6.

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6.

Au petit jour, dans l’air vif, je remuai les tisons du foyer et rallumai les quelques flammes chétives du brasier. Assis en califourchon, j’observais les scintillements des premières lueurs qui animaient la côte de Biscaye. La mer était lisse, comme assoupie.

Dans le bas du vallon, j’entendis le grelottement des clochettes accrochées au poitrail des vachettes et du nid d’aigle, découvris un village perché entre les montagnes. Mon baluchon à l’épaule, je me mis en marche et trottinai vers les fumées qui saupoudraient les toitures d’ardoise. J’atteignis la croix aux abords du bourg, me blottis derrière, et regardai de gauche à droite avec la crainte d’être aperçu qui me tenaillait. Je demeurais caché un bon moment avant de me fondre dans le hameau. Je m’arrêtai devant une forge, poussai le battant lorsque je tombai sur un homme à la musculature puissante.

— Adio. Qu’y a-t-il pour vous aider ?

— Je cherche la maison du docteur Eneko Eneri.

Le forgeron désigna de l’index le bas de la ruelle avant de reprendre avec davantage de curiosité :

— D’où viens-tu  ?

— D’Algorta.

— Il y a des bruits qui courent ces derniers temps.

— Quelles rumeurs ?

— La Guardia civile poursuit un gars du village d’Algorta.

— Je ne suis pas au courant.

— On prétend qu’il aurait poignardé un soldat, et qu’il serait en fuite.

— Que dites-vous ?

— Cela pourrait nous attirer des ennuis dans le village.

— Je n’ai rien à cacher !

Un sentiment de peur marqua mon front, je m’écartai du forgeron.

— On raconte que l’individu s’est réfugié dans nos montagnes, et qu’il porterait un pendentif en argent, une croix basque.

L’homme approcha sa main massive près du col de ma veste et désigna le médaillon autour de mon cou.

— Une croix comme celle-ci.

L’insistance du maître artisan renforça ma méfiance.

— Je dois partir. J’ai un message à remettre au docteur Eneri.

— Une lettre ?

— Oui, de la part de Francisco, son fils.

— Dirige-toi vers la sortie du bourg, tu ne peux pas rater l’etxea d’Eneko, c’est la plus grande du patelin. Sur le linteau en pierre, tu verras une date gravée, 1840.

Je me faufilai à l’intérieur du village. À cette heure il y avait encore peu de monde dans la ruelle. Sous la pluie fine qui crépitait sur les toitures, j’atteignis la demeure et me plaçai derrière la fenêtre de la cuisine. J’épiai un homme attablé, avec une besace en cuir posée à ses pieds. Il ouvrit un journal plié en quatre lorsqu’il sentit une présence qui l’observait. Il tourna la tête dans ma direction et devina une forme, le visage collé contre la vitre. Nérea, sa femme, pénétra dans la pièce.

— Je t’ai préparé un bain chaud.

— Ce n’était pas la peine, je ne vais pas tarder à partir visiter mes patients. As-tu remarqué ma chérie combien les journalistes sont devenus maîtres du sous-entendu depuis cette nouvelle loi sur la presse.

— Que veux-tu dire Eneko ?

— L’article que je suis en train de lire parle du poids des thons pêchés et des pièces de gibier abattus par Franco. Ils écrivent que le généralissime tient une forme éblouissante.

— Eh bien ?

— Il suffit de comprendre à demi-mot que le caudillo décline et que son état de santé est un sujet tabou. Mais en tant que médecin, je ne suis pas dupe, l’homme est atteint de la maladie de Parkinson. Regarde la photo sur le journal !

— Comment peux-tu reconnaître une telle maladie sur un simple cliché ?

— Il est raide comme une statue de cire avec les mains croisées sur le ventre pour cacher les tremblements.

Je tambourinai très fort à la porte comme si je voulais sonner des cloches.

— Eneko, as-tu entendu ? Qui peut bien frapper chez nous à une heure si matinale ?

— Celui qui guette derrière la fenêtre.

— Je n’ai vu personne.

— Nérea, va donc lui ouvrir.

Je m’engouffrai dans la pièce. Nérea désigna de la main une chaise pour que je m’assoie. Je remarquais la paroi rocheuse qui dessinait de ses contours le mur du fond.

— Jeune homme, vous n’êtes pas d’ici, n’est-ce pas ?

— Je garde les troupeaux dans les hauts pâturages.

— Comme ça, vous êtes berger ? demanda Nérea.

— Je pense plutôt à un fuyard. Je crois qu’il s’agit du gars que la Guardia recherche.

— Eneko, que dis-tu ?

— La personne dont je t’ai parlé hier.

La panique me saisit. Je plongeai mon regard dans les yeux d’un bleu profond du docteur, qui se levait et se dirigeait vers l’évier en pierre pour se laver les mains. Peut-être qu’Eneko refuserait de m’écouter, de prendre et de lire la lettre de Francisco, ou pire qu’il allait me dénoncer.

— Avant toute chose, tu dois savoir que nous sommes des personnes de confiance.

— Francisco m’envoie.

— Francisco ? lâcha Nérea avec un sourire ravi.

— Je vous apporte un courrier.

— Pose-le sur la table. Tu dois avoir faim, n’est-ce pas ?

— Oui.

— Nérea va chercher une miche de pain et du jambon de montagne, ce jeune homme doit être affamé.

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