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À une heure aussi tardive, la rue demeurait déserte. L’inspecteur regardait depuis un long moment les aiguilles de sa montre qui sautillaient de seconde en seconde. Sous le porche de la rose des sables, le colonel Ruiz Roldán intimait des ordres à ses hommes. Ces derniers s’affairaient à ranger des cartes, et de la paperasse étalée sur la table massive du séjour. Andrés imagina la signification de tout ce remue-ménage, avec la multitude d’informations précieusement collectées par le groupe sur le commando Txikia. Le colonel pénétra dans la villa. Valdez s’approcha de l’entrée, respira profondément, lorsqu’au moment de toquer le heurtoir, une voiture balisée, les phares éteints, se gara sur le trottoir d’en face. Il feignit de vérifier une adresse en retirant son calepin de la poche. Du véhicule de police, rangé et éclairé par la lumière blafarde du lampadaire, un des patrouilleurs descendit et se déplaça dans sa direction :
— Bonsoir, avez-vous croisé un gamin d’environ quinze ans, vêtu d’une veste Teddy rouge et blanc ?
— Bonsoir, je n’ai vu personne dans la rue à part un vieil homme qui sortait ses poubelles.
— Vous êtes de passage dans le coin ?
— Qu’est-ce que vous voulez dire ?
— Disons que vous ne passez pas inaperçu avec votre accent.
— Je suis espagnol, en vacances à Anglet.
— Que faites-vous à traîner à une heure si attardée dans une rue sombre
— Je loue la villa la rose des sables.
L’espace d’un instant, le sourire crispé, Andrés pensa qu’il allait se faire serrer comme un imbécile et sentit le regard soupçonneux du patrouilleur se poser sur lui. Le policier lorgna en direction de la bâtisse, au moment où les stores métalliques se rabattaient dans un grincement qui claquait à ses oreilles. Les hommes à l’intérieur avaient tout fait disparaître et éteignirent les lumières. L’agent saisit le bras d’Andrés et lui chuchota :
— C’est bizarre ?
— Quoi donc ?
— Cette belle demeure avec les fermetures qui descendent toutes seules.
— Mais non, c’est ma femme qui est à la maison.
— Et madame aime vivre dans le noir.
— Que voulez-vous dire ?
— Eh bien, tout porte à croire que votre épouse éteint les lumières, puis baisse les stores, plutôt saugrenus ?
Les deux hommes restèrent immobiles, l’un face à l’autre, un laps de temps interminable, lorsque le patrouilleur asséna une petite tape sur l’épaule de l’inspecteur au moment de regagner le véhicule.
— Nos femmes sont parfois étranges ! Bonne soirée.
Le policier répéta la remarque fantaisiste de Valdez, en montant à bord de la voiture banalisée.
— Que t’a-t-il dit ?
— Un vieux monsieur est sorti de chez lui pour jeter ses poubelles.
— Que fait-il si tard devant chez lui ?
— Eh bien…
— Non, je te jure… Tu ne lui as rien demandé.
— Ce gars n’est qu’un simple touriste.
— Pas même ses papiers ?
— Tu as vu l’heure qu’il est ? On doit retrouver le mioche et le ramener chez lui.
La pluie qui avait commencé à tomber en fin de soirée semblait vouloir s’arrêter. La porte charretière avec ses angles arrondis s’ouvrit sur une pièce étroite. Les lumières étaient éteintes, et les chaises posées à l’envers sur la table. Le colonel, doté d’une forte musculature, attrapa Valdez par le col de sa veste en tweed.
— Je constate que pour ta première visite, tu nous as amené une patrouille.
— Rien de bien méchant, ils sont à la recherche d’un gamin qui a sûrement fait une fugue, quoi de plus banal.
L’un des hommes alluma le néon du couloir qui se mit à grésiller avant de briller d’une lumière jaunâtre.
— Écoute-moi, on va procéder à ma façon, tu peux nous être utile. Pour commencer, tes amis ne doivent se douter de rien. Je veux connaître tous leurs faits et gestes. Si les autorités françaises soupçonnent une conspiration, ils pourront nous servir de…
— Fusibles ?
— Disons qu’ils auront du mal à expliquer leur présence. Ou encore que tout cela n’est qu’une vengeance fomentée par une poignée d’imbéciles. Te sens-tu prêt à les trahir ?
— Ce sont eux qui m’ont trompé en renonçant à éliminer le reste du commando. Je marche avec vous. Mais je veux tout savoir sur le complot pour tuer Julen Asian.
— Cela me paraît correct. Autre chose, qui est cette inspectrice qui a rejoint l’équipe du commissaire Federico Royanez ?
— Elle vient de sortir de l’académie de police. Il s’agit de sa première nomination.
— Comment s’appelle-t-elle ?
— Isabella Ortiz de Urbina.
— Surement une provinciale qui a soif de grimper les échelons à pas forcés.

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