8.
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Mardi 18 décembre 1973.
L’Américaine venait de franchir la grille du jardin. L’amiral profitait du trajet pour feuilleter le dernier livre qu’il avait publié : L’Espagne avant le monde. Il aimait brouiller les pistes en écrivant sous des noms différents, parfois Juan de la Cosa ou bien Ginès de Buitrado. Luís Carrero Blanco était ravi du succès rencontré en librairie par le manuscrit, son huitième ouvrage.
— Fernando, connaissez-vous cet auteur ?
— De qui parlez-vous, Éminence ?
— Juan de la Cosa.
— Non, Éminence, l’individu doit sûrement être un intellectuel de gauche.
L’officier supérieur esquissa un sourire. Le véhicule se gara au pied des marches de la paroisse. Les rayons matinaux éblouissaient les vitraux. Sur le perron, des femmes vêtues de noir papotaient entre elles sans prêter attention au militaire. Carrero Blanco s’engouffra dans l’église d’un pas rythmé, accompagné de ses trois gardes du corps. Le dignitaire passa à côté de Julen, équipé d’une boîte à outils, qu’il serrait contre lui. Les deux hommes se bousculèrent, et le lion détourna son regard, sévère et froid. À la fin de la messe, ils se frôlèrent de nouveau. L’amiral s’arrêta et dévisagea Julen. Carrero Blanco s’amusa du pull épais qui le boudinait sous la veste. Il s’aperçut que la caisse, ouverte, était vide.
— La première fois que mon épouse m’a offerte une boite à outils, j’ai cru qu’elle était pleine, mais pas une seule pince à l’intérieur.
Julen comprit tout de suite l’erreur stupide qu’il venait de commettre.
— Bon sang ! Encore une blague de mon collègue.
— Et pour couronner le tout, j’ai égaré la caisse, je ne sais où.
L’amiral embarqua par le bras Julen et l’entraîna avec lui vers la sortie. La crainte tenaillait mon ami. Une fraction de seconde il pensa être démasqué, lorsque Carrero le libéra et lui déclara :
— C’est ici que nos chemins se séparent. Je dois œuvrer pour la grandeur de l’Espagne, passez une bonne journée.

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