chapitre premier: le cercueil de l'amiral.

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1973 Madrid.

1.

La pension Mariposas se trouvait à l’abri du regard des curieux, face à la gare d’Atocha, au cœur de la capitale madrilène. Sur la porte d’entrée, un écriteau invitait les passants à continuer leur chemin pour cause de travaux. La réception était vide, hormis une vieille caisse enregistreuse.

Nous étions cinq, cinq hommes, assis autour d’une table à discuter depuis le début de la matinée. Le plus grand d’entre nous, Alfred Marinetti, avec les doigts entrelacés, gardait le silence. Il était le seul à connaître le maniement des explosifs. À sa droite, Andoni Christo, un individu au caractère trempé, se curait les ongles, tandis que le plus jeune, Iban, un Galicien jouait avec la lame de son couteau. Il pressait le cran d’arrêt pour faire jaillir la partie d’acier à double tranchant, fine et aiguisée. Quant à Julen, il confectionnait un plan sur un bout de papier et notait les distances entre des croisements d’avenues. Alors qu’Iban dégaina à nouveau son muela, je jetai un coup d’œil rapide vers la fenêtre et demandai à Julen :

— Montre-moi où se trouve la rue Coello sur le dessin.

Julen fit pivoter le croquis et marqua d’une croix l’intersection entre les artères Maldonado et Coello. Le téléphone bourdonna. Trois drings brefs. Nous gardâmes le silence un moment lorsque retentit une quatrième sonnerie. Paulino qui se tenait accoudé au comptoir décrocha.

— Allo… Demain, quatorze heures… Sur la terrasse… C’est noté, il sera là.

Julen se leva, croisa et décroisa les bras, et se mit à jouer avec le crayon entre les doigts.

— Qui est-ce ?

— Le moine, Antonio Pragas. Tu dois le rencontrer demain à quatorze heures à la terrasse du Collado.

— Bien.

— Tu lui fais confiance ?

— Sans l’ombre d’un soupçon.

Je m’emparai d’une cigarette que j’allumai, la troisième depuis le lever du jour. J’étais nerveux et tapotai la tige sur le cendrier. Je réfrénai à grande peine une sensation de malaise. Pour tout dire, j’hésitai encore à participer à l’attentat. Je me tournai vers Julen avec une boule dans le creux de l’estomac. Il sentit que j’étais mal à l’aise, s’approcha, tendit son bras et posa sa main sur mon poignet.

— Bixente ?

— Oui.

Je me forçai à le regarder dans les yeux.

— Toi, tu as du mal à prendre ta décision, n’est-ce pas ?

— Donne-moi un peu de temps.

— Écoute, cette fois, on s’attaque à la pièce principale de ce régime.

— Ce n’est pas mon combat.

— Tu sais très bien que l’amiral s’emparera de la succession de Franco.

— Je n’en suis pas certain.

Je me souvenais de la tragédie d’Algorta, de la mort d’Elaïa et de la manière dont je m’étais fait justice. Je marquai une pause un court instant comme pour mieux soupeser chacun des mots que j’allais prononcer.

— Le soldat Diego était directement lié au décès d’Elaïa. Je l’ai éliminé pour la venger. Mon monde, ce jour-là, s’était écroulé, mais Carrero Blanco n’était pas responsable.

— Bien au contraire, Diego ne faisait qu’obéir à la ligne de ce régime. Et celui qui guide les pas du Caudillo n’est autre que l’amiral.

Tout cela m’effrayait. Je m’efforçai de lancer un pauvre sourire quand Julen froissa le paquet vide sur la table. Il se rassit, renversa sa tête contre le dossier et passa ses bras derrière la nuque.

— Mes amis, il est trop tard pour reculer. Nous sommes tous un élément du puzzle.

— Super ! lâcha Alfred qui ne trempait dans les affaires louches qu’avec l’assurance d’un paiement sonnant et trébuchant.

Julen se redressa de la chaise, frappa le poing sur la table et lança d’un ton tranchant :

— Alfred, dépêche-toi à te procurer les explosifs ! Andoni et Iban, vous vous occuperez de la logistique ! Quant à toi, Bixente…

— Moi ?

Tu vas creuser le plus beau métro de Madrid.

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