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La fenêtre ouverte découvrait dans le lointain, le bleu sublime du ciel ourlé par les eaux turquoise du golfe de Gascogne. Un goéland plana au-dessus de la tour des signaux qui montait une garde quasi immortelle. La tête coiffée d’un panama, Agustín Chavez écarta les bras, bâilla et poursuivit l’explication de son plan.
— Andrés, selon tes informations, tout paraît plié. Les hommes du colonel Roldán vont passer à l’acte cette nuit.
— Rien n’est moins sûr. Je crois qu’ils se chargeront de Julen demain, journée anniversaire de l’assassinat de l’amiral.
— Cette fois-ci, nous ne devons pas agir comme des amateurs. Il est déjà trop tard pour Asian. Nous n’avons plus le choix, il est grillé. Le colonel Roldán et sa clique vont le cibler en premier. Du coup, cela nous donne le champ libre pour capturer Bixente.
— Dis donc Agustín, qu’est-ce que c’est que cette connerie, vociféra Alejandro.
— Mince, c’est vrai qu’Alejandro a raison. Crois-nous Agustín, Bixente est grillé lui aussi. Il est plus sûr de laisser faire la Benemerita. Il suffit d’attendre la fin tragique de ces deux meurtriers et de mettre un terme à notre chasse à l’homme. Je ne veux pas te blâmer, mais, cinq ans, mon Dieu, que c’est long !
Agustín avait du mal à détourner son regard sur le port de plaisance. La dernière nuit avait avalé ses doutes. Il observait un groupe de personnes qui tirait une remorque sur laquelle était arrimée une embarcation pour la mise à l’eau.
— Je ne peux pas oublier les motivations de Bixente.
— Que veux-tu dire ?
— C’est par amour qu’il s’est écarté du droit chemin.
— Ouais, je vois, lâcha Alejandro, chaque crétin qui connaît ses premiers émois amoureux, et qui découvre que sa princesse le quitte pour les bras d’un autre, bascule dans le terrorisme.
— Pas du tout mon ami. La femme qu’il aimait est morte, assassinée par un soldat de la garnison de Getxo. Le reste de son existence ne fut que souffrance, vengeance, vie clandestine et finalement le crime politique. Il mérite une chance, celle d’être jugé équitablement.
Alejandro ne répondit pas tout de suite, il sortit une cigarette qu’il alluma. Il laissa échapper un rire aux éclats.
— Ce sera sans doute risqué Agustín, mais là où tu vas, je viens.
Je parcourus les quelques mètres qui me séparaient du parking qui longeait le mur d’enceinte du petit cimetière, perché sur la colline. Dans la ruelle, il n’y avait pas un souffle d’air, je me tournai une dernière fois vers la maison. C’était bizarre. Depuis le début de la matinée, je ne voyais personne, et puis il y avait ce bruit. Celui de fruits secs que l’on broyait entre les paumes.
Je montai à bord de la Renault Fuego, démarrai et roulai lentement, tandis que Je m’abîmais dans des pensées obscures. Je m’apprêtai à accélérer, lorsque le pot d’échappement cracha une énorme détonation. D’un bond, Je m’aplatis sous le volant, les mains croisées au-dessus de la nuque. Je patientai quelques secondes, redressai la tête et compris qu’il s’agissait d’un simple problème de carburation, d’entrée d’air.
Le spectacle du lever sur les montagnes m’apaisait. La route me ramenait vers ma terre natale. Je descendis le long de la Nationale 10 vers le poste-frontière de Béhobie depuis la croix des Bouquets. Je garai la Fuego et attendis avant de me glisser dans la file des poids lourds. Je repérai trois hommes qui discutaient avec l’un des carabiniers coiffés d’un képi noir. J’eus à peine le temps de soupirer lorsque je reconnus l’officier de Marine vêtu de son costume de flanelle. Je m’arrêtai, tirai le frein à main, sortis du véhicule et me ruai en direction de l’estuaire de la Bidassoa.
Je longeai le bord de la rivière sur un sentier dissimulé par endroits par des haies de joncs. Je restai à l’écart de l’agitation, fis le tour d’une etxea aux volets clos, m’assis sous un chêne et attendis que l’horizon finisse par avaler le couchant. Sous la nuit d’un sombre intense qui croquait la moindre étoile, je grelottai et patientai jusqu’au moment où j’eus la certitude que tout danger était éloigné. Je repris mon chemin et me dirigeai vers la côte. La voix d’un pêcheur me parvint, étouffée par le bruit des clapots. J’aperçus l’ombre d’une barque posée sur le rivage. Je me glissai jusqu’à elle, lançai mon balluchon à bord. Lorsque je la tirai à l’eau, le raclement du bois sur les galets m’obligea à redoubler de vigilance. Je m’arrêtai, repartis, stoppai de nouveau. Au moment où je piétinai l’ourlet des flots, et pris la décision de sauter à l’intérieur de la barque, la lueur d'une lampe torche m’éblouit. J’entendis les pas d’une course dans ma direction et le claquement des pierres qui s’entrechoquaient. Un homme d’une musculature puissante se jeta sur moi. Je trébuchai et basculai en arrière.
— Tu veux toujours t’enfuir dans le noir, me lança Alejandro.
— Laissez-moi !
— Écoute Bixente, il y a des types qui sont là pour t’éliminer, ta seule chance, c’est de nous suivre, lâcha Agustín.

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