9.

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9.

C’était le jour des visites à la prison de Bilbao. Nous attendions, avec ma mère, dans la longue file devant les portes. Joana revenait dans cette ville qui l’avait vu naître et grandir. Les murs d'enceinte affichaient leur noirceur.

Luís Ortiz de Urbina, mon père, détenu depuis une semaine, s’était levé aux aurores. Depuis sept jours, la cellule d’isolement le privait de la lumière du soleil. Il avait faim et grelottait de froid. Il assistait sans bruit à la messe dominicale. À la fin de la liturgie, l’aumônier militaire plongea les doigts dans le bénitier. Il réajusta son uniforme et fixa les prisonniers qui s’alignaient en file indienne. Luís s’approcha, exhiba un sourire et tendit le poing fermé, vers la bouche du prêtre.

— Retire ta main, suppôt de diable rouge !

— La main d’un pêcheur vaut bien celle d’un parasite.

L’aumônier se tourna vers le geôlier responsable des détenus.

— D’où sort-il celui-ci ?

— Une pourriture du village d’Algorta, répliqua le garde.

— Allons, ne sois pas têtu et étreins la main de Dieu, tenta une nouvelle fois l’abbé.

— Je pourrai baiser le museau de n’importe quel chien, mais pas ta main.

La fronde de mon père provoqua un esprit railleur chez les autres détenus, qui se répandit et les plongea dans l’excitation et les rires.

Devant la porte de la prison, sur la grande place, ma mère, qui avait apporté une timbale de soupe de pois chiche, sentit le vent qui s’engouffrait sous son manteau. Elle tapait des pieds pour se réchauffer. Elle était nerveuse, et avançait lentement vers la guérite, tandis que j’observais la file des voitures des touristes, qui venaient de traverser la frontière et se dirigeaient vers les plages du sud. Pour ces gens qui étaient d’ailleurs, c’était la route du soleil, mais pour nous, qui étions d’ici, ce n’était que la route qui passait en face des cachots.

— Suis-moi, Bixente, c’est à nous.

Lorsqu’elle tendit ses papiers, les traits du soldat de faction se durcirent. Le garde fronça les sourcils et les jeta au sol. Ma mère s’accroupit pour les ramasser et fouilla longuement dans son sac, avant de brandir un billet de cent pesetas qu’elle donna au militaire. L’homme s’empara de l’argent qu’il glissa dans sa vareuse et déclara :

— Je regrette, mais votre mari n’est pas autorisé à sortir de sa cellule.

— Est-il arrivé quelque chose ?

— J’ai un cousin qui travaille dans le pavillon B, l’attitude butée de votre époux ne lui attire que des ennuis.

— Qu’a-t-il fait ?

— Il a refusé de s’incliner devant l’aumônier.

— Je vous en prie, j’aimerais le voir.

— Madame Urbina, je vous l’ai dit, vous ne pouvez pas le rencontrer.

La cafetière venait de siffler dans la guérite, l’autre garde appela le soldat qui se retourna. Je lui décochai un coup de pied. L’homme, opéra un demi-tour, plongea sa main sous la vareuse, retira une cigarette qu’il alluma. Je découvris un nez énorme, monstrueux et ses yeux dilatés et rouges. Il sourit avant de m’envoyer un violent coup de crosse de fusil dans le ventre. Je m’écroulai sous la douleur qui envahissait tout mon corps.

— Foutez le camp !

Sur le sol froid, je rampai. Ma mère m’aida à me relever. Une larme me piquait. Je l’essuyai.

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