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Les coques et les voiles blanches des dériveurs bouchaient l’horizon. Julen, vêtu d’un pull marin, s’étendit sur le sable. Les jours précédents, Tiago nous avait déniché une nouvelle planque, qui appartenait à un pêcheur, près de l’église Sainte-Marie, dans le quartier de Mailhouns.
Le lion fixait les eaux sombres du Golfe, il inspira une longue bouffée d’air chaud et humide, et se demanda s’il n’avait pas commis une erreur, en revenant à Anglet pour cette femme, le diamant de sa vie. Il scrutait droit les flots du large, tandis que le parfum boisé de la pinède lui rappelait ses souvenirs d’enfance. Julen laissa éclater un soupir de joie en se remémorant lorsque petit il descendait de la montagne et prenait le train avec sa mère pour une poignée de jours dans une bourgade côtière. Il s’arracha à la mélancolie et pensa qu’il dirait à Karia, que désormais, seul lui importait, de l’aimer et vivre à ses côtés.
Du haut de la falaise, l’inspecteur Andrés Valdez, promenait son regard vers le bas de la plage. Il ne fit pas attention aux rires des enfants qui se mêlaient au bruit des passants sur le parking.
— Colonel, voyez le gars qui est allongé sur le sable avec un pull bleu.
— C’est notre homme ?
— C’est lui, Julen Asian.
— On le tient.
Andrés décocha un léger sourire. À ses côtés, Ruiz Roldán serra les poings et put sentir son cœur qui s’emballait.
— Julen Asian vient ici, chaque jour, en fin d’après-midi. Il loge dans l’ancien quartier des mareyeurs, à moins de cent mètres de la paroisse de Sainte-Marie.
Vers le milieu de la soirée, un groupe d’hommes, dans le silence, détailla l’habitation de pêcheur dans la rue sinueuse, qui menait à l’église. Ils observaient avec attention les mouvements d’une silhouette derrière la vitre de la cuisine. Il était presque onze heures, lorsque la demeure plongea dans le noir, toutes lumières éteintes.
— Notre bonhomme va se coucher. On pourrait se saisir de lui maintenant, chuchota Andrés.
— Non, lâcha le colonel. On éliminera le lion, le 20 décembre, jour anniversaire de la mort de l’amiral.
— Du coup, nous allons devoir épier chacun de ses mouvements sans nous faire remarquer durant les sept mois qui viennent, c’est de la folie, marmonna l’inspecteur à contrecœur.
— Je suis désolé, Andrés, mais tu connaissais notre mode opératoire en acceptant d’intégrer le groupe.
Karia s’était peut-être imaginé qu’une autre vie s’ouvrait devant eux. Elle sentait que Julen voulait prendre un nouveau départ. Elle était certaine qu’il finirait par rompre avec les ténèbres du passé et que leur existence sonderait la banalité d’un quotidien ordinaire. Elle se mit à inventer un rythme qui ponctuait les journées, se promener sur le sable, faire des achats dans les commerces, s’offrir de longues plages de sieste, des moments de tendresse.
Julen la tenait par la main, ce dimanche matin, lorsqu’il vit apparaître deux hommes à l’angle du marché. À mesure qu’il s’approchait d’eux, le lion relâcha la main de Karia. Pendant un court instant, il planta son attention en direction de celui qui portait un veston en tweed, et qui lui semblait habillé trop chaudement pour un mois de septembre. Il se retourna légèrement en arrière, pour découvrir les trois bonshommes qui le toisaient et qui bloquaient l’allée derrière lui.
— Tu avais tort, Karia, dit-il tout haut.
— Que veux-tu dire ?
— Regarde les deux gars devant nous.
— Tu crois qu’ils sont ici pour toi, lui demanda-t-elle alors qu’une étrange sensation oppressait la poitrine de Julen.
Julen Asian hocha la tête en guise de réponse, avec l’œil qui palpitait de terreur. Le lion glissa sa main sous son pull-over et saisit d’instinct la crosse du browning. La foule l’empêchait de commettre une folie. Il sentit son estomac se nouer, au moment où l’homme à la veste de tweed ôta son poignet du blouson pour tenir une cigarette entre les doigts :
— Auriez-vous du feu ?
— Non, désolé, pas sur moi, ajouta Julen d’une voix glaciale, la main fermement accrochée au revolver.
— Bien entendu, lança Karia.
— Merci, mademoiselle, si vous voulez mon avis, le marché est bigrement encombré aujourd’hui, déclara Andrés d’un ton calme et posé. En remontant l’allée, je me suis rendu compte que j’avais perdu mon briquet.
— Il est clair que vous n’êtes pas d’ici, répondit-elle en lui faisant un sourire cordial.
Julen secoua la tête en direction du gêneur, et fit un clin d’œil à Karia :
— Cela suffit Karia, on ferait bien de partir, ta mère n’aime pas attendre.
Le couple s’éloigna d’un pas rapide, tandis que l’inspecteur se dirigea vers le colonel Roldán.
— À quoi joues-tu Andrés ?
— Je souhaitais entendre le son de sa voix, et sentir la crainte dans ses yeux.
— Écoute, on le file et rien d’autre. On se chargera de lui à la date convenue.
— Je veux être sûr que ce salopard va vivre la peur collée aux viscères jusqu’au jour de son exécution.

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