1974 O’ Cebreiro, les fleurs de la colère.
1.
Six mois après la mort d’Alfred, la nouvelle avait fait le tour des rédactions. Surnommé le Galicien, le cadavre d’Iban fut découvert au fond d’une ravine dans les montagnes de Galice. Une chasse à l’homme macabre qui ressemblait étrangement au parcours d’un mystérieux tueur nous rattrapait les uns après les autres.
Le propriétaire de la pension Mariposas, se tapotait les dents avec un stylo, le registre des comptes ouvert sur le bar. Il leva la tête et entrevit au travers de la fenêtre opaque, les visages déformés des deux individus qui s’approchaient. Paolino referma machinalement le tiroir de la caisse enregistreuse, et découvrit un officier de Marine d’une corpulence énorme. Le colosse qui venait d’entrer claqua la porte derrière lui dans un bruit assourdissant. Paolino s’écarta du zinc pour se ruer vers l’escalier.
— Hé ! s’exclama Alejandro, où as-tu l’intention de t’échapper ?
— Que me voulez-vous ?
— Qu’est-ce qui te met si mal à l’aise ?
— Je n’ai absolument rien à me reprocher.
Agustín contempla longuement la teinte cadavérique du visage de Paolino qui, des deux mains, s’agrippait à la rambarde. Il continua à grimper d’une ou deux marches. Paolino passa les doigts dans ses cheveux poisseux, et sembla dominé par des sueurs froides de plus en plus envahissantes. Il se blottit contre la rampe, les mâchoires crispées.
— Assieds-toi. Nous avons quelques questions à te poser.
Le propriétaire du Mariposas descendit d’un pas hésitant et alla s’installer à la table la plus proche. Il s’assit en croisant les mains sur le torse avec des gouttes de transpiration qui maintenant maculaient son front.
— Au mois de septembre 1973, tu logeais deux ouvriers dont l’un possédait une Ford mustang.
— C’est possible, je peux vérifier dans le registre.
— Inutile. Un Galicien venait les rejoindre chaque matin.
— De qui parlez-vous ? Cela ne me rappelle rien.
— On te parle d’un éventreur qui jouait à faire jaillir la lame de son muela, la même arme qui a servi au meurtre d’une femme dans le quartier de Lavapiés, lâcha Alejandro avec le ton de la voix qui montait.
— Non, messieurs, vraiment, je ne vois pas.
L’officier de Marine Alejandro brailla un juron.
— Arrête tes conneries !
Paolino parvenait difficilement à articuler. Il roulait les r sans claquer la langue. Alejandro leva la main et lui décocha une gifle magistrale. Le propriétaire s’arracha de la chaise et tomba à la renverse sur le sol.
— Bon, maintenant te souviens-tu ?
Paolino, le regard vague, bredouilla quelques mots inaudibles.
— Oui… oui, je me rappelle… mais il n’est plus… désolé, je…
Il n’osait pas se relever et restait assis à même le sol avec les mains qui protégeaient ses joues. Paolino vit tout à coup Alejandro lever de nouveau le bras, il se racla la gorge.
— Il ne trainait pas vraiment avec les deux ouvriers. Avant leur venue, je ne l’avais jamais aperçu.
Il s’interrompit une fraction de seconde pour se caresser la pommette avec la sensation que la douleur s’emparait de sa tête tout entière.
— Cet homme a-t-il de l’importance ?
— Bon sang, ne sois pas bête, je suis en train de t’expliquer que le galicien a tué une jeune femme !
— Oui… oui, bien sûr. Iban est retourné en Galice.
— Tiens donc, c’est amusant, tu viens de citer son prénom.
Paolino se sentit piégé. Il acquiesça d’un hochement du menton.
— Alors, comme ça, Iban s’est sauvé en Galice, comment et où ?
— Il est reparti à bord d’une Austin Morris qu’il garait de l’autre côté de l’avenue.
Lorsqu’Alejandro entendit la marque de l’automobile, il poussa un cri de joie qui le fit bondir en l’air.
— Agustín, il s’agit sûrement de la même voiture que celle qui barrait la rue Padilla le jour de l’attentat !
De ses mains monstrueuses, il attrapa Paolino, le souleva par les épaules et le jeta sur la table. Le propriétaire s’étendit de tout son corps, et bascula de l’autre côté en emportant la table avec lui. Dans un ultime soubresaut, il tenta de se redresser pour prendre la fuite par l’escalier. Il chancela avant de s’aplatir la tête la première et de glisser les bras allongés jusqu’à la dernière contremarche. Il poussa un profond soupir, se tourna vers Agustín comme pour lui supplier de l’aide.
— Si tu veux que mon ami s’arrête, dis-nous où nous pouvons le trouver.
Paolino parvint à ramper, et s’asseoir. Il chercha ses mots un court instant avant d’avouer d’un air vidé :
Le galicien est originaire du village d’O' Cebreiro en Galice.

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