14.

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14.

Le père jésuite reprit ses esprits, et se traîna jusqu’à son bureau. Un grondement sourd qui semblait lui percer les tympans résonnait dans sa tête. La fraîcheur matinale dévorait la pièce aux vitraux fracturés. Il grelota. La soutane mal remballée, il se précipita sur la poignée du tiroir de la commode, l’ouvrit et récupéra une fiole. Alors qu’il ne desserrait plus les mâchoires, il s’engouffra à toute foulée dans le couloir qui menait à la corniche.

L’Américaine, le toit scalpé encore tout fumant, était posée sur le parapet qui surplombait le jardin du couvent. Le hayon arrière se dressait vers le ciel avec des impacts qui martelaient la carrosserie de 1738 kilos et le clignotant droit qui continuait de fonctionner. Comme s’il ne comprenait pas ce qu’il se passait, le père Turpin réalisa que l’individu captif du Dodge n’était autre que l’amiral Blanco. Il vit l’amiral qui envoyait ses poings fermés contre la vitre du Dodge. Vingt fois au moins, le militaire avait cogné la porte de l’épaule pour l’ouvrir.

Son uniforme de la marine en lambeaux, il lâcha prise, rejeta la tête en arrière et recracha un filet de sang. Il plongea la main meurtrie dans sa vareuse et agrippa une photographie, le portrait en noir et blanc de sa femme. Il espérait pouvoir se libérer de la carlingue et se blottir une dernière fois dans les bras de Maria. Il fixa le plafond de la limousine et pleura.

Le père Turpin aperçut l’amiral, le visage appuyé contre la vitre, qui hurlait qu’il ne voulait pas mourir. Les forces de Luís l’abandonnaient et sa respiration devenait lourde, d’un rythme capricieux. Il renifla, reprit son souffle, et cria le prénom de María jusqu’à ce que sa voix se taise. Dans les secondes qui suivirent, ses sourcils ne remuaient plus d’un millimètre.

Un frisson parcourut le dos du père Turpin qui s’écroula, les genoux à terre, la main appuyée contre la carrosserie. Il leva la tête vers les cieux et pleura. Le monastère paisible dans lequel il vivait depuis cinq ans lui semblait désormais fragile. Il contempla un long moment les étourneaux qui venaient se percher sur la rambarde, avant de se ressaisir et de verser quelques gouttes d’huile consacrée dans le creux de la paume. Il plaça son pouce à l’endroit où reposait le visage de l’amiral et déclara :

— Que par cette onction sacro-sainte et sa très douce miséricorde, Dieu vous pardonne ce que vous avez fait de mal par les yeux, par les…

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