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Personne ne se serait penché sur la disparition de la petite Kohler si les événements de la veille n’avaient pas forcé la main aux autorités. Même si tout laissait croire à une fugue, l'effervescence qui s’était emparée de la ville et ce tronc retrouvé au bord du lac ouvraient à la réflexion. La possibilité qu’il appartienne à Violette ne devait pas être écartée. Sans compter que tout laissait croire qu’un groupe d’adolescents était responsable de l’inscription de ce pentagramme au cœur des marécages. Un groupe d’ados dont Violette faisait peut-être partie, et qui pourrait les renseigner sur cette fameuse nuit.

Les forces de l’ordre dépassées par les évènement, tentaient de contenir derrière leurs fameuses bandes jaunes, les journalistes en quête de scoops. Les médias n’étaient pas les seuls à faire le pied de grue, les curieux, eux aussi, avoisinaient au pas de course. Le brouhaha s’échappant de la foule mêlait peur et fascination. Alors que les envoyés spéciaux brillaient sous le feu des projecteurs, les familles craignaient pour leurs enfants. Bitterburg était une petite ville calme, sans histoire et voilà qu’à présent cette quiétude était bouleversée par un je-ne-sais-quoi. Obtenir des réponses était nécessaire si Monsieur Le Maire ne souhaitait pas voir ces parents apeurés faire leurs valises au pied levé. La tension était à son comble, même auprès des enquêteurs dépêchés sur place, qui voyaient ce remue-ménage d’un très mauvais œil.

— Comment veux-tu que nous fassions correctement notre travail ? s’agaça l’un d’entre eux alors qu’il empêchait un assaillant de franchir les barrières de sécurité.

Son collègue haussa les épaules. Demain, les médias ne parleraient plus que de ce fait-divers macabre. Tout comme le reste du village. Ces heures sombres que s’apprêtaient à vivre Bitterburg, rappelaient non sans mal le cataclysme qui avait secoué ces terres, trente ans plus tôt. La découverte sur la rive de la dépouille de la jeune Joséphine Jacob, JJ pour les intimes, portée disparue le jour de son seizième anniversaire et dont le corps avait été découvert par un routard sur le bas-côté deux semaines plus tard. Malgré le retentissement médiatique dont avait fait preuve cette affaire, l’enquête n’avait jamais abouti. Ce décès brutal marquait encore les esprits. D’autant plus que Joséphine avait tout pour elle. La nature lui avait offert la douceur, le charme et la beauté d’une actrice. Si cette tragédie ne l’avait pas emportée alors elle aurait eu une carrière majestueuse. Les cinéastes se la seraient arrachés et son agent aurait fait d’elle son gagne-pain. Alors que les habitants ignoraient tout de ses appétences, on lui avait déjà prédit son destin. Cette fille était leur salut. Elle les sauverait de leur misère et de par son statut social, dynamiserait cette ville ouvrière. Mais cette gloire n’arriva jamais et Bitterburg s’enfonça un peu plus dans la pauvreté. Le coup de grâce fut prononcé le mois dernier, lorsque le Maire ordonna la fermeture de la scierie. Sa réélection était depuis mise en péril, alors il ne fut pas étonnant de la voir rappliquer illico presto, dans l’espoir de regagner ses voix perdues.

— Je peux savoir à quoi doit-on tout ce chahut ? brailla-t-il, cherchant à s’extraire des voyeurs.

— Monsieur Le Maire ! Monsieur Le Maire ! Un mot ?

Les journalistes se regroupèrent autour de lui, micros tendus.

— Avant de vous répondre, il faudrait déjà que je sache pourquoi vous êtes tous attroupés ici !

Il regretta aussitôt ses paroles. S’il n’était pas au courant de ce qu’il se passait sur son territoire alors quelle image renvoyait-il à ces électeurs ?

— Suivez-moi, lui souffla un type à la silhouette longiligne, flottant dans son uniforme.

