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L’odeur putride d’une centaine de rats agonisants s’échappait des bennes.

A la recherche du confort d’un hôtel cinq étoiles ?

Passez votre chemin. Car ici, tout n’est que chaos et désolation. Si bien que travailler parmis ces pièces détachées et boui-boui en perdition relevait de l’exploit. Heureusement, la vue panoramique depuis l’imposante tour de contrôle apportait un peu de gaîté à ce paysage terne.

Conscient du retard qu’il avait accumulé, Gross pressa le pas, heurtant dans son passage enjoliveur, pneus et autres détritus. Les badauds, par leurs allées et venues incessantes, avaient gâché son temps précieux. Chacun y allant de sa supposition quant aux circonstances tragiques entourant la disparition de la petite Kohler. Exaspéré par ces détectives amateurs et leurs théories abracadabrantesques, il avait fini par se réfugier dans sa voiture, guettant le mobil-home où logeait Norman Kohler. Cela faisait des jours qu’il tentait de lui mettre le grappin dessus. Sans résultat. Alors qu’il se croyait enfin tranquille, il fut rapidement délogé par ce bon vieux Bill. Ce dernier prenait à cœur cette affaire. Il lui conta alors qu’on ne l’avait plus vu depuis le matin suivant la disparition de Violette.

Prenant le taureau par les cornes, Gross s’était alors rendu sur le lieu de travail du suspect. Mais le sort s’acharnait contre lui. À l'exception de quelques rongeurs en quête de miettes et autres restes, la décharge était vide. D’ailleurs, cet endroit lui fichait la chair de poule, comme s’il dissimulait derrière ses murs de terrifiants secrets.

Convaincue que Norman ne pointerait plus le bout de son nez, il plia bagages. Dehors, le vent soufflait ardemment, tordant les panneaux de signalisation et emportant tout sur son passage.

Eric s’apprêtait à rejoindre son véhicule lorsqu’une main lui effleura l’épaule. Il se retourna, prêt à neutraliser l’intrus. Il se ravisa aussitôt quand il comprit à qui il avait à faire.

— Bordel Bill, vous voulez ma mort ? Je peux savoir ce que vous faites là ?

— C’est Marthe.

— Il lui est arrivé quelque chose ? s’inquiéta-t-il.

Marthe avait toujours été très bonne à son encontre, n’oubliant jamais de l’inviter à dîner quand elle le croisait.

— Elle s’est absentée pour acheter un gigot… et c’est là qu’elle l'a vu… Ce Kohler…. Je l’avais pourtant prévenu de ne pas se rendre au village avec toute cette agitation. Mais non, il a fallu qu’elle en fasse qu’à sa tête. Comme toujours. Et comme à son habitude, elle a fait une halte au cimetière pour y déposer une gerbe sur la sépulture de Joséphine Jacob. Nous la connaissions à peine mais elle ne peut s’empêcher d’entretenir la dernière demeure de cette enfant. Allez savoir pourquoi. Enfin bref. Il se trouve que ce Norman Kohler y était. Oui… et en fâcheuse posture si vous voulez mon avis. Couché sur la tombe de sa femme et rond comme une queue de pelle.

— S’en est-il pris à Marthe ?

— Juste ciel ! Bien sûr que non. C’est tout juste s’il lui a adressé un regard. Mais dès que j’ai eu vent de la nouvelle, je me suis empressé de vous retrouver. Comme cela vous cesserez de tourner comme un lion en cage.

— Bill, souffla Eric, soulagé. Je sais que vous croyiez bien faire, mais vous vous mettez inutilement en danger. S’il vous arrivait malheur par ma faute, sachez que votre mort me hantera toute ma vie. Et vous et moi savons parfaitement qu’il vous reste de magnifiques années à vivre. Alors je n’ai qu’une requête à vous demander mon cher ami : à l’avenir, restez chez vous. Ou du moins, le temps que je fasse la lumière sur cette affaire.

Il salua Bill, ne manquant pas de le réprimander une dernière fois sur sa conduite et regagna au pas de course son véhicule. Il ne devait pas laisser cette occasion lui filer sous le nez. Lui seul détenait la vérité sur cette fameuse nuit.

Happé par ses pensées, l’inspecteur braqua tardivement le volant à droite, évitant de justesse une camionnette couchée dans le fossé. Elle n’était que la première d’un cortège de véhicules équipés de paraboles. Sauf qu’eux n’étaient pas empêtrés sur le bas-côté.

Depuis quelques jours, Bitterburg était assiégée par les journalistes. Et comme l’un ne va pas sans l’autre, leurs apparitions s’accompagnaient systématiquement de caméras et micros. Puis lorsque l’heure du dîner sonnait, ils se recroquevillaient dans leur fourgon, examinant chaque plan avec un intérêt hors pair. Si jusqu’alors cette bourgade n’avait pas connu la démesure, elle n’était plus épargnée dorénavant. Les commerçants affichaient tous complet. Tout comme le seul hôtel de la ville. Une grande première en un siècle.

Monsieur le Maire se frottait les mains, savourant la renaissance économique de ce trou de verdure. Ses peurs s’étant soudainement envolées à mesure que les vautours pénétraient sur ses terres.

Pourtant, il était bien le seul à se réjouir de cette intrusion. Tous regrettaient le calme qui régnait jadis. Paraître au lever du lit devant les projecteurs n’amusait personne. Bien au contraire. Effrayés par ce voyeurisme, les Bitterbourgeois, tenant à leur vie privée, peinaient à sortir de chez eux. Et dès qu’ils en avaient l’occasion, ils enfermaient leurs enfants entre les murs de leur maison, ne désirant guère que leurs visages ne soient à la une du prochain programme d’information.

