4.

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4.

Avant de quitter le port, je regardais une dernière fois les eaux sombres et paisibles. Mais au bout de quelques minutes, une angoisse vint me glacer le sang. Alors que tous les matins, je m’étais réveillé, avec ma vie suspendue au désir de vengeance, je n’avais rien envisagé pour ma fuite.

Je me hâtai vers la bâtisse familiale, lorsque j’aperçus un détachement de gardes civils qui se tenait embusqué, à l’angle de la rue Portuzarra. Je me tapis sous la voûte d’une porte cochère et scrutai la patrouille. Quand il devint clair que je ne pouvais pas retourner à l’etxea, je me glissai le long des murs et rejoignis le ruisseau sur le haut plateau. Mais avant même d’atteindre la grosse pierre plate, marquée d’une croix blanche, une voix m’interpella :

— Bixente !

Je m’arrêtai avec la peau soudain moite. Je retirai un mouchoir de la poche de ma veste pour m’essuyer le front. Une ombre s’avança vers moi et m’empoigna par le poignet.

— Francisco ?

— Toute la garnison est à tes trousses.

— Je m’en fiche !

— J’ai toujours su que tu étais suffisamment courageux pour te venger.

— Je voulais me faire justice.

Après un très long silence, Francisco, le militaire dont le visage paraissait taillé dans la roche reprit la parole avec beaucoup de fermeté.

— Espèce de fou ! ils vont te poursuivre. Si tu restes dans le village, ils finiront par te mettre la main dessus.

— Et alors ? Crois-tu que je craigne d’affronter les soldats ?

— Oh non, bien sûr. Mais ils te jetteront dans une geôle miteuse et ils te laisseront croupir jusqu’à ce que tu sois traduit devant un tribunal.

— Que dois-je faire ?

— Tu dois te sauver, fuir loin du hameau.

Je vis le visage de Francisco se radoucir au moment où il posa sa main sur mon épaule.

— Disparais à tout jamais dans les montagnes.

— Je ne sais pas où aller, je suppliai alors que je n’esquivai plus son regard.

— J’ai grandi non loin du pont de Jentilzubi. Quelques kilomètres plus loin, en longeant le cours d’eau, tu trouveras un hameau comme suspendu dans les nuages. Dès que tu entreras dans le patelin, le chant du coq et les aboiements des chiens ne manqueront pas de signaler ta présence, mais sois sans crainte, c’est un lieu sûr.

— À qui devrais-je m’adresser ?

— Auprès du docteur Eneko Eneri, me lâcha Francisco en remontant le col de sa vareuse.

— Qui est-ce ?

Francisco se laissa envahir par l’émotion. Il attrapa son fusil qu’il reposa en bandoulière autour de l’épaule.

— Mon père. Je te retrouverai ici à la tombée de la nuit, je t’apporterai quelques provisions. Je vais t’aider à quitter le village. Bixente ?

— Oui ?

— Tu ne pourras jamais revoir les tiens, ni ta mère Joana, ni ton père Luis ou ta petite sœur Isabela.

Je m’effondrai à ses pieds et sanglotai. Je frappai violemment du poing la terre battue.

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