7.

3 minutes de lecture

7.

Trois semaines s’écoulèrent tranquillement au village. Ce soir-là, sur le chemin tapissé d’une haie d’ajoncs épineux, je comptai les cormorans qui se posaient sur les roches découvertes à marée basse. Le brouhaha des tavernes, à l’heure des pintxos[1], marquait la fin de la journée. Le mouillage conservait la trace d’anciens remparts. J’aperçus Elaïa près du parapet, et lui fis un signe de la main. Mais elle détourna le visage et s’enfuit à l’angle de la ruelle d’Aretxondo qui menait à la poissonnerie de Doña Basurto. Le claquement de ses pieds nus résonnaient sur les pavés. Je m’engageai à ses trousses au cœur des alcôves du village encombrées de paniers tressés et de filets de pêche. Je finis par la perdre de vue. Sa silhouette s’était noyée dans le défilé des marins qui, au crépuscule, rejoignaient les tavernes du port. Je m’arrêtai, lorsqu’une voix m’interpella :

— Bixente, tu cours comme une vieille chèvre.

— Pourquoi, me fuis-tu de la sorte ?

Elle haussa les épaules et répliqua gaiement :

— Je ne m’échappe pas. Je m’amuse. Tu gigotes comme un petit singe de ruelle en ruelle.

— Vraiment ?

— Euh… non, plutôt comme un babouin.

Le soleil couchant clignotait de ses lueurs rosées derrière le moulin d’Aixerrota.

— Bixente, que dis-tu de ça ?

Elaïa pointa son doigt vers une affiche de propagande qui exaltait la mère espagnole fantasmée par le régime. Sur le mur chaulé, l’image montrait une dame brune avec le visage en forme de diamant. Ses joues étaient légèrement creusées. Elle était vêtue d’un chemisier et d’une jupe cintrée à la taille. La maîtresse de maison tenait fermement une poêle luisante dans la main et faisait l’éloge des onze règles d’or qui permettaient aux femmes de garder leur mari au foyer.

— Je te montre la future señora Bixente Ortiz de Urbina, se réjouit-elle d’un air taquin.

— Quelle gourde tu fais !

— Oh ! Et que penses-tu de celle-ci ?

Elle désigna un autre graffiti peint à la chaux, qui représentait le Caudillo en pleine gloire lors de la guerre du Rif.

— Pourquoi te moques-tu ainsi du Généralissime ?

— Je défie le démon comme toutes les femmes du village.

— Mais il ne te connaît même pas.

— Au contraire, le diable sait beaucoup de choses, bien plus que tu ne l’imagines. Ne vois-tu pas qu’il te surveille, et qu’il épie tes faits et gestes ?

— Nous espionner, mais pourquoi ?

— Bixente, ce prince des ténèbres peut revêtir mille parures, le Caudillo est un monstre glacial.

— Ne dis pas de bêtises, tu exagères ! Il n’est plus qu’un vieil homme. Aurais-tu oublié nos prières quotidiennes pour sa santé ?

— Tu veux dire les chants que tu ânonnais à l’école chaque matin devant le prêtre.

— Tu es injuste.

— Que sais-tu de lui ?

— Eh bien, les gens ont l’air de l’aimer, de le vénérer

— Ils se trompent, ils vivent dans le mensonge d’une dictature. La haine a empoisonné le cœur du général.

— Mais comment peux-tu connaître l’intérieur de son âme, crois-tu qu’il soit aussi cruel ?

— Ce que tu peux être énervant !

— Dans ce cas, que comptes-tu faire ?

— L’affronter.

— Tu désires défier un vieil homme ?

— Oui. Comme mon frère Aitor et mon père Abaigar.

— Le seul exploit d’Aitor est celui de sauter par-dessus le ruisseau et…

— Tu parles de la rigole au milieu de laquelle tu patauges ?

— Pff…

— Écoute-moi, Bixente, Luis est un pêcheur comme Abaigar et leur sang est le même que le nôtre.

Elaïa se blottit contre moi et m’annonça :

— Je vais t’expliquer. Pendant que tu flattes l’orgueil du général, certains des nôtres croupissent en prison et seront bientôt exécutés.

— De qui parles-tu ?

— De Julian Grimau. La justice du régime va le garroter.

— Il a sûrement dû commettre un acte grave, car ma mère me dit de me méfier des secrets les plus terribles.

— Elle t’a trompé en t’enseignant cela.

Je réfléchis un instant avant de répliquer :

— Non, elle ne ment jamais !

[1] Apéritif.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 13 versions.

Vous aimez lire Julen Eneri ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0