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Norman Kohler n’était pas un lève tôt et pour cause, son penchant pour l’alcool mettait son corps et son humeur à rude épreuve. Mais c’était plus fort que lui. Dès que Norman touchait un verre, l’envie de s’en servir un autre s’emparait de son âme. D’ailleurs, ses journées commençaient et se terminaient toutes de la même manière, sans exception : il se rendait au travail dans un état de sobriété labile et se couchait rond comme une queue de pelle.

Du haut de ses quinze ans, Violette avait la lourde tâche de s’occuper de l’entretien du foyer, du règlement des factures, éloignait les huissiers, sans rechigner. Elle était la bienveillance incarnée même si beaucoup la jugeait à sa couverture.

Norman s’empara de la dernière part de pizza et croqua dedans à pleines dents. Il essuya ses doigts emplis de sauce piquante sur son t-shirt à l’effigie des Sex Pistols. Une des rares reliques de sa jeunesse qu’il n’avait pu se résoudre à jeter. Il refusait de renoncer aux souvenirs qui lui étaient rattachés, qui signerait la rencontre avec cette belle blonde aussi délicieuse qu’un sorbet au citron. Cette jeune femme libre et décomplexée à qui il jurait fidélité devant un sosie d’Elvis pendant leur road trip à Vegas. Or, ce gamin marginal et insouciant n’existait plus. Il s’apprêtait à se servir une tasse de café lorsqu’il constata que la cafetière était vide.

— Violette !

Ils avaient conclu un pacte. Devait-il le lui rappeler ?

— Violette ! répéta-t-il.

Il tapa du poing sur la table puis jeta son mug au-dessus de la masse informe dépassant de l’évier. Un bruit de verre brisé vint rompre la quiétude qui régnait jusqu’alors. Même s’il n’avait fait que s’empiffrer au cours de ces dernières vingt-quatre heures, Norman refusait catégoriquement d’admettre sa part de responsabilité dans cette affaire.

Perdant patience, il emprunta le minuscule passage qui leur servait de couloir et tambourina encore et encore contre la porte de sa chambre, incapable de réprimer plus longtemps sa colère.

— Ouvre cette fichue porte !

Cette petite incapable ne perdait rien pour attendre. Si elle croyait mener la danse, elle se fourrait le doigt dans l'œil. Tant qu’elle vivrait sous son toit, elle devrait respecter ses règles.

— Tu croyais que je n’allais pas m’en apercevoir ? beugla-t-il. Tu ne vas pas t'en tirer comme ça.

Il s’écarta, s’attendant à voir apparaître Violette. Mais la porte resta close.

— Peut-être as-tu besoin que je te rafraichisse la mémoire ?

Norman enfonça la porte ivre de colère. Non pas avec le pied comme le faisait les forces spéciales mais plutôt comme un homme dépravé. Sa force n’était plus celle qu’elle était. La mort de sa femme l’avait considérablement affaiblie. Sans compter le temps qu’il passait à boire, affalé dans son canapé. Bien qu’il eut enterré Charlotte depuis plus de dix ans, Norman n’était jamais parvenu à faire son deuil, la faute à un corps médical incompétent. L’accouchement prématuré de son épouse était, pour lui, le point de départ à la maladie rare et incurable qui la frapperait deux ans plus tard. Charlotte lutta de toutes ses forces, en vain. Son corps lourdement affaibli cessa de se battre alors que Violette venait tout juste de fêter son cinquième anniversaire. Changé du tout au tout par ce tragique évènement, Norman n’était que l’ombre de lui-même. Plus encore lorsqu’il se trouvait en présence de Violette qu’il tenait, elle aussi, responsable de sa disparition. Depuis cet événement, il ne passa pas un jour sans boire. Disgracieux, parfois même colérique, il faisait tâche aux yeux de tous et notamment, des recruteurs. Alors Monsieur Le Maire, touché par sa détresse, lui avait confié la gestion et l’entretien de la décharge.

