Évanescence 19
2076
Oculus City
Heure : 20h24
Bertille se lève. Elle s'avance près du petit lit où Clayd s'est endormi. Elle pose délicatement sa petite main droite sur ses cheveux, comme pour le rassurer dans son sommeil profond. Elle contemple ce court instant où tout est calme. Elle tourne la tête en direction de la fenêtre ouverte, où le temps gris est pluvieux. Les mots de Nirtch continuent de la hanter.
Elle comprend qu'à partir de maintenant, les heures sont comptées. Le Veilleur ne tardera pas à agir. Elle attrape son téléphone posé sur la table, puis caresse une dernière fois, avec tendresse, le visage de Clayd avant de le regarder une dernière fois. La main gauche posée sur la poignée de la porte, elle sait que le pas qu'elle va faire sera un point de non-retour.
Elle fixe Clayd, d'un regard de tendresse qui se change soudainement en une détermination farouche. Elle ouvre la porte, et fait le pas qui scellera son destin.
Zone District-2.
Le temps commence à reprendre des couleurs. Les nuages se dispersent peu à peu, et la pluie cesse progressivement. Au milieu du trottoir, une silhouette déambule. Des blessures marquent son corps et son visage, de plus en plus profondément.
Elle s'approche brutalement de la porte, l'ouvre avec difficulté, monte les escaliers du bâtiment. Elle chute plusieurs fois, se blesse davantage. De la sueur sale dégouline sur son visage. Du sang, auparavant sec et devenu presque noir, redevient liquide.
Une vieille dame, résidente de l'immeuble aux multiples appartements, surgit en descendant les escaliers, alertée par ce qu'elle voit.
D'un air très surpris, elle pose sa plante à terre pour intervenir :
— Mademoiselle, qu'est-ce qui vous est arrivé ? Vous êtes gravement blessée ! Vous voulez que j'appelle les Me...
La femme la coupe net, la repoussant presque violemment, et perd à nouveau l'équilibre.
— Je... je dois rentrer... dit-elle, suffocant à chaque mot, sa respiration lourde.
La vieille dame la regarde avec tristesse, cette jeune femme dans un état aussi déplorable.
— Je peux pas vous laisser comme ça ! Qui vous a fait ça ?! dit-elle, la voix tremblante.
Ignorant l'intervention, la femme continue sa route. Elle monte, arrive à sa porte. Elle s'écroule, tentant de tenir debout. Elle passe sa carte d'accès, mais en vain : trop de sang empêche l'activation.
Perdant l'équilibre une nouvelle fois, elle pose son front contre la porte, essaie de rester stable. Le dos courbé de douleur, elle frotte la carte tachée de sang sur son tee-shirt déchiré.
Elle s'écroule de nouveau, tombe à genoux, garde la main gauche sur la poignée. Elle transpire abondamment, sa respiration est de plus en plus forte. Son corps entier tremble de douleur.
Elle rassemble ses dernières forces... Et parvient enfin à ouvrir l'accès à l'appartement.
Mordant ses lèvres, elle s'effondre à l'entrée, juste après l'ouverture.
Un bruit lourd.
Puis... le silence.
Allongée sur le ventre, sa joue gauche collée au parquet, ses yeux se referment lentement. Elle ne voit qu'une chose : la grande fenêtre fermée. Elle tousse du sang, mais tente une dernière fois de se relever.
Elle force.
Encore.
ET ENCORE !
Jusqu'à atteindre les toilettes, tout au fond, à gauche de la grande pièce. Elle ouvre violemment la porte, s'effondre sur la cuvette, s'y cogne la tête. Un morceau des toilettes se brise.
Le sang éclabousse le sol, des éclats atteignent le mur métallique. Puis, elle pleure. Elle pleure, car c'est la seule chose qui lui reste. Elle se retourne avec peine, réussit à s'allonger sur le dos, fixant le vide.
Son visage, son corps, ses yeux : tout est fracturé. Du sang dégouline de ses orifices. Des larmes se mêlent à un rouge sombre. Sa peau est devenue pâle, semblable à celle d'un cadavre dont le cœur bat encore.
Elle n'a même plus la force de parler. Ses pleurs, ses cris suffisent à exprimer une douleur qu'elle ne peut plus contenir. Ses yeux se ferment peu à peu. Sa vision se brouille.
Et puis, l'abîme.
Et...
Un son.
— Pi... tié...
— Cla... yd...
Dans un parc reculé de la mégapole.
2 personnes sont assises face à un immense parc. La vue en hauteur est sublime : au loin, plusieurs districts s'étendent.
Des citoyens jouent au tennis sous un coucher de soleil, reflet d'un lieu presque irréel. Une femme prend la parole, assise à côté d'un grand homme.
— Ça me fascine... prendre des vacances dans un endroit qui se rapproche de l'utopie. Ce n'est pas anodin, ce genre de situation, pour des gens comme nous, non ?
L'homme fixe les jeunes en train de jouer.
— Ouais... J'aurais aimé passer plus de temps ici, voir tous ces gamins faire du sport... Mais le taff nous a pas vraiment laissés nous la couler douce.
La femme ricane, le pousse légèrement à l'épaule gauche.
— Tu vois ? C'est pour ça qu'on est tous les deux ensemble ! Ça fait des années qu'on bosse ensemble sur des tâches... parfois crades. Maaais... On est très bien payés, et les avantages sont plus que convaincants, dit-elle en le regardant.
Il soupire, un léger sourire en coin.
— Tss... c'est pas faux.
Il tourne la tête, la fixe.
— T'as contacté Starlcom Exchange pour nos cryptos ? J'ai eu Syntherbank ce matin. Le virement de nos OCX prend trop de temps.
La femme sort son téléphone de sa poche, consulte l'écran.
— Alors... aucun changement pour l'instant. Être résident C1 nous donne pas la priorité sur les dossiers. C'est mal foutu... Et ça les a pas vraiment aidés, ce qui s'est passé lors de la rébellion, y'a 1 an, dans le district 4.
L'homme lève la tête, fixe les méga tours face à lui.
— Depuis que la Blockchain a été centralisée par le MainFrame... pas étonnant que tout soit parti en couille. Vraxia Capital, dirigé par ces extrémistes pro Lys Brisé, ont eu un gros coup de boost avec le soutien de la plus grande banque du pays. Tous leurs projets se sont multipliés : IA, robotique, main-d'œuvre...
La femme rétorque.
— Et encore plus avec l'aide de Noridelta Securities, qui détient la majorité des crédits sur les résidences principales et secondaires. En 2 ans à peine... tout a basculé depuis notre arrivée.
L'homme reprend.
— Le Dirigeant et tout son groupe ont des choses à nous dire. Mais d'abord... on doit trouver ce type.
La femme lève un sourcil. Un regard d'excitation l'envahit. Elle change de fenêtre sur son téléphone. Une image d'identité apparaît.
Elle murmure :
— Attenborough Clayd hein...
Annotations