Évanescence 20
Le vent est stable, l'air frais d'un soir à Oculus City. Les rues sont pleines à craquer, et pourtant, elle est la seule en train de marcher au beau milieu de la foule.
Près de la place centrale du district 4, Bertille erre dans la grande rue où se trouvent plusieurs magasins délabrés et de la street food à foison.
Des magasins de vêtements, des vendeurs d'armes arpentent l'une des plus grandes rues de ce district. Main dans la poche de sa veste, capuche à la tête, se cache pour éviter les problèmes.
Des citoyens surnommés
« les poubelles », car aucune place n'est donnée à ces déchets de la société.
Étant tous des Citoyens C3, ils ne possèdent aucune place en sein, même des plus hauts. Bertille regarde devant elle, ne prend pas la peine de regarder autour d'elle, car elle le sait au plus profond d'elle-même, que peu importe, les regarder serait une insulte pour eux.
Comme si on prêtait attention à une merde, au bord du trottoir. Elle s'arrête un instant, regarde le ciel au-dessus d'elle, un ciel bleu nuit, quasi magnifique à ses yeux.
Un contraste bien amer, rongée par la culpabilité de ne rien pouvoir faire à son échelle pour tous ces gens. Elle reprend sa marche, mais une petite fille la bouscule, prise de panique. Elle s'excuse mille fois.
Bertille se met à sa hauteur et pose une main sur sa petite tête, un geste chaleureux que la petite fille ressent étrangement.
Remarquant que cette petite fille est dans un sale état, elle tourne sa tête, regarde ses joues enflées et abîmées de petites égratignures.
— Qu'est-ce qu'il t'est arrivé ? On t'a fait du mal ? murmure Bertille, la voix rongée par une haine qui monte au fond d'elle.
La petite tourne la tête à plusieurs reprises de gauche à droite, faisant signe qu'il n'y a rien. Son regard est vide, mais Bertille ne s'arrête pas là, elle pose ses deux mains sur ses joues, la fixe d'un regard doux.
— Dis-moi où sont-ils, tes parents, s'il te plaît ? dit-elle, le regard insistant.
Étant en beau milieu de la foule, certaines personnes les bousculent sans prêter attention. Bertille s'avance plus près, pour la protéger un instant.
Mais au même moment, une ombre apparaît et attrape le bras droit de la petite fille sèchement, presque traînée pour l'écarter.
Bertille, surprise, attrape fortement le bras de la personne.
— OH TU FAIS QUOI LÀ ?! hurla Bertille d'une voix colérique.
À cet instant, la manche du bras gauche de la personne se soulève. Bertille remarque un signe sur sont avant-bras.
Prise subitement d'une panique, elle reconnaît instantanément la marque tatouée. Son visage change subitement, elle met beaucoup moins de force dans sa poigne, ce qui donne l'opportunité à l'inconnu de reprendre sa route.
Bertille, sa bouche entrouverte, quasi paralysée, fixe la petite fille qui se retourne, la regardant.
— Putain... chuchote Bertille, sa voix remplie d'incompréhensions.
Elle ne bouge plus, le son autour d'elle commence à être brouillé petit à petit. Étant immobile, des passants la bousculent, des coups d'épaules, d'autres l'insultent car elle ne bouge pas.
Elle regarde ses mains quelques instants, une vision de ses mains tâchées de sang qu'elle ne peut essuyer. Une accumulation de toutes ces années où elle n'a pas su agir face à l'injuste.
20 mètres de distance plus tard.
Elle arrive à un petit bar d'ambiance, descend quelques petits escaliers. Face à elle, une zone là où se réunissent les déchets, des bandits en tout genre.
Elle s'assoit au comptoir, un visage fatigué de ce qu'elle porte sur le dos depuis des années. Un grand homme d'une cinquantaine d'années s'avance face à elle, nettoyant un verre à la main.
C'est le barman de cet endroit, mais aussi le propriétaire.
— Que veux-tu gamine ? Un whisky ? De la limonade ? Une bière ? dit-il l'homme.
Les mains croisées sur le long comptoir, sa voix sans timbre.
— Juste un verre d'eau tiède, s'il te plaît... murmure-t-elle.
Le barman la regarde d'un air soucieux, remplissant le verre d'eau.
— Tu es une résidente C2, j'me trompe ? dit-il, la voix rauque.
— Pourquoi ? Ça se voit autant sur mon visage ? répond-elle, posant son menton sur ses bras croisés, le regard dans le vide.
Le barman pose délicatement son verre d'eau à côté d'elle, proche de sa tête.
— En vue de ton comportement avec cette enfant, j'en ai déduit que tu viens pas d'ici, dit-il en sortant une cigarette de son paquet, sur le rebord de l'évier.
Bertille lâche un léger soupir.
— Tu culpabilises car t'as rien su faire pour elle. Ça se voit à ton visage, dit-il en fixant Bertille.
Bertille prend son verre d'eau et boit une gorgée.
— Qu'est-ce que ça fait de vivre de l'autre côté ? dit-il, la voix rauque, juste après avoir tiré une bouffée toxique de sa cigarette.
Bertille, profondément troublée par le fait qu'elle n'a pas su agir, tourne son verre de manière répétée, le fixe sans arrêt. Ne répondent pas à sa question.
