5.
5.
Dans l’humidité du petit jour, je dépassais la casemate, vêtu d’un pantalon trop large, et d’une chemise rapiécée. Le pavillon marquait le début des baraquements des mineurs. Je me noyais au milieu de la troupe qui empruntait le funiculaire de Larreineta, ce monte-charge qui transportait les individus et le minerai de fer. À l’entrée de la mine, Manuel Garcia appela les hommes et les uns après les autres, les gueules noires se dirigèrent vers la salle des pendus. Ils savourèrent une dernière cigarette, récupérèrent les vêtements, pour certains, encore humides de la veille, puis s’équipèrent d’une lampe de chapeau et des accessoires. Je me faufilai au milieu d’eux, les bousculai et parvins à me placer au premier rang. Au moment où la passerelle métallique se présenta, je pâlis et bondis en arrière. Un boiseur qui portait un oiseau sur l’épaule me tapota le bras.
— Niño, c’est à nous.
— Où dois-je aller ?
— Suis-moi. On va emprunter la cage pour descendre dans le puits.
— Señor, pourquoi amenez-vous votre canari ?
— À cause du méthane.
— Les gaz ?
— Au fond de la mine, en cas de grisou, le passereau nous avertira. Première descente, n’est-ce pas ?
— Oui, señor.
— Dans ce cas, reste près de moi. Observe mes gestes, ça va aller.
Nous étions vingt à nous entasser dans la cage. Les hommes plaisantaient entre eux. Dans un grincement d’acier, la niche plongea dans les entrailles du monstre. J’eus un mal de chien à respirer et me cramponnai à la grille avec les secousses qui me remuaient de gauche à droite. Le monte-charge tressaillit et s’arrêta d’un coup. La noirceur de la galerie et l’air sulfurique me firent paniquer, lorsque des doigts solides me pincèrent l’épaule.
— Petit, suis-moi, m’ordonna l’homme au canari.
Plus loin, la troupe marqua une halte devant un énorme ventilateur qui envoyait de l’air frais.
— Gamin, tu vas commencer par trier le charbon des galibots. Tu remplis un tas dans la benne.
Durant de longues heures, une sueur noire coula sur mes joues jusqu’au moment où retentit une sirène. Bien décidé à me reposer, je me dirigeai vers un monticule de cailloux, quand je flairai une présence qui m’observait. Mais avant même de m’asseoir, une fille, surgie de nulle part, s’approcha de moi.
— Niñato[1]. Tire-toi de là ! C’est ma place.
— Quoi ?
— Tu as intérêt à déguerpir rapidement si tu ne souhaites pas te réincarner en petite chouette.
— Mais j’étais ici le premier !
— Fais comme tu veux, mais ne viens pas pleurnicher après.
Bien qu’Elaïa n’eut que douze ans, elle se jeta sur moi en une fraction de seconde et m’enfonça la semelle de son pied dans la poitrine. Mon corps bascula en arrière et mes lèvres poussèrent un hurlement suffisamment fort pour lui crever les tympans. Les mains pressées contre le torse, les genoux ratatinés au sol, je la suppliais d’arrêter. Je demeurai un instant suspendu, avant de me redresser d’un bond, et me précipitai sur elle. Dans la bousculade, Elaïa s’écroula sur le ventre. C’est alors qu’elle plongea son regard sur ma chemisette déchirée.
— Cesse tes idioties niñato, tu te bats comme un chaton.
Les cheveux tapissés d’une myriade de poussières de charbon, mon pied s’entrava sur une pierre et m’emporta dans une nouvelle chute. La tête au milieu de sa poitrine, au lieu de déguerpir, je commençais à la regarder. Une fille terriblement jolie, avec une mèche, qui glissait le long du menton, du nez et qui lui couvrait la bouche. Ses yeux, en forme d’amande, brillaient dans le halo des lampes. La sauvageonne me poussa pour se dégager, frotta son pantalon puis camoufla son visage de ses bras tremblant. Les doigts légèrement écartés, ses joues se colorèrent de rouge.
— Tu n’es qu’un lâche ! Tu frappes les filles.
— Je n’ai fait que me défendre.
— Allons niñato, tèterais-tu encore le sein de ta mère pour te comporter comme un bambin ?
— Niña, je m’excuse.
— Ne m’appelle pas niña, mais Elaïa Asaï.
— Comment dis-tu ?
— Elaïa !
— L’aînée d’Abaigar, la sœur d’Aitor ?
— Évidemment, tu ne m’as pas reconnu ?
— Non, comme te voilà devenue une jolie fille.
Elaïa rit aux éclats et arrangea sa tenue.
— Je ne suis même pas sûre de connaître ton prénom… Luís n’est-ce pas ?
J’étais profondément attristé qu’elle confondît mon prénom avec celui de mon père.
— Bixente Ortiz de Urbina est mon nom de baptême.
— Inutile d’essayer de m’attendrir avec ta particule. Niñato suffira !
Sa peau douce, cuivrée et son visage baigné par les rondeurs de l’enfance m’ensorcelaient. Ses yeux châtain et vert lui dessinaient un regard pétillant. Des boucles en argent serties ornaient les lobes de ses oreilles. Le corsage ouvert laissait deviner une poitrine naissante.
— Je t’observe depuis un bon moment et tu me parais bien paresseux.
— C’est ridicule, tu ne me connais pas !
— Tu rêvasses assis sur les roches. Qu’est-ce qui mijote dans ta petite tête ?
— Je pensais que ce soir, je ne pourrais pas me rendre jusqu’au ruisseau pour m’entraîner.
— T’entraîner à quoi ?
— Je vais franchir le cours d’eau qui est au-dessus du village.
— Et voilà que maintenant tu te prends pour un oiseau ! Suis-moi !
Elle attrapa ma main et la serra d’une poigne de fer. Elaïa m’emporta dans une course folle vers le fond de la galerie. Nos pas stoppèrent sous un gros ventilateur et elle en profita pour réajuster son chemisier.
— Tiens-moi au courant, si tu vas au ruisseau, je ferai un saut pour voir tes exploits.
— Eh, pas si vite ! Je m’entraîne seul.
— Je te dérange ?
— Non, mais…
— Comment me trouves-tu ?
— Que veux-tu dire ?
— Tu es bizarre, je dois te répéter à chaque fois les choses.
— Tu es très mignonne.
— Imbécile ! Je te parle de mon chemisier. Je ne vais pas me déhancher devant toi, est-il bien boutonné ?
Ben oui.
[1] Gamin.

Annotations
Versions