Chapitre premier: 1978, le réveil de la peur.
Chapitre premier
1.
— Comment est-ce possible ? Hurla, le commissaire Federico Royanez, en laissant échapper sa colère.
— Les geôliers ont découvert Andoni pendu dans sa cellule.
— Je vais finir par perdre patience avec tous ces cons !
— Ce n’est pas tout, lâcha Andrés en regardant la pendule murale, Andoni s’est mis la corde au cou à la tuyauterie qui longe le plafond du cachot.
— Je me doute qu’il ne s’est pas suspendu au pied du lit !
— Il avait les mains ligotées dans le dos.
Pendant qu’à Madrid, le commissaire Federico Royanez semblait vouloir capituler devant l’imbroglio des morts mystérieuses, un bruit courait et donnait naissance à une rumeur. La Benemerita, la police secrète du régime s’accordait à expédier dans le trépas, sans aucune forme de jugement les membres du commando Txikia les uns après les autres. Dans le rapport que Federico put lire, il ne trouva rien de compromettant, juste une annotation « Suicide d’Andoni Christo à la prison de Carabanchel en date du 2 avril 1975 ». Mais le nom du colonel Ruiz Roldán commençait à circuler sur toutes les lèvres.
Le commissaire Royanez se frotta la tête et continua à mâchonner une pâte de réglisse. Dehors, la couverture de nuages sombres augurait une pluie battante. Andrés trépignait. Il croisait les doigts, les décroisait, les croisait de nouveau. On frappa.
— Entrez !
Le bruit du frottement du bas de la porte sur le carrelage accapara un instant l’attention d’Andrés. Il releva la tête et découvrit une jeune femme immobile devant lui. Le commissaire Federico Royanez regarda sa montre.
— 9 h quel triomphe pour votre premier jour ! Dois-je vous rappeler les horaires ?
La jeune femme ne sut quoi répondre. Les bras cloués le long de sa jupe, la mine hésitante, elle s’avança de quelques pas. Royanez enfonça le clou.
— Andrés, je te présente l’inspectrice Isabela Ortiz de Urbina, vingt-deux ans et deux heures de retard.
Dans le village de Pozo de Almoguerra, tandis que nous parcourions les ruelles, Julen et moi, nous découvrîmes, horrifiés, dans le journal El País, le décès étrange d’Andoni. Le quotidien ne se faisait l’écho que d’un simple suicide. Le temps était venu de fuir et de tenter notre chance par-delà les Pyrénées. Dans les journées qui suivirent, Julen disparaissait des heures durant. Comme il devait me l’avouer plus tard, il était resté en contact avec l’organisation clandestine. Ce fut ainsi qu’il se procura des vêtements, de l’argent et des cartes. L’esprit vif, il possédait aussi l’aisance d’un véritable combattant de l’ombre. Il réussit sans peine à persuader sa relation de nous embarquer à bord d’une camionnette et de nous déposer sur la grande route, loin de Madrid.
Au fur et à mesure qu’enflait le grondement de la circulation, notre instinct nous dictait d’avancer de nuit, à pied, par les chemins reculés. Le rugissement des poids lourds ne me cassait plus les oreilles. Nous laissions les villages et les bourgs le long de notre fuite pour traverser les champs avec l’espoir d’atteindre rapidement l’autre côté de la frontière. On s’enfonça dans le désert des Bardenas puis la sierra de Guara. La stratégie de Julen nous poussait dans un décor minéral, sur le sentier qui parcourait l’un des endroits les plus isolés des montagnes de Basse-Navarre. Il me parlait de la France comme d’un pays de cocagne. Le mercredi 9 avril 1975, la vallée des Alduves découpait devant moi, ses sommets enneigés sur la ligne d’horizon. Peu avant minuit, Julen me confirma que nous étions en lieu sûr, par-delà la frontière.
La clarté d’une nuit étoilée guidait nos pas et nous mena vers une borde, une cabane de pâtre. Dans le noir, tapis sous une haie de hêtres, nous cherchions le signal lumineux qui devait nous indiquer d’approcher sans risques. L’inquiétude se lisait sur nos visages et nous restions concentrés sur une silhouette appuyée contre le mur de la bergerie. L’homme grillait une cigarette, et libérait la fumée par des ronds. Il perçut un bruissement derrière le fourré, tourna la tête dans notre direction et écrasa le mégot avec le talon de sa botte. Il sortit une lampe de sa poche et fit clignoter la lumière par trois fois.
— Regarde, Bixente, c’est le signal, allons-y !
L’individu poussa la porte de la bergerie pour s’y engouffrer d’un pas ferme. Julen me tapota l’épaule. Il était temps d’agir. Sans l’ombre d’une hésitation, on se mit à courir jusqu’au repère. On se précipita à l’intérieur. L’homme qui se tenait près de la fenêtre possédait un révolver qu’il cachait sous sa veste. Alors que je dévisageai de haut en bas le berger, ce dernier confia son arme à Julen.
— Vous resterez ici, en sécurité, le temps nécessaire.
— Merci l’ami.
— Je reviendrai vous chercher dans quelques jours.
Cette nuit-là, je partageai avec Julen les quelques couvertures laissées sur les paillasses de foin. Je devinais, à la clarté d’une bougie, la petite pièce meublée d’une grande table en bois et de bancs poussiéreux. Un panier avec une meule de pain, quelques grappes de raisin et du jambon de montagne était posé sur la desserte.
— Combien de temps doit-on se cacher ici ?
— Une semaine, peut-être deux, me répondit Julen. D’un jour à l’autre, les griffes vont se relâcher et nous pourrons remonter sur Bayonne. En attendant, on doit rester discrets, et ne sortir que la nuit.
Ce fut, par une matinée de soleil et de vent, que le berger se présenta au repère. Nous venions à peine de nous éveiller. J’aperçus en contrebas du sentier, une mule qui était attelée à une charrette chargée de ballots de paille. Avant de pénétrer dans la cabane, l’homme frappa par quatre fois contre la porte. Il nous confia que nous devions partir de toute urgence pour Bayonne. Après avoir tenté en vain de lui arracher quelques précisions, je me glissais sous le foin de la carriole. Ce fut de la sorte que nous prîmes congé de notre planque en pleine montagne. Nous étions le 2 septembre 1975.

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