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Cette nuit-là, une silhouette se faufila sous le châssis d’une Renault 5 et commença à placer un paquet. Les doigts tachés de graisse, l'homme appuya avec force la charge explosive plaquée derrière la roue avant du conducteur. Dans la cour de la maison de pêcheur, Ruby, le chien de garde ne cessait d’aboyer. Une lumière s’alluma. La porte d’entrée grinça pour laisser apparaitre Karia dans l’entrebâillement.
— Qui est là ?
Elle se frotta les yeux, scruta la place près du cimetière avant de répéter :
— Montrez-vous !
Un homme surgit près de la barrière. Il tenait une laisse à la main et de l’autre un mouchoir avec lequel il essuyait son visage étrangement noirci.
— Désolé madame, je vous ai dérangé, lâcha l’individu.
— Que faites-vous dans la rue ?
L’odeur de graisse imprégnait les doigts de l’inconnu, tandis que Karia continuait de fouiller du regard les alentours.
— J’habite dans le quartier, près de l’esplanade des Gascons. Je promenais mon chien, lorsque ce dernier a cassé la laisse.
— Je ne vous ai jamais vu par ici.
— Je suis en vacances.
— Espagnol ?
— Aragonais.
La voix reposante de l’homme rassura Karia. L’individu tourna la tête vers le côté gauche de la maison lorsqu’il perçut le bruissement d’un rideau tiré. Il s’accroupit et fit mine de relacer ses chaussures.
— Je regrette, mais je dois rentrer, mon chien attend sûrement devant le portail à l’heure qu’il est. Bonne soirée, madame.
— Monsieur ?
— Oui.
— L’esplanade des Gascons se trouve en contrebas.
— Décidément…
Deux heures plus tard, dans le premier virage qui montait vers le cimetière, les phares d’une Opel Kadett projetèrent deux faisceaux jaunes sur les rangées de tamarins. Le véhicule ralentit et s’arrêta à une centaine de mètres de la maison de pêcheur. Le colonel Ruiz Roldán descendit de l’automobile et se dirigea telle l’ombre de la mort en direction de la paroisse. Les aboiements de Ruby crevaient de nouveau le silence de la nuit. Le passeur se tapit derrière le muret de pierres, qui dérobait aux regards des curieux, la bâtisse où se planquaient Julen et Karia. Il jeta un paquet enveloppé dans du journal par-dessus la clôture. Le chien de garde renifla avec prudence l’emballage puis il le déchiqueta et dévora d’une traite le morceau de viande hachée. Roldán resta un long moment à contempler l’animal qui luttait contre un mal invisible. La bête, le ventre gonflé, bascula sur le côté, et les yeux grands ouverts avec la langue pendante, elle lança un dernier jappement. Le colonel sourit et retourna vers le véhicule dans la sombreur de la nuit.
— Alors, le chien lui demanda l’un de ses hommes.
— Il ne mordra plus jamais personne.
Julen se réveilla peu après alors que Karia dormait profondément, le corps roulé en boule. Les paupières mi-closes, il s’approcha de la fenêtre de la chambre, tira le rideau et tenta de percer l’obscurité. Dehors, seul le bruissement des feuilles dans le chêne chez le voisin trahissait la présence d’une chouette. Soudain, le grondement du moteur d’un véhicule brisa le calme de la nuit. Une minute ou deux s’écoulèrent avant que Julen n’entende, à trois reprises, le hululement d’un rapace.
— Oiseau de malheur !
Il découvrit les yeux ronds de la chouette qui le fixaient. Sur le bord du lit, Karia se retourna dans son sommeil, et du bout des doigts, elle chercha l’effleurement du corps de Julen. Elle étira ses jambes nues. Le lion, inquiet, déambulait dans la chambre et pensait qu’en vérité, il ne trouverait jamais la paix. Il était trois heures du matin.

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