Bien qu’il aurait déjà dû être au travail depuis longtemps, Norman se laissait à nouveau dominer par ses pulsions. Mais, son coup d’épaule resta vain. Il se rua vers l’extérieur, bien décidé à faire sortir Violette de sa chambre. Le terrain vague était désert. Il profita de cette opportunité pour se faufiler à l’arrière du mobil home. De là, il accèderait à cette maudite chambrette. Il remarqua alors que la fenêtre était entrouverte. Il s’approcha pour examiner de plus près l’intérieur. La pièce était déserte. Il regarda de plus près et constata que son lit n’était pas défait. Pourtant, quelque chose clochait : son sac à dos ainsi qu’un tas de vêtements gisaient sur le sol.

Jamais Violette ne fuguerait sans emporter ses effets personnels. Alors pourquoi sa planche de skate manquait-elle à l’appel ?

*

— Quoi ? Vous voulez dire qu’il n’y a aucune équipe sur place ? Bordel Gruber ! Comment est-ce possible ? Ais-je à faire à une équipe de bras cassé ? Bon, maintenant vous allez m’écouter attentivement. Boucler la zone et surtout ne touchez à rien !

L’inspecteur Eric Gross écrasa son gobelet dans la paume de sa main avant de monter dans sa voiture banalisée. Jurant à tout va, il ouvrit le coffre du véhicule, posa le gyrophare sur le toit puis coinça le cordon d’alimentation dans la portière conducteur.

Quelle heure était-il ? Cinq heures ? Qu’avait foutu Gruber tout ce temps ?

Furieux, Eric actionna la sirène et démarra en trombe, regrettant de ne pas avoir demandé son transfert lorsque l’occasion s’était présentée. Ainsi, il ne passerait pas son temps à réparer les erreurs de la bande de clowns qui l’entourait. Gruber débutait mais à ce point, cette erreur relevait d’une imprudence la plus totale. Il était sous son égide. C’était à lui qu’on demanderait de rendre des comptes et non pas à cet imbécile. Eric accéléra ne désirant qu’une chose : en finir au plus vite. Il ne manquerait plus que Gruber ait confondu ces traces de sang avec des sécrétions animales et voilà qu’ils pourraient tous les deux aller se rhabiller. Il tourna le volant d’un coup sec et le véhicule pénétra sur les terres des Koch. Gruber était là, blanc comme un linge. Gross sortit du véhicule, claqua la porte puis à bout de nerfs, vociféra :

— Vous allez m’expliquer ce qu’il se passe ici ? Vous attendiez quoi pour me contacter ?

— Je … Je me suis évanouie. Je ne sais plus… C’est le trou noir.

— Vous a-t-on agressé ?

— Je ne crois pas.

L’inspecteur enfouit son visage dans ses mains, ne sachant pas s’il devait rire ou pleurer. Cette situation l’effarait.

— Etiez-vous seul sur les lieux ? poursuivit-il, plus calmement.

S’il continuait à agresser sa recrue, il n’obtiendrait rien de plus de sa part. Le jeune homme tremblait déjà bien assez.

— Oui. J’étais de permanence, bafouilla-t-il, le corps secoué de spasmes.

— Je sais bien que vous n’étiez pas accompagné, Gruber, le sermonna Gross. Vous n’aviez que ce mot en bouche au téléphone. Mais, avez-vous vu quelqu’un ?

Même en y mettant toute la meilleure volonté du monde, Eric ne put réprimer son agacement. Gruber baissa les yeux, embarrassé. Il se gratta la tête avant de répondre un bref et presque inaudible peut-être.

Eric inspira profondément, luttant pour garder son calme, puis reprit :

— Où se trouve la scène de crime ?

— Par là, répondit-il, en montrant du doigt le chemin tortueux entouré de roseaux.

