12.
12.
Cela faisait maintenant un an que je vivais mon exil auprès de Nérea et Eneko. Ce jour-là, à la veille de la nochebuena[1], je n’étais pas seul sur la piste qui menait à l’ermitage de San Blas.
Je marchais sur le sentier couvert d’un manteau blanc et mes souliers étaient alourdis et durcis par la poudreuse. J’accusais la fatigue au rythme de mes pas, et croisais ma veste côtelée sur la poitrine pour me réchauffer. Je tournai la tête vers le bas du chemin, intrigué par le bruit suspect de la neige qui craquait. L’écho se tut. Je portai un œil attendri sur la grande toile neigeuse qui brillait sous la forêt. Après quelques secondes de silence, je regardai à nouveau en arrière et m’assis sur une grosse pierre plate en plaçant le bout de mes doigts humides devant les lèvres. Je savais que j’avais commis une imprudence avec la cafardeuse, la femme de Gorka, le forgeron. Ces derniers jours, elle ne me quittait pas d’une semelle. La veille, alors qu’elle se tenait près de la porte de la fonderie, en me voyant, elle se faufila derrière moi et vint me questionner.
— C’est vrai que tu arrives de Valence ?
— Pardonnez-moi, je suis pressé, je dois rejoindre Eneko.
— Il ne faut pas t’en faire, le docteur Eneri se doute bien qu’avec la route enneigée, tu ne peux pas te rendre par ce temps jusqu’aux hameaux dans le bas de la vallée. J’ai entendu dire que la vie à Valence est plus facile.
J’aurais voulu lui répondre que je venais du village d’Algorta et que tout le monde apprît que j’avais vengé ma fiancée, mais je me contentai de ciller des yeux. Juché à côté du fourneau, Gorka martelait le fer d’une hache sur l’enclume. Il inclina légèrement la tête dans ma direction et les tempes rouges, il écouta avec attention ce que la cafardeuse, sa femme, me demandait. Elle m’interrogeait à nouveau sur ma famille, les gens, la manière de s’y rendre, le temps. Par bonheur, Nérea qui m’avait rejoint se tint face à la cafardeuse, les mains sur les hanches.
— Et alors ? Tu ne peux pas t’empêcher d’ennuyer mon neveu !
— Du calme, ma belle. Pourquoi t’énerves-tu comme ça ?
— Allez, Andrés, dépêche-toi à descendre jusqu’aux fermes d’en bas. Je serai plus rassurée de te savoir aux côtés d’Eneko avec toute cette neige.
— Je pars tout de suite.
Je regrettais de ne pas avoir suivi le conseil de Nérea, quand elle m’avait raconté avec quelle rapidité, la cafardeuse et Gorka étaient soudainement devenus phalangistes au moment où la République s’était écroulée.
Le craquement du tapis blanc résonna à nouveau. Je guettai le chemin lorsque j’aperçus une silhouette qui plongeait pour se cacher sous la passerelle en bois. Sans attendre, je me levai et m’empressai de m’éloigner au travers d’une haie de petits buissons.
Cet hiver-là, avec l’arrivée des premiers flocons de neige, la peur de la trahison pointait le bout de son nez. Hier, comme aujourd’hui, je devais me méfier de tout.
[1] La nuit du 24 décembre.

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