7.

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7.

Nérea préparait dans le réduit étouffant de la cuisine, le déjeuner d’Eneko parti pour sa tournée. Je m’étais endormi d’un sommeil de plomb, près de la cheminée, la tête ramassée entre les mains. Nérea chassa du bras les mouches qui grouillaient autour du plat, se tourna à moitié vers moi et, intriguée, prit la décision de fouiller ma veste, posée sur la chaise. Elle trouva la lettre de Francisco pliée en quatre. Elle s’apprêtait à lire lorsqu’elle entendit la voix rocailleuse et chantante de son mari qui bavardait avec le forgeron dans la cour. Elle glissa d’un geste rapide le message sous le balluchon à mes pieds. En entrant, Eneko ne dit pas un mot, et partit s’asseoir à la table. Il sortit de sa musette un dossier, tandis que Nérea se tenait debout derrière lui.

— Cette maudite route était encombrée de rochers. Il est grand temps que les autorités construisent un nouvel accès.

— Eneko, la chaussée n’est pas le sujet. Le jeune homme est resté à somnoler là, près de l’âtre depuis ton absence.

Eneko se gratta la gorge pour attirer mon attention.

— Hum. Hum !

Je me redressai d’un bond, et regardai en silence les petits pains dorés, délicieusement parfumés à l’orange que Nérea venait de déposer sur la table.

— Comment t’appelles-tu ?

— Bixente.

— Es-tu celui que la Guardia recherche ?

— Non, je suis à la recherche d’une brebis égarée.

— Dans ce cas, comment la lettre de Francisco s’est-elle retrouvée en ta possession ?

— J’ai fait la rencontre de Francisco au pont de Jentilzubi. C’est là-bas qu’il m’a remis le message.

— Arrête de mentir ! Je sais que la Guardia est à tes trousses et que tu es le fuyard d’Algorta. Bien, et cette fameuse lettre, où est-elle ?

— Dans ma poche.

— Je crois l’avoir aperçu sous ton balluchon, lança Nérea. Elle a surement dû tomber de ta veste lorsqu’Eneko t’a demandé de la poser sur la table.

Je me penchai, et les doigts gourds, je ramassai le message que je tendis au docteur.

— Comment va-t-il ?

— Il s’inquiète pour vous.

— Je devine que s’il t’envoie, il a sans aucun doute un service à nous réclamer.

Le dos appuyé contre la chaise, le regard perdu, je me mis en boule.

— Je ne peux plus retourner dans mon village, la caserne est sur mes pas. J’ai besoin de votre aide.

Autrefois, alors qu’il contemplait le cirque immense qui déployait ses cimes blanches au-dessus de la vallée, Francisco, avait défié l’autorité d’Eneko. Son fils s’était engagé dans les forces nationalistes, et les deux hommes avaient sombré dans une dispute avec des paroles haineuses. Ils s’étaient quittés sans le moindre regard.

Alors qu’Eneko lisait la lettre, mon exil semblait lui rappeler cette terrible blessure. Il se dit que le temps était passé trop vite, que la guerre civile était terminée et que celui qui se tenait devant lui avait besoin de son aide.

— Désormais, tu es un criminel.

— Je sais, j’acquiesçai à demi-mot.

Le docteur accueillit cette réponse simpliste par un haussement d’épaules. Il plissa le front. Un lourd silence tomba dans la pièce. Eneko repoussa loin devant lui l’assiette avec les petits pains dorés. À vrai dire, il paraissait bouleversé après la lecture du message de Francisco. Nérea, qui jusque-là se tenait à l’écart, s’approcha et entoura de ses bras son mari.

— Eneko, que dit cette lettre ?

— Il écrit qu’il nous aime et nous demande de prendre soin de Bixente.

Elle lâcha un gloussement de joie avec une lueur qui brillait dans ses yeux. Elle sauta au cou d’Eneko et lui réclama de lire encore et encore le message.

— Bixente, regrettes-tu ton geste ?

— Non, le garde était responsable de la mort d’Elaïa, ma fiancée.

— Que comptes-tu faire maintenant ?

— Je dois me cacher.

— Tu peux rester chez nous. La Guardia civile s’est emparée d’un imprimeur et d’un mineur. Le savais-tu ?

— Non.

— Les soldats les ont amenés dans les geôles de Bilbao. La Benemerita[1], s’est chargée d’eux.

— Que risquent-ils ?

— Les hommes de la Capitainerie générale les ont sévèrement questionnés et torturés. L’un des deux n’a pas survécu, quant à l’autre, je ne donne pas cher de sa peau.

— Connaissez-vous les noms de ces hommes ?

— Juste leurs sobriquets, Intrepido et Ogro. Je me suis rendu dans la cellule où, gisait un hercule, une force de la nature. Le colosse n’était plus que l’ombre de lui-même. Ils lui ont brisé les os.

— Non ! Ce n’est pas possible. Pas lui, pas Ogro !

— Tu connaissais ce mineur ?

— Oui, j’ai travaillé à ses côtés à la mine d’Arboleda. Quant à l’imprimeur, je ne l’ai croisé qu’une seule fois au cimetière de Nuestra Señora Del Carmen.

— D’après mes informations, il n’a pas survécu aux sévices. Il y a eu d’autres arrestations dans le village. Il a dû craquer et parler.

J’avais envie de crier, au moment où je me souvins avec quelle force Ogro, m’avait sauvé la vie.

— Nérea va te préparer une chambre. La Guardia ne monte jamais par ici.

[1] Police secrète du régime.

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