La mer n’existe pas.

Les mots trottaient sur sa bouche, ou peut-être s’y balançaient-ils comme quelque chose que l’on fredonne. Il me semble que c’était cela : une chanson perdue sur le bord de ses lèvres.

La mer on ne la voyait pas.

Ou peut-être que si. On ne savait pas.

Cernés par l'épaisse brume grise.

La brume qui avale et érode, la brume qui noie.

Peut-être n’y avait-il même personne pour dire que la mer n’existait pas.

Je ne voyais rien.

J'entendais juste cette voix percer la brume.

Il parait que les sirènes vous attrapent comme cela.

Mais les sirènes ne prennent pas voix d’homme, ou peut-être que si, même s’il me semble plutôt que selon l’oreille qui se tend elles prennent voix d’ange ou de désir, la voix des mères qui bercent, ou celle des harpies. La voix des choses qui vous entrainent et vous coulent.

C’est cela que les hommes veulent. Cela qu’il faut comprendre quand les hommes disent qu’ils veulent vivre. Cela qu’ils chantent quand ils disent chanter la vie et qu’ils chantent la mort. C’est toujours se perdre un peu, toujours être emportés par quelque chose de plus grand qu’ils ne maîtrisent pas. Si ce n’est pas mourir tout à fait, il s’agit toujours de noyade.

Je dis que je ne voyais rien mais c’est faux. Depuis la voix, très nette, des mains rocs de pierre qui vous agacent la peau quand elles vous frôlent. Je les dessinais comme ça. Je pouvais les sentir presque, dans les brasses que faisait naitre la voix de l’homme dans mon ventre.

Allions-nous nous rejoindre ou nous perdre, ou l’un et l’autre ? L’un existe-t-il sans l’autre…
Nous faire manger par la brume ?
Elle était là toujours, qui dansait dans le vent et agitait des rubans longs comme des écharpes d’hiver.
Puis soudain une rafale plus forte que les autres l'emporta et je le vis, lui. Et derrière lui le sable de grains noirs, les falaises pointes hautes à toucher le ciel, et la mer qui n’existait pas.