5.

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5.

À quelques mètres d’un tas de rocailles, avec la terre encore fumante des dernières pluies de la soirée, le ruisseau disparaissait sous les roches dans une profonde crevasse. Le Galicien demeurait très calme, il s’accroupit puis allongea ses jambes. Couché dans les herbes, Iban oublia la douleur à sa cheville. En fin de journée, dans la descente depuis le pic du diable, il avait pressé l’allure, puis couru au point de glisser et de tomber au risque de se briser le tibia. La nuit qui enveloppait les montagnes avait accompagné les pas d’Iban jusqu’à cet endroit.

Il jeta un regard tout autour de lui. À l’abri des fougères géantes qui lui caressaient la tête, il retira un briquet de sa veste. Il éprouvait une joie profonde, assuré d’avoir semé les deux Madrilènes. Dans ce refuge humide, il sentit le besoin de rassembler quelques brindilles et branches pour allumer un feu. La flamme scintillait et la petite lumière courait le long de la paroi. Le Galicien plaqua ses mains au-dessus des flammèches pour se réchauffer.

Il s’attarda avec un sourire aux lèvres sur le cours d’eau et ne prêta pas attention aux silhouettes qui se faufilaient dans le goulet. Il se redressa au bruit d’une pierre qui roulait. Il plissa les yeux pour scruter la pénombre de la ravine. Les traits de son visage se durcirent quand il perçut une ombre qui se détachait entre les rochers. Il balaya du pied le brasier pour l’éteindre. En silence, Iban alla se blottir derrière les racines d’un saule qui tapissaient la berge. Deux hommes s’approchèrent du foyer et découvrirent les tisons encore rougis qui dégageaient l’odeur âcre d’une combustion de fraîche date.

— Que l’on soit maudit, ce gars était encore là, il y a peu.

— Ne t’inquiète pas, il ne doit pas être à l’autre bout du monde, à peine vingt minutes d’avance.

Les deux individus s’éloignèrent pour poursuivre leur proie et gravirent la sente avec des yeux pétulants qui perçaient la nuit noire. Iban attendit patiemment, recroquevillé et emmitouflé sous sa veste. Le cri soudain d’un hibou soulagea sa peur. Il était désormais seul. Le Galicien se releva et le visage tendu comme s’il écoutait chaque bruit, il se dressa par-dessus une futaie, lorsque la voix d’un homme le fit sursauter.

— Ne bouge pas Iban !

L’inconnu, les traits sévères demeura à couvert dans l’ombre de la paroi. Le Galicien n’essaya pas de s’enfuir, comme s’il se livrait à une bête étrange, fatigué par la longue marche, la pluie et ses os trempés. Les deux gars qui étaient à ses trousses avaient rebroussé chemin et ne tardèrent pas à l’encercler.

— Les montagnes ne sont pas un lieu sûr, gamin.

La ravine restait presque silencieuse avec par endroits les reflets de la lune qui brillaient sur le ruisseau. Iban songea à tous ceux qui l’avaient traqué en regardant le cours d’eau avec la danse des tourbillons et les remous lancés à la poursuite les uns des autres. Il éclata de rire.

— Pourquoi rigoles-tu ?

— Un ricanement nerveux, répondit Iban, quelle heure est il ?

— Environ 22 h 30.

— Comment avez-vous retrouvé ma trace ?

— Il me suffisait de suivre les officiers de Marine. C’est dangereux de balader des touristes. Tu aurais dû te méfier, fréquenter autant de monde lors d’une cavale...

— Je ne suis pas du style à fuir, lâcha Iban avec arrogance.

— À cause de toi, la moitié de l’Espagne pleure un grand homme.

— De qui parles-tu ? Du chef du gouvernement ?

— Ainsi tu me confirmes que tu es mêlé à son assassinat.

— Ton amiral, a-t-il couiné comme un porc avant de succomber ?

Pour la première fois, Iban vit les yeux de l’homme mystérieux. Il y eut un bref silence. Le Galicien ferma lentement les paupières et se frappa violemment la poitrine du poing. L’inconnu retira de sous son velours côtelé un colt python, qu’il pointa sur le berger.

— Attends !

— Que veux-tu ?

— Je vais mourir, j’ai le droit de connaître ton nom.

— Après tout, c’est une demande naturelle. Quand tu croiseras Marinetti, dis-lui que c’est le passeur qui t’envoie.

Ce soir-là, au cœur des ténèbres, le bruit de trois détonations transperça l’Océan vert des montagnes de Galice. Sans hâte, l’inconnu écrasa dans sa main une noix, avala les cerneaux, et esquissa un sourire. Il allongea le corps du Galicien sur le dos, les bras et les jambes écartés.

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