6.

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6.

Si le bourdonnement furieux de la curiosité prenait d’envie le voyageur de se rendre dans le petit village de Pozo de Almoguerra dans la sierra d’Alcarria ; l’explorateur infatigable en viendrait à considérer l’endroit comme un lieu sans histoire, sans patrimoine où le temps semblait s’être arrêté. Un coin parfait pour notre planque.

Après notre fuite madrilène, on s’était enfoncé dans la sierra, abandonnant la Ford dans la capitale. Dans ce hameau paisible, nous ne présentions aucune menace parce qu’on ne possédait aucun lopin de terre, ni au fond la moindre richesse à convoiter. Notre première action fut d’offrir nos services pour creuser et étayer le puits du village que les dernières pluies avaient lessivé, tandis que les pierres éboulées avaient peu à peu rebouché l’accès. Depuis ce jour, nous logions dans une petite maison blanchie à la chaux à l’entrée du bourg.

— Quelle guigne, Alfred s’est fait cueillir de façon aussi stupide ! je lançais à Julen.

Il n’y avait pas eu moyen de raisonner l’artificier Alfred Marinetti, qui n’en faisait qu’à sa tête. Iban l’avait déposé rue Castellón au pied de l’édifice 118, comme ce dernier le lui avait réclamé. Quelques jours plus tard, alors que le galicien arpentait le couloir de la pension Mariposas, Paulino, le propriétaire de l’auberge lui avait tout raconté.

— Ce matin, la presse relate qu’un cadavre a été retrouvé dans les marais qui bordent le lac de San Juan. Le corps a été identifié, il s’agit d’Alfred, exécuté d’une balle dans la nuque.

— Penses-tu qu’il est dénoncé l’un des nôtres ?

— Je ne crois pas qu’il ait parlé.

— Quoi d’autre ?

— Le commissariat a verrouillé l’enquête, il n’y a pas grand-chose qui filtre.

— Et la fille ? demanda Iban qui se méfiait d’elle.

— Pepita ? Le gérant de la brasserie ne l’a pas revue.

Le galicien commençait à soupçonner Pepita, de nous avoir trahit. Au lendemain de l’arrestation d’Alfred, la jeune femme n’avait pas dit un mot à la police. Elle s’était enfermée chez elle, s’était versé ce qui lui restait de whisky et avait vidé la bouteille. Pepita, apeurée, pensait pouvoir se réfugier dans sa famille près de Logroño.

Ce matin, tandis qu’elle marchait, inquiète, dans une ruelle étroite du quartier de Lavapiés. Iban, jusque-là tapi sous un porche, se glissa derrière elle. Il la rattrapa, respira profondément, et à l’instant où les battements de son cœur s’accélérèrent, il frappa d’un geste puissant. Pepita devint pâle, et les yeux grands ouverts, elle s’effondra sur le trottoir. Son corps tremblait comme secoué par des spasmes. Elle fouilla des doigts le bas des reins, à l’endroit où une douleur aigüe lui transperçait la colonne. Elle toucha le muela, ce couteau doté d’une lame de huit pouces, que l’on nommait l’arme des enfers. Des larmes coulaient sur ses joues. Iban se pencha, lui prit le poignet et serra sa main. Le galicien sentit le pouls qui ralentissait, vit le regard perdu de Pepita et lui ferma les paupières. Il se releva et s’éloigna d’un pas rapide. Iban répétait sans cesse que la fille n’avait sûrement pas parlé, mais qu’il n’avait pas d’autres choix que celui de la condamner. Dans la soirée, il appela Julen pour lui raconter toute l’histoire. Le chef du commando étouffa un cri de rage devant la bêtise de l’artificier et le sort sordide auquel Pepita ne pouvait échapper.

— Alfred et Pepita sont morts.

— Pourquoi la fille ?

— Iban a cru bon de protéger notre fuite.

— Je suis certain qu’elle ne nous avait pas dénoncés.

— C’est probable, Bixente. Je ne voulais pas la disparition de Pepita, mais Iban n’avait pas d’autre choix. Et de grâce, ne viens pas me reprocher d’approuver des choses qui ne me plaisent pas.

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