8.
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Dans la pénombre de sa cellule, Ogro couchait sur un bout de papier que sa femme lui manquait, que les senteurs d’embruns iodés de la baie d’Abra s’effritaient de sa mémoire avec les heures qui passaient. Il se souvint les reproches de Dolorès lorsqu’elle découvrit ses cheveux blanchis après sa première descente dans les entrailles de la mine d’Arboleda. Les gueules noires l’écoutaient, lui Ogro, celui qui réussissait à chanter dans les cadences infernales. Le tribunal militaire lui avait collé la complicité du meurtre de Diego Camacho. Les soldats avaient déposé le corps d’Intrepido à la morgue.
Il redressa la tête et entendit le bruit du seau métallique qui ripait à coup de pied dans le couloir et celui de la serpillière qui glissait sur le sol. Les gardiens l’avaient privé de parloir lorsque Dolorès était venue lui rendre visite. La serrure grinça et la porte s’ouvrit.
— Veux-tu que je me charge de remettre la lettre à ta femme ? lui demanda le geôlier.
— Je peux te faire confiance ?
— J’en ai une autre à apporter à Getxo.
Ogro frémit et comprit que dans quelques heures, il serait fusillé. Il avait des milliers de questions sans réponses. Sa fin était proche. Le soldat déposa sur la chaise une chemise propre et récupéra la lettre.
— L’aumônier viendra avant que le jour se lève.
— Et ensuite ?
— Ils te feront passer par une porte dérobée pour t’amener à l’aube, en camion à l’extérieur du bourg.
— Où ça ?
— Loin de tous les regards. Ton corps sera remis à ta famille.
Le garde sortit. Ogro ferma les yeux, remonta le col de sa veste, s’emmitoufla dans la couverture pouilleuse et pleura. Le régime exécuta Ogro le 15 août 1966, fusillé au petit matin, à une heure ou les campagnes restaient endormies.

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