8.
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Joana aperçut le soldat qui visait Elaïa et retint son souffle. Les cris des femmes s’élevèrent et couvrirent les hurlements de Diego. Elaïa, adossée à la falaise, avec le regard perdu, fixait la sentinelle. Alors qu’un vent puissant venu du large pliait les herbes hautes qui parsemaient l’abrupt, Elaïa songea soudain que « ce lever du jour était une belle matinée pour renaître ».
— Approche par ici ma mignonne.
La larme à l’œil, elle tourna la tête en direction du dôme poli, lança un sourire à Joana, puis elle écarta les bras, et d’un pas maladroit, se hasarda sur la bordure du précipice.
— Sale conne ! Je t’aime !
Le pied droit d’Elaïa qui surplombait le vide dérapa. Quelques pierres roulèrent au bas de la paroi, lorsqu’une détonation claqua d’un bruit sourd.
— Tu m’appartiens à tout jamais !
Le brouhaha des femmes et des pêcheurs qui se précipitaient vers la falaise couvrit la tragédie tricotée par la bassesse d’un homme.
— J’aurais pu te rendre heureuse ! J’étais le seul à t’aimer, nous aurions pu partir ensemble pour la ville de Valence. Je t’observais chaque jour, cet endroit n’était pas fait pour une fille comme toi.
Elaïa porta la main à la poitrine et sentit ses pieds nus glisser sur les pierres humides. Elle bascula en arrière et disparut dans l’abîme. Près du dôme de granite, Joana ferma les yeux. Le silence se prolongea une fraction de seconde avant qu’elle ne trouva le courage de parcourir du regard le bas de la falaise. Les pêcheurs restèrent un temps immobiles le long du sentier, puis s’avancèrent, les poings serrés, vers la sentinelle. Diego, avec les dents noircies par le tabac, caressa sa moustache, et ne tarda pas à être encerclé par les villageois. Il ne pouvait s’échapper. Il arma le chien et pointa son fusil vers la cohue, prêt à faire feu.
— Si vous approchez, je tire !
Un soldat ouvrit une brèche au milieu de la foule, rejoignit Diego. L’homme qui boitait le saisit à la gorge avec l’envie de le balancer dans le vide.
— Diego, sois damné !
— Francisco, c’est cette fille…
— J’ai tout vu.
— Je te jure, elle haïssait notre Caudillo, elle tramait un complot…
— Je ne veux plus t’écouter, je vais te livrer aux autorités sur le champ !
— Mais, elle désirait la mort du général ! Tu dois me comprendre, je suis un héros !
Francisco colla sa bouche à l’oreille de Diego.
— Je maudis la mère qui t’a mise au monde !

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