15.

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15.

J’allais vivre ma première trahison.

Le cœur léger, je m’enfonçais dans le vallon, et j’empruntais un autre chemin que celui habituel, plus rapide, mais défoncé et obstrué par les derniers éboulis. Je sifflotais et contemplais la beauté de la montagne avec ça et là des chênes immenses qui étendaient leur feuillage au-dessus de la sente. Je connaissais maintenant le mont par cœur et pouvait me rendre à l’ermitage les yeux fermés. Je longeais la ravine qui menait au puits d’enfer.

Je jetai un coup d’œil sur ma montre qui m’indiquait que je marchai depuis une bonne heure. Le front ruisselant sous mon béret, j’abordai le dernier virage avant d’atteindre la gorge. J’accélérai le pas et m’agrippai aux bosquets de buis chargés de petites fleurs jaunes, gonflés de pollen. Je relevai le menton, et entendis les cris puissants d’un pic noir et piqué par la curiosité, je m’arrêtai un bref instant pour observer le manteau neigeux parsemé de résineux. C’est alors que le chant et le tambourinage de l’oiseau cessèrent d’un coup. Un long silence envahit la ravine. Je sursautai en voyant surgir Jaime, avec l’index sur la bouche pour m’ordonner de ne rien dire.

— Qu’y a -t-il mon père ?

— Chut !

— Désolé…

— Tais-toi, Bixente.

Je fus surpris d’entendre mon prénom de la bouche de l’ermite.

— Qu’y a-t-il ?

— Tu dois partir tout de suite. Retourne chez Eneko et dis-lui que la Guardia civile connaît ta planque.

Mon cœur s’emballa brusquement.

— Comment cela est-il possible ?

— La femme du forgeron.

La cafardeuse ?

— Oui, elle appartient à un réseau d’informateurs.

— La vipère !

Je replongeai dans le silence, effondré, et relâchai les bras le long du corps.

— Les soldats sont montés hier jusqu’à l’ermitage. Par chance, le lieutenant était persuadé que je ne savais pas grand-chose. J’ai réussi à le berner en lui parlant d’un pendentif avec une Vierge de miséricorde.

— Mais je porte une croix basque…

— Cela devrait te laisser un peu de répit.

Une lumière chaude teintait les murs de l’édifice de pierres. La porte de l’ermitage claqua d’un son lourd avec la silhouette d’un soldat au gros ventre qui apparut sur le seuil.

— Mince ! les militaires sont revenus. Une cohorte t’attend en embuscade. Je n’ai pas réussi à les tromper bien longtemps. File d’ici !

— Et vous, mon père ?

— J’aurai des ennuis, mais rien de bien sérieux. Fonce par la ravine et ne traîne pas en chemin !

Je jetai mon sac sur l’épaule et je m’élançai dans le puits d’enfer. Sans flâner, j’escaladai et franchis les énormes rochers qui grouillaient dans le cours d’eau. À l’endroit où le ruisseau dessinait des tourbillons d’écume, je restai figé devant l’obstacle. Puis, je me ressaisis et ramassai un long morceau de bois. J’entendis dans le lointain le hurlement de l’escouade qui s’était précipitée à mes trousses. De mon enfance à Algorta, j’avais gardé le souvenir de mes exploits lorsque j’enjambais le ruisseau du plateau. Le bouillonnement des eaux souleva une traînée blanche. Je pris quelques pas d’élan et bondis, la tête levée, le bâton tendu droit devant moi. D’une voltige puissante, je m’arrachai et retombai sur la berge opposée. Je grimpai le talus couvert de ronces. Dans le lointain, des salves de fusils résonnèrent. Je redoutai le silence qui s’installa un bref moment avant de me maudire lorsque retentit le bruit d’un coup de grâce.

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