4.

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La porte se referma. Andoni, les mains menottées, s’appuya contre le mur. Il fixa un moment la fenêtre l’air absent. Sur le bureau du commissaire Federico Royanez, le téléphone se mit à bourdonner. Sept sonneries en vain. Pendant tout le trajet, placé à l’arrière du véhicule de police, aucune réponse à ses questions n’avait filtré. La pièce sentait l’humidité, le moisi. Dans un angle, une lampe de lecture, posée sur l’étagère de l’armoire, rejetait une lumière jaune blafarde. Il y eut un crissement sur le sol quand la porte s’ouvrit. Federico et Andrés pénétrèrent dans le bureau sans mot dire. Le commissaire invita Andoni à s’asseoir d’un geste de la main. Christo prit place sur la chaise, étendit sa jambe qui le faisait souffrir et baissa la tête. Federico absorba une longue gorgée de café, reposa la tasse et plaqua son regard sur Andoni. Il croisa les bras derrière la nuque et sembla s’amuser du spectacle que lui offrait son hôte.

— Bien, recommençons depuis le début.

— Cela fait trois fois, commissaire, que je vous explique ce qu’il s’est passé.

— Vos réponses ne sont pas claires. Nous avons encore quelques points à élucider. Bien, donnez-moi le nom de l’hôtel où vous êtes descendu.

— La pension Mariposas.

— Celle en face de la gare d’Atocha ?

— Oui.

— À quelle heure êtes-vous arrivé au marché de Rastro ?

— Il devait être 8 h.

— Vous avez dit tout à l’heure ne pas vous souvenir. Qu’allez-vous faire au marché ?

— Je me rendais à la Casa de Habana pour récupérer une boite de cigares.

— Quelle sorte de cigares ?

— Des Roméo y Julieta.

— Connaissez-vous les deux officiers de Marine qui souhaitaient vous poser quelques questions ?

— Bien sûr que non !

— Pourquoi vous être enfui précipitamment ?

— J’ai eu peur.

— C’est étrange.

— Bizarre ?

Quelque chose semblait échapper au commissaire Royanez. Il glissa une cigarette entre les lèvres. On frappa. La porte s’ouvrit. Un inconnu, de grande taille, pénétra dans le bureau. Il se tint à l’écart. Il laissa choir des coquilles de noix brisées dans la corbeille. L’homme mystérieux toisa Andoni de dos avec un large sourire qui découpait son visage. Il rejoignit Andoni à pas lents, pencha la tête et lui chuchota à l’oreille :

— Que faisiez-vous le jour de l’assassinat de l’amiral Carrero Blanco ?

— Je ne me rappelle plus, sûrement au travail.

— Étiez-vous à Madrid ?

— Non, j’étais chez moi, à Mungla.

— Les deux officiers de Marine suspectent votre présence dans la capitale le jeudi 20 novembre 1973.

— Je vous le répète, je travaillais dans la ferme de mes parents. Vous pouvez vérifier.

— Je le ferai. Connaissez-vous l’épicerie Damaso & fils ?

— Non, pourquoi me posez-vous cette question ?

— Simple curiosité.

L’inconnu appuya le bord des fesses sur le bureau, croisa les doigts, les retourna en les faisant craquer. Sa voix était étrangement reposante et calme.

— Sais-tu ce que Damaso Gonzalez m’a répondu ?

— Je n’ai jamais rencontré cet homme.

— Laisse-moi réfléchir. Ah ! il était étonné de tes visites aux heures de fermeture, mais le plus intrigant venait de cette soif insatiable pour les oranges. Tu achetais chaque vendredi soir des clayettes entières, de quoi nourrir une jolie famille ou bien… un commando.

— Vous êtes fou ! je ne comprends pas.

— C’est possible. Commissaire, j’amène ce type avec moi jusqu’à la prison de Carabanchel.

— Oh ! pardon, cet homme reste dans nos locaux, reprit Federico.

— Je voudrais juste bavarder avec lui en tête à tête.

— Rien ne vous empêche de le questionner dans mon bureau.

— Je n’en doute pas, mais croyez-moi, il sera beaucoup plus prolixe là-bas.

— Que chacun fasse son devoir, l’inspecteur Andrés Valdez l’a arrêté et conduit ici.

— Hélas, commissaire Royanez, la sécurité de l’État prime sur la petite délinquance.

— C’est-à-dire…

— Chambouler un marché n’est pas de nature à jeter un terroriste en prison.

— Vous ne pouvez pas prendre la décision de l’amener avec vous.

— Vous vous trompez, j’ai tous les droits.

Le commissaire éprouva un sentiment d’amertume et s’exécuta sans enthousiasme. Ce n’était pas la première fois qu’il devait composer avec la Benemerita. Il soupira, écarta les bras comme résigné. On frappa à la porte de nouveau. Deux individus avec le visage fermé, les mâchoires serrées entrèrent. Federico se sentit presque soulagé lorsque Andoni s’éloigna, soutenu par les deux hommes. Il garda le silence un moment, se leva, tapota l’épaule d’Andrés avant d’ajouter :

— Tout le monde n’est pas comme nous.

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