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Julen alluma le mégot de la veille, à peine consumé, posé dans le cendrier. Au même moment, le bruit du moteur d’une voiture retentit dans la rue. Il s’approcha de la fenêtre pour découvrir trois hommes qui sortaient d’une Opel Kadett, et se dirigeaient vers le cimetière. L’un des individus, le plus grand, avalait des cerneaux de noix et lâcha un regard soupçonneux vers la maison de pêcheur. Julen put voir les yeux d’un noir intense de l’inconnu.
Dans la chambre, Karia écarquilla les mirettes, se tourna, se mit en boule et plaça ses bras sous l’oreiller. Elle souriait. La fenêtre était ouverte et un souffle d’air frais balaya sa longue chevelure. Le lion entra, s’assit à ses côtés, posa la main sur sa joue.
— Que fait-on Julen ?
— Va t’habiller, on part dans dix minutes.
La jeune femme se précipita dans la salle de bain, prit une douche chaude, et le corps à peine séché, enfila une robe fleurie, glissa ses pieds dans ses chaussures à talons. Ses mains tremblantes n’arrivaient pas à boucler le ceinturon qui soulignait la finesse de ses hanches. Dehors, deux individus attendaient, appuyés contre le mur du cimetière. Plus bas, le colonel Roldán écrasait des noix et sifflait. Julen endossa son pantalon, et le pull-over bleu, sous lequel il faufila son browning. Il éteignit sa cigarette, et regarda une dernière fois la cloison jaunie de la chambre. Il se tourna et d’un geste nerveux, heurta du coude le vase posé sur le guéridon, qui se brisa sur le sol.
— Tiens, Karia, prends les clés de la Fuego.
Il était neuf heures du matin. L’étau semblait se resserrer sur Julen Asian. Des forces obscures rôdaient autour de la bâtisse. Les deux hommes postés près du cimetière conservaient leurs regards, qui ne cillaient pas sur la maison de pêcheur. Ils savaient que l’etarra ne pouvait pas échapper à leur poursuite. Il était temps d’en finir.
La porte d’entrée, étroite, grinça en s’ouvrant, comme si elle allait se lancer à l’assaut d’un voleur. Un individu, qui portait des lunettes de soleil, apparut, suivi d’une jeune femme rousse. Le passeur échappa un frisson d’excitation. Karia doubla Julen, assembla sa chevelure en une longue tresse et songea, combien elle avait aimé cet endroit, cette chambre et le couinement des lames de parquet, les bruissements du drap lorsque l’etarra éveillait chez elle une chaleur érotique. Elle ne prêta pas attention au colonel qui s’approchait. Julen se demanda où pouvait bien se trouver Ruby et ses aboiements qui déchiraient d’ordinaire le quartier.
Karia inhala l’air salin puissant. Aujourd’hui était une grande date, celle d’un nouveau départ. Le couple marqua une pause avant de pénétrer dans la voiture. Karia plaça la clé dans le contacteur, jeta un regard amoureux à Julen. L’etarra caressa son visage lisse et doux, ses cheveux roux. Il pensa que sans elle, sa vie ne serait qu’un tourbillon de violence. La jeune femme donna un tour de clé. Le colonel montra de l’index au lion le bas du châssis, et de l’autre main lui fit un signe d’adieu. Julen hurla.
— Non ! Karia, arrête !
Un tapis de ferraille, d’asphalte s’envola vers le ciel dans un sifflement perçant. Un souffle violent balaya le visage du colonel. La Renault Fuego, fut désintégrée par l’explosion, le toit scalpé, les vitres brisées, et gisait comme désarticulée au milieu de la chaussée. À l’intérieur, deux corps finissaient de se consumer dans un brasier de flammes. Le faisceau lumineux et le tonnerre réveillèrent tout le quartier. Le colonel Ruiz Roldán marcha vers la Renault avec un sourire au bout des lèvres et jeta des coques de noix dans la Fuego carbonisée.

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