Eric alluma la radio, s’autorisant un peu de musique. Il était certes en service mais cette agitation le rendait bègue. Comme la moitié de la ville. Tous redoutaient que les événements survenus trente ans plus tôt se reproduisent à nouveau. Bien que ces deux disparitions n’avaient pas le même modus operandi, tout laissait présager que le pire restait à venir. Si bien qu’une aura aussi étrange que terrifiante s’était emparée des habitants. Ils erraient tels des zombies à travers la ville, puis ils s'enfermaient au cinéma, espérant que les projections leur apporteraient des réponses. Si Monsieur le Maire et les enquêteurs ne le pouvaient pas le faire alors le divertissement, lui, pourrait peut-être s’en charger.

En vain.

Tous ressortaient la mine déconfite.

Malgré l’acharnement des journalistes à mettre constamment en lumière ces deux affaires, l’enquête en était au point mort. Le procureur de la République décréta même qu’aucun dispositif ne serait déployé dans la région, faute de preuves. Rien ne liait Violette à cette macabre découverte, si ce n’est les bruits de couloirs et les spéculations. Pas le moindre faisceau d’indices. Rien. Les enquêteurs naviguaient à contre-courant.

Gross contourna le centre bourg, empruntant un chemin sinueux, en retrait de Bitterburg. Il aimait prendre ce raccourci lorsqu’il recherchait la quiétude. Et ce même s’il commettait une entorse au code de la route. C’était son petit secret et il était prêt à en prendre le risque.

Le véhicule s’enfonça au milieu des pins sylvestre. La forêt de Haguenau regorgeait de mystères qui n’effrayaient point Gross. Il rêvait d’y occuper le chalet du garde-chasse, de reprendre sa suite et de finir sa vie au cœur de cet imposant massif.

Il roula plusieurs bornes avant de regagner l’axe principal. Dissimulé derrière les arbres majestueux, le cimetière se dessinait devant lui. Il se gara sur la chaussée, coupa le contact et s’empressa d’en franchir les grilles. Tapissant le sol d’une couleur orangée, les aiguilles des pins craquaient sous les semelles de ses chaussures. Marcher n’avait jamais été aussi agréable. Un champ de coton grandeur nature aussi doux qu’une moquette flambant neuve.

Son râteau à la main, Patrick Villeneuve, conservateur du cimetière, se pressa vers lui. Perturbé, il peinait à reprendre son souffle. Investi dans son travail, il appréhendait les jours comme celui-ci. Ceux où son poste était remis en cause par des sales petits vauriens. Et aujourd’hui, par de grands vauriens. Mais par chance Eric passait par là. Peut-être l’avait-on déjà averti ?

— Où est-il ? se contenta-t-il de marmonner.

Patrick tendit le bras vers la gauche et s’autorisa enfin à relâcher la pression. Son intuition était la bonne. Cet homme allait lui sauver les miches et demain, cette histoire ne serait plus qu’un mauvais souvenir. Pas de licenciement, ni de blâme… Il pouvait respirer à nouveau. Lui qui quelques minutes plus tôt pensait devoir récurer vomi et alcool entremêlés sur ces sépultures auxquelles il tenait tant.

Gross avança discrètement entre les tombes. S’il effrayait son principal suspect, alors il pourrait dire adieu à leur entretien.

Une bouteille de kirsch, à moitié vide, roula à ses pieds. Il la ramassa et la cala entre deux pots de fleurs sur l’herbe humide. Il se releva et plongea ses yeux dans ceux de Norman. Ce dernier baissa les yeux, incapable de soutenir son regard.

— Je crois que vous avez assez bu, conclut Gross d’une voix blanche.

Norman s’effondra sur la tombe de son épouse, le cœur lourd et ivre mort. Étendue sur le dos, il porta son attention sur le ciel menaçant. L’espace d’un instant, il crut même sentir une goutte lui effleurer la nuque. Mais, il était en si piteux état, qu’il ne put le constater par lui-même. Chaque particule de son corps le faisait atrocement souffrir.

— Et si nous parlions Norman. Il semblerait que nous ayons des choses à nous dire.

Il se contorsionna de gauche à droite dans l’espoir de se relever. Sans résultat. Il resta fixé au sol dans un état de dépravation la plus totale.

— Vous vous trompez de gars inspecteur, parvint-il à articuler.

— Venez Norman. Nous serions mieux au poste et pour discuter tranquillement.

— Et si je refuse ? grogna-t-il.

Ses yeux vitreux se posèrent sur le portrait de sa femme. Il tenta de l’attirer vers lui, mais pris de tremblements, il ne réussit qu’à le faire tomber. Le cadre se brisa en mille morceaux contre le marbre gris. Son visage se déforma sous la douleur.

— Tout est de sa faute.

— La faute de qui Monsieur Kohler ?

Mais Norman ne l’écoutait plus. Le regard perdu dans le vague, il continua son monologue :

— Elle n’a eu que ce qu’elle méritait. Cette enfant est l’incarnation du malin. Tout ce qu’elle touche est maudit ou finit par le devenir. Elle se plaît à répandre le malheur autour d’elle. Pourquoi vivons-nous dans une caravane à votre avis ? Parce qu’elle aurait développé des talents de pyromane juste pour m’énerver et mis le feu dans la maison que j’aurais financée à la sueur de mon front. Elle a déjà tué une première fois, elle n’aurait aucun mal à recommencer. Les astres se sont retournés contre elle. On ne récolte que ce qu’on sème.

Sa bouche se tordit. Le chagrin le terrassait.

— Et que lui est-il arrivé Monsieur Kohler ?

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