Il souleva le bandeau jaune et incita le maire à le suivre. Il fut rapidement rejoint pas un homme d’une stature imposante.

— Ça pue Robert, lâcha le commissaire Schneider. Nous avons une disparition doublée d’un cadavre non identifié sur les bras. Préparez-vous à voir la presse nationale rappliquer. Bitterburg va faire couler beaucoup d’encre.

— Un communiqué s’impose, constata le maire.

— Et sur quelle base ? Nous n’avons aucun élément ? La petite a peut-être fugué.

— La petite ?

— Vous n’êtes dont au courant de rien ? Un de mes hommes ne vous a pas mis dans la boucle ? Je parle de Violette Kohler, voyons. Sa grand-mère vient de nous signaler sa disparition. Et pour couronner le tout, nous avons retrouvé un morceau de corps sur la rive.

— Cette vieille folle ? Elle perd la boule. Depuis quand portez-vous une attention toute particulière aux malades mentaux ?

— Avec ce corps sur les bras, chaque témoignage doit être recueilli et mérite que nous nous penchions sur chacun d’entre eux.

— Et qui vous dit que ce corps ne pourri pas ici depuis des lustres ?

— Le médecin légiste nous le dira.

*

Loin d’imaginer l’embarras dans lequel était plongé le maire Schneider, l’inspecteur Gross percuta un nid de poule. Quand il s’était décidé à rejoindre le terrain vague, il n’avait pas imaginé une seconde qu’il affronterait un trajet semé d'embûches. Après avoir évité de justesse un sanglier, il constata que son réservoir était à sec. Un bidon à la main, il s’était alors rendu à pied à la station-service la plus proche. L’unique pompe à essence présente dans cette bourgade. Il avait longé la route, sans croiser le moindre chauffard. La chemise maculée de sueur, le souffle court, il poussa la porte de la station. Cette chaleur allait tous les tuer !

Un gamin, la tignasse dissimulée sous une casquette, l’inspecta des pieds à la tête, sans prendre la peine de le saluer. Il ne l’avait encore jamais vu traîner dans le coin.

— La une, s’il vous plaît.

Le garçon accepta sa carte de crédit et lui rappela d’un ton détaché les consignes de sécurité. Gross ressortit dardar, plaça la canette sur le sol à l'écart de sources de chaleur puis s’empara de la buse.

— Vous comptez faire quoi avec toute cette essence ? lui demanda une voix molle, peu assurée.

— A votre avis ? rétorqua l’inspecteur du tac à tac.

Le jeune homme haussa les épaules avant de lui tendre sa carte bancaire.

— Qu’est-ce que j’en sais moi. Vous pourriez mettre le feu ou… J’en sais rien. Laissez tomber…

Gross referma le bouchon, arracha un morceau de serviette en papier puis s’essuya les mains. Il fouilla dans la poche de sa veste et agita son badge sous ses yeux.

— Mes intentions sont plus claires maintenant ? Vous avez une imagination débordante, vous, les jeunes. Sauf pour ce qui relève d’une évidence. Je suis tombé en rade à un ou deux kilomètres d’ici. Pas de quoi fouetter un chat.

— Wally ! Je peux savoir ce que tu fais ? l’interpella José Bauer, le gérant des lieux. Laisse l’inspecteur tranquille, veux-tu ? Retourne à l’intérieur et vérifie qu’il ne manque rien dans la caisse au lieu de jouer les justiciers.

Celui-ci s’exécuta, penaud.

— Ce gosse n’est pas très malin mais c’est un bon gars, fort désireux d’apprendre. C’est rare de nos jours, poursuivit-il. Avec un encadrement adapté, de la rigueur et beaucoup de ténacité, je pourrais songer à lui céder ma boutique.

Eric sourit. José avait tendance à s’emballer un peu trop vite quand il parlait avec son coeur. Cela l’handicapait plus que ça ne faisait son charme. Il n’avait jamais trouvé chaussure à son pied et lorsqu’il crut la trouver enfin, il n’avait pas su la garder.

