Nuestra señora Del Carmen.

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1.

Saison des frimas, 1963.

Les rafales de neige continuaient à couvrir d’un voile blanc le port d’Algorta. Un ciel bas refermait ses griffes sur la Biscaye. Une vague de froid balayait les collines de Triano. Les gris de la Guardia restaient murés dans leur guérite. Ils étaient emmitouflés dans leurs longues vareuses de cuir râpé, et grelotaient autour d’un poêle à charbon. L’un des gardes réchauffait ses mains en les portant à la bouche. Il soufflait un peu d’air chaud, et marchait le nez humide.

— C’est décidé, au printemps, je demande une nouvelle affectation.

— Pour partir où ?

— Sur la côte valencienne, les saisons sont plus clémentes.

— Tu crois qu’ils vont s’embêter avec un boiteux, s’amusa Diego.

Francisco posa sa tasse de café sur le banc en bois et, agacé, rossa la guérite avec le bout de sa botte.

Nous nous promenions près du Riberamune, et approchions de l’abri en tôle à l’entrée de la caserne. Je caressais la mèche qui couvrait la joue d’Elaïa, au moment où Diego lança quelques sifflements dans notre direction. Elaïa sursauta, et vint se blottir contre moi.

Que guapa ! Niña. Tu reviens quand tu veux nous apporter du charbon !

— Laisse cette petite tranquille.

— Serais-tu le nouveau prêtre du village ?

— La ferme Diego.

— Ouais, c’est bien ce que je pensais. Tu n’es qu’un trou du cul !

— Tais-toi donc.

Diego s’attendait à ce que l’un de nous deux se retourne, mais nous continuâmes notre chemin sans échanger un regard avec les sentinelles. Ce soir, plus ému que d’ordinaire, je m’éclaircis la gorge avant de tendre la main, l’ouvrir pour laisser apparaître un collier de jade. Elaïa oublia l’incident avec le garde, et un beau sourire irradia son visage.

— Bixente, c’est de la folie ! Ce collier est magnifique !

— Je veux simplement te dire que je t’aime depuis notre première rencontre.

— Mais je sais tout cela, tu n’avais pas besoin de m’offrir un si joli bijou.

Je lui accrochai le ras-de-cou. Elaïa adorait ces moments où nous étions seuls au monde avec le regard qui voguait jusqu’à la mer. La brise souleva sa robe et j’entrevis la finesse de la peau de ses jambes.

La semaine précédente, le chef des porions, Manuel Garcia, m’avait chargé de l’assemblage des planches et des rondins de sapin qui soutenaient les corridors. La lampe qui pendait à ma hanche me heurtait comme un soleil du jour. L’équipe devait sécuriser les nouveaux couloirs. Le responsable des boiseurs m’avait confié la tâche d’habiller la cheminée qui reliait les deux galeries.

— Bixente, tu te faufiles dans le puits et tu enserres douze pièces de sciage pour protéger le goulet.

— Señor Henrique, je n’y connais rien.

— Rien de bien compliqué, sur place, tu dois tailler une double entaille avec la hache. Ensuite tu glisses deux poteaux droits sur les côtés. Pour finir, Ogro te fera passer le linteau pour supporter le tout.

Je m’essuyai les mains sur mon pantalon, poussai la lampe devant moi, et me faufilai dans le puits vertical. Arrivé au bout du corridor, je tapai contre la roche. Un petit bloc de pierre avait chuté à côté de ma jambe. J’entendais le bois qui craquait. J’étais transi de peur, à l’affût du moindre éboulement.

— Bixente, ne crains rien ! Si la terre s’écroule, je tire sur la corde, brailla Ogro.

— Tu me parais bien sûr de toi !

Je finissais de loger la dernière pièce, et m’allongeai sur le matelas de cailloux brisés. Les poussières tapissaient le halo de lumière. Je plaçai le soutènement, puis commençai à reculer. Ma lente marche arrière s’arrêta brutalement lorsque la ficelle qui ceinturait ma taille se bloqua dans un amas de pierres. Je ne parvins pas à me dégager.

— Ogro, sors-moi de là ! Je suis piégé !

— …

— Pour l’amour du ciel, tire sur la corde !

Soudain, mes mains abandonnèrent la hache, et mes bras s’allongèrent tout droit. Ogro m’empoigna par les pieds, et je découvris à nouveau le scintillement des lampes de la galerie principale.

— Bixente, ça va ?

— M’ouais, pas si sûr.

— Je pensais à un truc, vu que nous avons travaillé à deux, tu me files la moitié des pesetas.

— C’est moi qui ai plongé dans le puits.

— J’ai réalisé ma part du marché, je t’ai sorti vivant.

— Ça tombe fichtrement mal.

— Pourquoi dis-tu cela ?

— Je voulais offrir un collier à Elaïa.

— Ce n’est pas un peu puéril ?

— N’as-tu jamais été amoureux ?

— Bien sûr, ce n’est pas au fond de la mine que j’ai fait la connaissance de Dolorès. Quoiqu’il en soit un marché reste un marché.

Alors que nous nous engagions sur le chemin qui menait au cimetière, les jambes d’Elaïa tremblaient. Un vent violent s’était levé. Nous grimpâmes la colline, nos souliers s’enfonçaient dans la boue.

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