3.

4 minutes de lecture

3.

Je crus bon de revenir à l’etxea avec l’idée fixe de ne pas savoir ce qu’allait faire l’alférez si fringant. Tandis que je traversais la grande pièce, je trouvais la demeure entièrement fouillée. Je me ruai dans l’escalier qui menait au premier étage et découvris la porte de la chambre entrouverte avec un simple halo de lumière qui tamisait l’embrasure. J’attendis, l’estomac noué, tapi derrière la cloison un long moment lorsque Julen apparut aux bas des marches. En voyant mon regard craintif, il se douta que quelque chose ne tournait pas rond. Il sortit son revolver de sous son pull, arma le chien et monta pour me rejoindre, prêt à tirer. Il me dépassa d’un pas prudent, avança dans la chambre sur la pointe des pieds, lorsqu’il entendit un bruit sourd dans la cour. Il put écouter les pulsations de son cœur qui lui martelaient la poitrine. D’un geste brusque, il chassa une mouche qui badinait le long de son front qui dégoulinait de sueur. Une frayeur soudaine étrillait les traits de son visage, ses joues, son menton, et sa bouche. Il se précipita vers la fenêtre, se pencha et décocha un rire hilare quand il repéra un chat qui jouait avec une boite de conserve vide dans le jardin.

— Bon sang ! Ce chat va finir par me rendre fou.

— Tout à l’heure, sur la plage, un officier de la marine espagnole m’a accosté. Ils m’ont retrouvé. Je dois filer au plus vite d’ici.

— Je m’en charge, lâcha Julen, ne t’inquiète pas pour ce mec. Demain, au plus tard, nous serons en sécurité. Mais pourquoi te cherche-t-il, nous bénéficions d’une amnistie. As-tu une idée des gars qui sont à tes trousses ? Peut-être de simples ultras du franquisme qui se meurt depuis que le diable en personne ne dirige plus l’Espagne.

— Non, Julen, celui sur la plage n’était pas armé, mais il m’a averti que d’autres voulaient ma peau.

La nuit venait de tomber et un vent à décorner les bœufs sifflait sur le visage d’Agustín qui jeta son mégot et le laissa se consumer sur le sable. Il remarqua Valdez et Alejandro, la mine soucieuse, qui soupiraient et parlaient à voix haute. Le battage des rafales noroît l’empêchait de discerner leurs propos.

— Et maintenant ? Qu’est-ce que tu décides ?

— Je n’ai pas réussi à le convaincre.

— Ça veut dire que tu abandonnes, demanda Alejandro.

L’officier de marine lâcha un petit sourire amer et s’apprêta à répondre lorsqu’Andrés lui coupa la parole :

— Qu’est-ce qu’il t’arrive ?

— J’ai envie d’oublier tout ce merdier. Le bonhomme a été amnistié par notre gouvernement. Il ne se livrera pas.

— Peu importe. D’une façon ou d’une autre il doit payer.

— N’y pense pas, Andrés. On ne peut pas l’éliminer sur le territoire français, nous n’appartenons pas à une sorte de police parallèle.

— Tu n’es pas en train d’essayer de me dire que nous allons le laisser filer !

— Je n’ai pas l’intention de basculer dans le crime pour régler un vieux compte.

— Agustín, laisse-moi te rappeler qui est ce fils de pêcheur, cet ancien mineur. Il a participé le 20 décembre 1973, à la préparation de l’attentat, et a projeté l’amiral, Luís Carrero Blanco à trente mètres de hauteur. Et toi, tu préfères abandonner, hurla Alejandro.

— Ne dis pas n’importe quoi, cet homme doit être jugé.

— Ou abattu !

— Non, nous sommes différents.

— Sache, señor Agustín Chavez, que de mon côté, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour lui régler son compte, ajouta Andrés.

— Andrés, j’essaie juste de te faire comprendre…

— Que tu n’as pas le courage d’aller au bout !

Le ciel était nuageux et l’air frais, l’alférez fouilla ses poches, et sortit son paquet de cigarettes chiffonné. Il prit une tige coupée en deux qu’il alluma. Andrés semblait étonné par le mutisme de son ami. Agustín aspira une longue bouffée et finit par crever le calme pesant :

— Désolé les gars, mais je me retire et je rentre à Madrid.

— Et ton serment, l’as-tu oublié ? As-tu perdu de vue cette soirée, rue Serrano, dans la taverne où nous avions juré de ne jamais renoncer et de tous les retrouver jusqu’au dernier ?

— Je regrette Alejandro… Je regrette sincèrement.

En quittant le rivage, et alors que les premières gouttes de pluie glaciale fouettaient son visage, l’alférez ouvrit d’une main tremblante la porte de la Fiat. Il desserra le nœud de sa cravate, se gratta la nuque, s’assit et songea au fiasco de la filature qu’il avait lui-même initiée.

Tôt le lendemain, il se leva, but un café debout devant la fenêtre, caressa la bague dont il ne se séparait jamais, et pensa qu’il avait tout sacrifié depuis cinq ans. Tandis que le soleil libérait ses premières lueurs derrière la colline de lande, un léger sourire se dessina sur son visage. Il reposa la tasse, ouvrit la fenêtre, écarta les bras et huma l’air frais. Alejandro s’était approché d’Agustín. Il paraissait assombri par les doutes de son ami. Dans la rue, le bruit des moteurs portait au loin.

— Il suffit parfois d’une nuit de sommeil pour voir l’espoir renaître.

— Tu veux toujours rentrer à Madrid ?

— Non.

— As-tu une idée ?

— Oui, enchaîna Agustín, il faut que l’on se débrouille à intégrer l’équipe du colonel Roldán.

— Crois-tu que le passeur soit déjà sur les traces d’Asian ?

— Je ne sais pas, mais souviens-toi que ce triste personnage a réussi à nous doubler le jour ou nous avions relâché Alfred Marinetti près du marais. Te rappelles-tu le coup de fil dans le bureau 112, l’inconnu qui a donné l’ordre au capitaine de corvette de nous remettre le dossier qui contenait le témoignage du prêtre ?

— Ouais, bien sûr !

— Je suis certain qu’il était à bord de la berline que nous avions croisée sur la piste du village d’O Cebreiro la veille du meurtre d’Iban. Mon intuition me souffle que ce gars se sert de nous depuis le début.

— Quel est ton plan ?

La matinée était maintenant lumineuse. Le phare que d’aucuns appellent la tour des signaux se mit à clignoter de trois éclats rouges. Les remous inquiétants de l’Adour près de l’embouchure refusaient la sortie aux bateaux du port de plaisance.

— Ce sera sans doute risqué, lâcha Agustín, réveille Andrés !

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire Julen Eneri ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0