— C’est vrai ce qu’on raconte ? enchaîna José.

Gross fronça les sourcils. Il savait très bien où son ami voulait en venir mais il préféra jouer la carte de l’innocence.

— Quoi ?

— Ce corps repêché à Heide.

— Pas de ça avec moi, José, se racla la gorge, visiblement embarrassé.

— Allez. Donner quelques tuyaux à un vieil ami n’a jamais tué personne.

— Amitié ou non. Je suis tenu au secret professionnel.

José fixa ses ongles tout en continuant de se balancer d’avant en arrière. Il était nerveux, cela ne faisait aucun doute.

— Il y a quelque chose que je devrais savoir Jo ?

— Moi ? Tu me connais, je n’ai rien à cacher. J’essayais juste de comprendre pourquoi autant de camionnettes circulaient le long de la départementale. Et tout à coup, tu apparais comme par magie. Je ne suis pas né de la dernière pluie. Je sais très bien que ce cortège et ta venue ici ne sont pas liés au hasard.

Gross se mordit la joue. Même s’il avait grandi auprès de José, cela ne l’autorisait pas à faire de lui un être privilégié. Risquer de perdre son poste pour une bavure ne l’enchantait guère. Il comptait bien finir sa carrière avec les honneurs.

— Je suis vraiment désolé, mais je ne peux rien te révéler.

José écrasa une feuille morte avec la semelle de sa chaussure. Il semblait déçu, vexé même, comme le serait un enfant de douze ans à qui l'on a chipé son jouet.

— Comme tu voudras. De toute façon, d’ici demain, cette histoire ne sera plus un secret d’état. Si tu ne veux pas parler, les journalistes, eux, s’y donneront à coeur joie.

Gross attrapa son bidon, le hissa sur ses épaules larges et tourna les talons. Son ami avait raison, chercher à débattre n’avait aucun sens. Il préférait s’effacer comme il le faisait chaque fois que la situation se complexifiait. Ainsi et pour son plus grand plaisir, il évitait le conflit.

Le trajet de retour lui parut long. Très long. De part, la charge supplémentaire qu’il devait se coltiner, d’autre part puisque le soleil, à son zénith, lui brûlait la peau. Lorsqu’il regagna son véhicule, il réalisa avec stupéfaction que son détour lui avait coûté sa matinée. Il démarra sur les chapeaux de roue, n’hésitant pas à dépasser les limitations de vitesse. En un temps record, il franchit le terrain vague dans un nuage de poussière. Il sortit du véhicule, désireux de rattraper son retard. Il attrapa sa veste, dissimula son dos trempé par la sueur et relâcha la pression quand il atteignit, enfin, la caravane. Même si Gross était un bon flic, il ne vit pas qu’on l’épiait.

*

Depuis la fenêtre de sa cuisine, Bill Sutter attendait le moment opportun qu’il lui permettrait de se présenter aux forces de l’ordre. Il ne pouvait se taire plus longtemps. Alors lorsque cet inspecteur – un peu trop beau pour être inspecteur d’ailleurs – pointa enfin le bout de son nez, chausson aux pieds, il se rua immédiatement vers l’extérieur.

— Mais où vas-tu ? s’inquiéta Marthe.

Il ne lui avait pas parlé de ce qu’il avait vu cette nuit-là. Jusqu’à ce que la disparition de cette petite soit signalée au journal d’informations locales, cela lui avait semblé sans importance. Et même si les autorités n’avaient pas fait d’annonce officielle, il devait accomplir son devoir de citoyen.

Malgré son âge avancé, il enjamba ces si précieuses plates-bandes : des bruyères qu’il entretenait avec amour. Il traversa la rue en trottinant. Sans forcer, néanmoins. Il ne voulait pas prendre le risque de se coltiner un lumbago. Rester cloué dans un fauteuil très peu pour lui. Être privé de ses ballades matinales l’achèverait. Et ce, même s’il aimait que Marthe le cajole.