L'homme se tourna, s'en va servir un autre de ses clients au bout du comptoir. Elle ferme les yeux. Le vide qu'elle ressent est plutôt agréable pour elle.
Cet instant de calme où même les sons autour d'elle ne se reproduisent plus. La fatigue des événements passés l'embarque.
Cela fait un moment qu'elle ressent ce besoin d'être avec elle-même, toute seule avec ses démons.
Et puis soudain, le néant l'emporte.
Quelques temps plus tard.
Une douce mais grave voix surgit :
— Réveille toi. Ça fait déjà 4 heures que tu dors.
Les yeux s'ouvrent petit à petit, la vision encore trouble, mais elle aperçoit un néon orangé vacillant. Elle se redresse lentement, lâchant un grognement.
Lève sa tête, un filet de bave dégouline.
— Que... Quoi ? J'ai dormi ? murmure-t-elle.
Le barman, qui était en train de nettoyer son comptoir, fait glisser un cocktail sans alcool, arrivant jusqu'au coude de Bertille.
— Ton téléphone n'arrêtait pas de sonner, prononce-t-il d'un ton calme, mais légèrement agacé.
Elle tourne la tête en voyant le cocktail qu'il lui a offert.
— Ah... Heu c'est pas la peine... J'ai pas très soif, dit-elle en levant sa main droite en guise de refus amical.
L'homme continue son nettoyage sur une de ses tables.
— Ça se voit que t'as la pâteuse à des kilomètres... Bref, bois, c'est un cadeau de bienvenue, dit-il, la voix rauque.
Elle le regarde, à la fois dans l'incompréhension de sa gentillesse, mais aussi d'un remerciement sans mot. Elle prend le cocktail et boit une gorgée, puis une autre.
Elle comprend, et elle ressent. Surtout que ce cocktail a été fait avec soin, que ça n'a pas été simplement quelque chose de donné comme ça. Elle ressent la passion de cet homme dans ce verre.
Elle pose délicatement le verre sur le comptoir, sa main droite légèrement tremblante.
— Bertille... C'est mon prénom, murmure-t-elle en le regardant.
L'homme s'arrête subitement de nettoyer sa table. Il tourne sa tête en direction de Bertille.
Un léger silence avant quelques instants... puis il répond :
— Garel... murmure-t-il d'une voix grave.
Bertille regarde ses mains, touche ce bois humide. Un léger petit sourire surgit instinctivement. Ses yeux sont doux, mais remplis d'une grande fatigue. Elle prend son téléphone de sa poche, fixe l'écran s'allumer.
Voyant plusieurs appels et messages manqués, elle décide de les ouvrir.Son visage commence à changer en voyant les messages apparaître.
Message de Lauren, Patronne Heure : 21h14
« Hey Bertille je t'ai pas revue depuis, tu comptes pas revenir travailler ? Envoie-moi un message quand tu es là, je m'inquiète... »
Nouvelle notification Message de NoriDelta Securities Heure : 21h54
« Suite aux désagréments causés, nous avons donc décidé de saisir vos OCX dans les délais suivants : 08/01/2076, heure 21h54. Vos droits de résidente C2 sont définitivement rompus. À compter de ce jour, vous êtes considérée comme recherchée, fugitif de menace élevée, par le règlement intérieur du conseil d'Oculus City. Je vous ordonne de vous rendre auprès du centre du département des forces de l'ordre du Lys, sous peine de poursuites pénales sévères. Cordialement, Le Bureau de Renseignement. »
Bertille reste bloquée devant ce message, mais aucune réaction ne survient.
Nouvelle notification Message expédié (type inconnu) Heure : 22h00
« Rendez-vous demain matin à 13h11 au banc derrière la statue. Ta présence est obligatoire. »
Un léger soupir sort de la bouche de Bertille. Et puis un rire... Un rire petit mais qui ne s'arrête pas.
Garel s'arrête subitement, regarde Bertille en train de rire sans aucune raison.
Il s'avance lentement, étant proche de Bertille.
— Je dois fermer maintenant, dit-il d'un ton sec.
Mais sa voix peine à se faire comprendre, la voyant rire doucement, la tête penchée en avant devant son téléphone.
Il pose une main ferme sur son épaule.
— Hé Bertille, je dois fermer là... hausse la voix.
À cet instant, Bertille tourne la tête en direction de Garel en se levant. Son visage est fragile, et des larmes coulent le long de ses joues.
Un léger sourire surprend Garel, la voyant dans un tel état d'incompréhension.
Il chope son bras gauche, essayant de comprendre ce qu'il se passe.
— Ho Bertille ?! Qu'est-ce qui t'arrive ? dit-il, la voix rauque.
Bertille ne bouge pas. Elle reste immobile, fixe droit devant elle.
— Merci pour ton cocktail, il était bon... murmure-t-elle, la voix rayée.
Elle repousse sa main et part, sortant du petit bar, laissant Garel seul dans l'incompréhension.
Il la fixe, la voyant sortir seule, dans un état d'esprit probablement broyé par cette ville. Ce n'est pas la première fois qu'il voit une âme brisée.
Mais cette fois, il a ressenti quelque chose d'étrange chez elle :
une envie forte de vivre.
Garel est là, immobile, serrant fort son chiffon dans sa main.
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