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Le grand jour approchait, comme une magie enchanteresse.
Je partis me débarbouiller au lavoir. Je n’avais même pas pris le temps d’avaler un bol de lait avec quelques tranches de pain avant de déserter l’etxea pour me rendre à la mine. Luis et Joana allaient rencontrer le clan familial d’Elaïa pour discuter de nos fiançailles. Les deux foyers allaient organiser un repas de fête à l’issue duquel je devrais rester dans la maison des Asaï. Mon père savait que les vieilles rivalités entre nos deux maisonnées resurgiraient. Aussi avait-il pris soin de laisser la camionnette près du Riberamune, et de se rendre accompagné de l’âne jusqu’à l’etxea honorable, mais misérable des Asaï ; si pauvre que la marmaille cheminait pieds nus.
— Kaixo Luís !
— Adio Abaigar. Je viens te parler au nom de Bixente, mon fils ainé.
— Entre !
Luís baissa la tête au moment de franchir la porte. Abaigar qui le suivait haussa les sourcils tout en roulant des yeux. La discussion s’annonçait fiévreuse.
— Ma maison est-elle trop basse pour toi ?
— Je n’ai pas poussé jusqu’ici pour me disputer.
L’intérieur comprenait une seule et grande pièce sombre aux meubles mal dégrossis. Dans le fond, des sarments tortueux pétillaient dans l’âtre du foyer et embaumaient d’une senteur de résine l’air étouffant.
— Bixente aurait pu noyer Elaïa lors de la fête des battelekus.
— Je te rappelle que c’est ta fille qui tenait la godille.
— Je voulais qu’Elaïa navigue avec son frère et non pas avec ton chenapan de fils. Aitor a clairement maîtrisé la course. Sa victoire était écrite d’avance, exulta Abaigar avec les yeux qui brillaient de joie.
— Parlons plutôt des fiançailles. Selon le droit ancestral, Bixente héritera de mes terres, de l’embarcation, de la camionnette, de l’âne et de l’etxea. De ton côté, Elaïa est l’aînée, lui donneras-tu le thonier ?
— Non, Aitor aura la bâtisse, le bateau et son armement.
— La coutume impose que tu transmettes tes biens au premier né de tes enfants.
— Alors, il est temps d’abroger la tradition. Aitor naviguera et Elaïa s’occupera de ton fils !
Luís se mordit les lèvres, et serra les poings, tandis que la fumée du foyer lui picotait les yeux. Son humeur s’assombrit.
— Abaigar, achèteras-tu au moins un lopin de terre et les aideras-tu à y construire leur etxea ?
— Comment ça ?
— Dans ce cas, qu’as-tu décidé, vieil Harpagon ?
Abaigar, les traits soudainement crispés, recula, empoigna le bras de sa femme pour lui faire signe de s’éloigner avec le dernier de la fratrie. Il trébucha sur une dalle relevée et reprit d’une voix tremblante :
— Je ne comprends pas.
— Quel sera le montant de la dot d’Elaïa ?
— Voici donc la raison de ta venue. Quel homme peut pousser la porte d’un humble pêcheur pour lui voler ses sandales ?
— Je donnerai tout ce que je possède à Bixente, alors que toi, tu renoncerais à offrir une couverture à ta fille !
Un étrange silence plongea Luis dans une colère noire alors qu’il put sentir les battements de son cœur qui redoublaient. Abaigar feignit de masquer sa radinerie par une tape sur l’épaule de Luis.
— Laissons nos enfants vivre leur amour en toute quiétude, le temps les aidera pour le reste.
— Disons que cela t’arrange.
Mon père fit un signe de la tête à Joana. Le moment était venu de se retirer, lorsque la femme d’Abaigar s’approcha d’eux.
— Ne partez pas si vite ! prenez une chicorée.
Elle posa sur la table la vaisselle et le café bouillant à la racine torréfiée. Abaigar huma la tasse brûlante avant de lancer une grimace et de se plaindre.
— Bon sang ! Luís voit par toi-même, j’en suis réduit à avaler ce café qui n’est qu’un fond d’eau chaude !
— Je trouve cette chicorée délicieuse, lâcha Joana.
— Je jure n’avoir jamais senti de boisson aussi parfumée, ajouta Luis. Eh bien, vieux pingre, accepteras-tu au moins de payer la robe de ta fille ?
— Peut-être que celle des noces de sa mère pourrait…
— Abaigar, hurla sa femme, cela suffit ! Elaïa travaille dur pour nous aider. Elle est notre ainée, nous lui offrirons le meilleur, et cesse de minauder !
— C’est-à-dire que je…
Tais-toi !

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