— Pardonnez-moi, siffla-t-il quand il fut suffisamment proche de sa cible.

Mais celle-ci ne l’entendit pas.

— Inspecteur ! toussota-t-il.

Eric Gross tourna la tête alerté par une respiration sifflante. A l’exception d’un crâne plus dégarni, il ne lui fallut qu’un battement de cils pour qu’il reconnaisse ce bon vieux Bill Sutter. Il n’avait pas changé d’un pouce. Depuis combien de temps ne l'avait-il pas vu ? Trois ? Six mois ? Même s’ils résidaient dans la même bourgade, les deux hommes ne se croisaient qu’occasionnellement. Et pour cause, les Sutter vivaient reclus dans leur pavillon. Fatigués, ils ne sortaient qu’au besoin, et ce généralement pour se rendre à l’épicerie. Alors voir Bill Sutter accourir en sa direction ne pouvait signifier qu’une seule chose : une terrible nouvelle les avait frappés.

— Bonjour Bill, le salua-t-il.

— Il faut que je vous parle.

Son visage était grave.

— Qu’y-a-t-il ? Marthe va bien ?

— Elle se porte comme un charme, ne vous inquiétez pas pour elle. Non. Je m’excuse de vous importuner, mais je dois vous confesser quelque chose. Je sais que de prime abord, ce que j’ai vu peut paraître stupide, or, après mûre réflexion et maintenant que vous êtes ici, je me dis que ce ne peut plus être une coïncidence.

— Que devez-vous avouer Bill ? Ne me dites pas que vous avez encore tirer à blanc sur des pigeons ? Vous savez que c’est interdit Bill…

— Je n’ai pas touché à un pigeon depuis des mois. C’est tout juste si je puis sortir dehors. Que diriez-vous de venir prendre un café ? Je crois que nous serions plus à l’aise devant une bonne tranche de quatre quart.

— Cela aurait été avec plaisir Bill, mais je dois décliner votre invitation.

Il porta son attention sur le mobil-home délabré des Kohler.

— Embrassez Marthe pour moi.

— Norman n’est pas là, si c’est lui que vous cherchez. Je ne sais pas quelle mouche l’a piqué, mais il a quitté son domicile, aux aurores, remonté comme un coucou. Si vous voulez mon avis, cet homme trempe dans affaires pas très nettes. Quand je pense à cette pauvre petite… Avoir un père comme lui… ça doit vous marquer.

— Comme un coucou ?

Bill lui lança un regard noir.

— C’est à se demander si vous vivez vraiment dans cette ville, inspecteur. Les cris, les coups… Ne me dites pas que vous ignorez comment ce type traite sa fille.

— Les ragots ne m’intéressent pas.

— Peut-être auriez-vous dû les écouter cette fois-ci. Vous auriez, ainsi pu, éviter une disparition.

— Une disparition ?

— On dirait que vous vous êtes fait devancer par toutes les chaînes d’informations.

Gross avait toujours apprécié Bill et ce, notamment pour sa discrétion. Mais son manque de tact et son obsession à lui tenir la jambe commençaient sérieusement à la démanger.

— Si je puis vous donner un conseil, cibler vos recherches autour des propriétaires de Golf 1 Cabriolet verte. Ils sont plutôt rares dans la région, non ? Eh bien, pas plus tard qu’hier, l’une d’elle rôdait dans le coin. Ouais. J’ai cru à un mirage, quand je l’ai vu garé devant la caravane des Kohler. Je me suis dit, pas possible, cet enflure de Norman a réussi à toucher le jackpot. Mais, je faisais fausse route. Cette voiture n’appartenait pas à Norman. Personne à Bitterburg n’est assez riche pour se payer un cabriolet. A moins d’avoir braqué une banque…

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