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Marinetti, libéré de ses liens, plongea dans la nuit noire et longea un tertre sableux. Il marcha d’un pas précipité pendant vingt minutes avant de se retrouver bloqué par un cours d’eau. Il retroussa son pantalon et s’enfonça dans les flots peu profonds et saumâtres jusqu’à l’autre rive hérissée de roseaux. La lune traçait un disque parfait sous un ciel d’encre. Dans le lointain il entendit les aboiements des chiens qui lui indiquaient la présence d’une ferme. Il se dirigea en direction des jappements de plus en plus furieux. Il s’installa sur un monticule argileux et observa le halo jaune d’une lampe qui filtrait sous l’avant-toit du bâtiment. Il écouta la voix du propriétaire qui hurlait contre les grognements des bêtes de garde. Le paysan pointa la lumière dans la direction de l’artificier. Alfred s’accroupit et se tint prudemment caché dans les tiges hautes avec la crainte d’être repéré. De la butte, il sentit l’odeur du fumet qui mijotait et s’élevait du fourneau. Le vieil homme avec le ventre qui gargouillait rentra dans la maison. Marinetti promena son regard sur les champs de blé et marcha sans bruit vers le chemin de terre battue. Le crissement des roseaux et sa respiration haletante étaient les seuls sons qui perçaient la nuit. Il dépassa avec les jambes pantelantes le baraquement des ouvriers agricoles et, ivre de joie à l’idée de s’en être échappé, son visage s’illumina d’un large sourire. Il fit une halte près d’un puits lorsqu’il distingua dans la pénombre une silhouette qui s’approchait.
— Tu ne pensais pas t’en sortir aussi aisément.
— Qui êtes-vous ? demanda-t-il d’une voix devenue tremblante.
— L’intérêt d’une cavalcade, c’est qu’elle finit toujours par prendre fin.
— Que me voulez-vous ? Je n’ai causé de mal à personne, lâcha Alfred qui céda à la panique.
— Je suis venu terminer le travail.
Marinetti resta figé sur place alors que les premiers embrasements du jour se détachaient sur la ligne d’horizon. L’inconnu, maintenant muré dans le silence, cassa une noix et avala d’un trait les cerneaux. Puis, il sortit de sous sa veste côtelée un colt python. Alfred tressauta à la vue de l’arme et supplia avec les mains jointes.
— Par pitié, que me voulez-vous ?
— Courbe la tête ! lança l’homme qui contourna Alfred et posa le bout du canon sur sa nuque.
Les yeux baissés, l’artificier continuait à implorer le pardon. Puis il se roula en boule et fondit en sanglots avant de bafouiller dans un dernier espoir :
— Les officiers de la Marine m’avaient promis la vie sauve.
— Je me suis servi de ces idiots pour te faire sortir de ta planque. C’est moi qui ai donné l’ordre de leur remettre le dossier d’enquête. Les soupçons se tourneront sur eux.
— Avant qu’on en finisse, pour qui travailles-tu ?
— J’appartiens à la Benemerita. Mes gars m’appellent le passeur.
Le paysan entendit le claquement d’une détonation. Il se précipita à l’extérieur du corps de ferme, et d’un pas hésitant, se dirigea vers le puits. Sur place, il trouva la dépouille d’un homme, allongé sur le dos. Les bras et les jambes étaient écartés, la tête recouverte d’un béret noir.

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