2.

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Damaso était encore sonné par sa rencontre avec l’officier de Marine quand un inconnu apparut sur le pas de la porte. L’homme qui le surplombait d’une tête restait muet. Le silence sembla durer une éternité. Damaso entendit le cliquetis de la grille qui coulissait vers le bas et vit sa femme dans la cuisine qui étouffait un soupir. Il se mit à déglutir lorsque l’obscur personnage retourna l’écriteau avec l’inscription « fermeture hebdomadaire ».

— Si je peux…

L’épicier n’eut pas le temps de terminer sa phrase et hocha la tête quand l’homme l’invita à s’asseoir. Il jeta un regard sur la main de l’inconnu qui brisait une noix et enfournait les cerneaux dans la bouche les uns derrière les autres.

— Señor Gonzalez, il y a dix minutes, un officier est venu vous rendre visite, qu’a-t-il dit ?

— Il souhaitait des renseignements sur le type qui m’achetait des cageots d’oranges au mois de novembre 1973.

Damaso tâtait maintenant ses genoux qui tremblaient. Les doigts raidis, il planta ses ongles dans la peau au travers du pantalon. Le téléphone sur le comptoir sonna plusieurs fois en vain. Le visage pâle, il fut pris d’une trouille folle et de hoquets soudains.

— C’est tout ?

— Je lui ai donné l’adresse de la casa Habana près du marché de Rastro, à l’endroit même où l’individu se rendait pour acheter des cigares cubains.

— Explique-toi mieux que ça.

— À l’automne 1973, un type venait chaque vendredi, à l’heure de la fermeture pour récupérer des clayettes d’oranges. Chaque fois il faisait baisser le tarif. Puis il s’en allait à la casa Habana. Avant que j’oublie, d’ordinaire je vends le cageot au prix de…

L’épicière entendit un bruit de gifle et cessa de respirer lorsqu’elle aperçut la tête de Damaso se coller contre la caisse enregistreuse, déclenchant l’ouverture du tiroir-caisse. Elle se hâta dans le magasin et découvrit Damaso qui titubait et s’appuyait contre le mur avec le nez rouge. Elle leva les yeux et croisa le regard de l’inconnu. L’homme remonta le rideau métallique et jeta les coquilles vides sur le sol.

Dans le brouhaha du marché de Rastro, les deux officiers de la marine se frayaient un passage au milieu de la foule. Au fond d’une ruelle arborée, ils entrevirent une entrée grandiose, dotée d’une immense grille en fer forgée.

— Casa de Habana, c’est là, lâcha Alejandro en tapotant l’épaule d’Agustín.

Derrière un imposant comptoir en bois du dix-huitième siècle, un vieil homme retira ses binocles. Sur le mur, des calligraphies qui représentaient les manufactures de Cuba égayaient, une tapisserie fatiguée et fleurie, d’une couleur vert sombre.

— Messieurs, que puis-je pour vous ?

— Nous souhaiterions jeter un coup d’œil sur vos habanos.

— Quelle marque de cigare désirez-vous ?

— Vous reste-t-il des Roméo, y Julieta ?

— Jeunes gens, vous êtes de véritables connaisseurs. Ces cigares sont parfumés, et totalement roulés à la main. Malheureusement, il est extrêmement difficile de pouvoir se procurer de telles merveilles.

— Bien sûr. Pourtant, un ami nous a vivement conseillé votre boutique. Selon lui, vous êtes l’unique fournisseur de la capitale.

— Votre ami est bien renseigné, c’est exact. Cependant, il ne me reste qu’une seule boîte, qui est déjà réservée par un amateur qui vient de très loin. Il passe en début de chaque mois récupérer sa commande. D’ailleurs, il doit arriver dans les prochains jours.

— Pensez-vous que cet aficionado accepterait de nous remettre deux ou trois Romeo ? Nous serions prêts à lui en fournir le double du prix, demanda Agustín.

— Je n’imagine pas cet homme vous offrir ou vous vendre le moindre cigare.

— Allons donc.

— Je vais vous faire une confidence, de toute ma vie, je n’ai jamais croisé de personne aussi avare. À chacune de ses visites, le señor essaie de gratter quelques pesetas.

— C’est notre gars, chuchota Alejandro à l’oreille d’Agustín.

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