'intention de graver chaque douleur dans la chair.
— TU VAS PARLER OUI OU MERDE ?! TU CROIS QUE TU PEUX TE CACHER ?!
Clayd gémit à peine. Chaque mot, chaque mouvement lui arrache une parcelle de son souffle.Nirtch, les yeux rouges de rage, crache par terre.
— Tu crois que je t'ai pas reconnu ? T'étais militaire. Ingénieur de terrain pour leur foutu Basilic ! C'est à cause de vous que ma fille est morte.. Vous avez abandonné le peuple... Et pour quoi ? Pour vos crédits ? Vos illusions de stabilité ?! VOUS AVEZ DÉCHAÎNÉ LA MORT..
Bertille reste figée. Le cœur au bord de l'implosion.. Elle voit le sang de Clayd, ses spasmes, son regard qui part. Elle veut agir mais elle ne peut pas.. Elle veut crier mais elle ne peut pas. Mais sa gorge est sèche. Elle veut courir... mais son corps reste figé.
Elle est là, debout, témoin d'un massacre. Sa bouche entrouverte laisse entrevoir une lèvre inférieure tremblante. Ses mains, ces petites mains écorchées par la vie, tremblent doucement comme si elles hésitaient entre attaquer ou supplier.
Et c'est là que tout remonte dans son esprit.
Une pulsation.
Puis une autre.
Ses yeux d'enfant fixent sa mère en train de se faire battre. En pleine rue. Des hommes masqués, ricanant. Sa mère au sol, le visage tuméfié, les côtes brisées. Bertille, petite totalement paralysée. Sa mère hurle entre deux giclées de sang chaud.
— N'agis pas... Reste là, mon ange... N'intervient pas... s'il te plaît mon bébé...
Elle sourit.. Encore et encore.. Même dans la douleur, même à l'agonie. Le monde devient rouge. Les coups pleuvent. Mais sa mère continue de sourire. Et elle, elle reste là... Paralysée... Puis d'autres flashs reviennent. Son père, affalé sur un matelas sale, les mains dans les papiers d'impayés.. Les OCX manquants. Le regard vide.. Les disputes... Les larmes.. Son petit frère, fiévreux, s'endormant dans ses bras.
Tout revient au fond d'elle..
Elle est ici, maintenant, dans cet atelier moisi... Mais elle est aussi là-bas, petite fille, en 2069, impuissante. Prisonnière de son propre corps. Elle revoit le sourire de sa mère et de son petit frère qui lui chuchote, dans un dernier souffle :
— Promets-moi que tu te laisseras plus jamais figer par la peur.
Elle cligne des yeux.Clayd est au sol. Il tousse du sang. Nirtch s'approche de lui, le saisit par le col, le traîne comme un cadavre, et l'attache sur le siège central de la salle. Des sangles claquent. Le métal gémit.
— Tu vas parler maintenant, enfoiré. Parce que ce que j'ai prévu... ça commence à peine, lâche-t-il en resserrant une boucle de force sur le bras de Clayd.
Mais Bertille... elle.. elle ravale sa salive.. Ses jambes cessent de trembler.. Ses poings se ferment, perdu dans une cascade d'émotion.
Elle avance lentement.
Un pas...
Puis un autre..
Et son regard change complètement.
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