Ils s’engouffrèrent dans les marécages, Gross le main posée sur son arme de service, Gruber au garde-à-vous. Malgré la végétation abondante, le soleil leur brûlait la peau. S’il avait su, Gross aurait apporté son tube de crème solaire. Pourtant, cette météo clémente leur était favorable, cette absence de pluie leur permettrait de déceler tout indice ou trace suspecte. Mais, bientôt ce pic de sécheresse ne serait plus qu’un épisode anecdotique. Si Gruber disait vrai et qu’un crime avait bien été commis dans ces eaux, alors ils devaient agir vite. Le temps était compté, d’ici peu les lieux deviendraient impraticables, la faute à d’importantes perturbations annoncées pour les trois jours à venir.

— Attention où vous mettez les pieds, l’alerta Gruber, en évitant pour la deuxième fois une racine.

Eric ne broncha pas, espérant simplement que le jeune homme le conduise à bon port. Il ne comptait pas passer sa journée ici, il avait bien d’autres projets. D’autant plus qu’une montagne de paperasse l’attendait au bureau.

— Nous y sommes presque, lui assura Gruber alors qu’ils s’enfonçaient un peu plus dans les bois.

Bien qu’il lui semblait qu’ils tournaient en rond depuis plusieurs minutes à présent, Gross ne fit pas part de son inquiétude à sa jeune recrue. Il n’était pas du genre à brimer les autres. Même ce jeune homme avait le don de lui taper sur les nerfs et qu’il devait bien admettre que leur rencontre ne s’était pas opérée sous les meilleurs auspices.

— Chef ! Regardez ! hurla Gruber qui se trouvait quelques mètres plus haut.

Au même moment, Eric entendit du bruit en provenance du bosquet. Il dégaina son arme, prêt à tirer. Or, tout ce qu’il vit fut un magnifique étang couvert de nénuphars rose, aussi sublime que saisissant. Si sublime, qu’il faillit passer à côté d’un étrange symbole, entouré de bougies, dissimulé au cœur de la vase séchée. Un pentagramme d’une incroyable précision maculé d’une traînée rougeâtre que l’on pouvait suivre à la trace.

— Vous n’avez pas bouclé la zone ? lança Eric, stupéfait alors qu’il rangeait son flingue dans son étui.

— Et avec quoi ? Je vous rappelle que je n’ai aucun de ces machins avec moi, rétorqua Gruber.

Ce gamin n’était pas seulement une catamilité, songea Gross, il souffrait d’un trouble d’opposition ce qui signifiait qu’il avait un sacré problème avec l’autorité.

— Où mènent ces traces ? l’interrogea Eric.

— Il n’y en a pas que sur ce tronc ?

L’inspecteur leva les yeux au ciel, atterré.

— Vous n’avez rien remarqué de suspect à proximité de cette étendue d’eau ?

— Ce n’est pas mon job de ratisser la zone, inspecteur, rétorqua-t-il.

— Si ce n’est pas votre “job” Gruber, que foutez-vous encore ici ? s’emporta Gross. Admettons que ces tâches de sang ne soient pas animales, vous venez de signer notre renvoi.

— Plus personne ne veut faire notre boulot. Aucune chance qu’on nous foute dehors.

Eric tourna les talons ne souhaitant pas en entendre davantage. Avec un peu de chance, ces traces mèneraient à la carcasse d’un animal sauvage et cette affaire ne serait plus qu’un mauvais souvenir. Il rêvait de croquer dans une part de tarte aux pommes préparée avec amour par sa femme et ce, même s’il devait surveiller de près son taux de glycémie. Mais cette dégustation ne se présenterait pas de sitôt. A peine fit-il quelques pas depuis le sanctuaire qu’un spectacle aussi déconcertant que répugnant s’offrit à lui. Malgré le charme enchanteur de cette sublime étendue d’eau, une vision cauchemardesque vint rompre la quiétude de ce décor pittoresque. Car là où s’arrêtait la traînée de sang, se trouvait des restes humains.

— Gruber, nous allons avoir besoin de plongeurs !

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