Freud

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Je suis aux toilettes, fermées à clef. La chasse d'eau, je la tire des deux bras aussi souvent que nécessaire. Cela pour qu'on n'entende pas, sait-on jamais, les rires de joie, les pleurs d'extase (pendant que l'orifice à la bouche de pieuvre se repose) que me procure ce livre ! Ce livre, c'est du Freud – mais si, vous savez, le père de la psychanalyse, le prophète de malheur à la mine sévère... mais si enfin ! Vous savez le beau juif, tantôt à la main blanche de cocaïne tantôt à la main noire de ce qu'elle fouille dans le derrière de la belle-sœur... ! Voilà, maintenant vous voyez bien à qui on a affaire.

Et cet homme, je l'aime. Il me passionne. Je vendrais père et mère ne serait-ce que pour ne jamais oublier son regard. Ténébreux, profonds, quand vous rencontrez ses yeux... Et essayez un peu de vous risquer au jeu de qui-va-les-fermer-en-premier-a-perdu et vous perdrez à coup sûr et vous verrez alors que ça vous glacera le sang d'y voir le génie en son fond ! que ça vous fera – crac ! – l'effet puissant comparable, mais en mieux encore, au tête-à-tête d'avec la statue grecque : au-dessus de la belle et grande barbe-fleuve, les yeux sans iris vous hérissent tout à coup le poil et vous tombez, debout, amoureux du marbre blanc !

Demi molle, dans un quart d'excitation, je tourne les pages et les retourne brutalement comme si c'était à présent lui, son corps, sa peau... De la métonymie – c'est du Freud – je passe à la métaphore – ce bouquin c'est lui-même ! Eh quoi ?! Moi aussi je suis cultivé ! Moi aussi je connais des termes savants ! Vous croyiez quoi hein ?! Et ça, je lui dois à lui – à lui que j'aime mais d'une manière... si vous saviez !

Et si par miracle, pour que vous compreniez enfin ô combien je l'aime, il revenait d'outre-tombe – quoique j'aie la conviction qu'il a toujours été là, parmi nous, qu'il ne nous a jamais vraiment quitté –, et si, là dans ma propre demeure, il s'amusait à faire des ronds de fumée : je renverserais dans ma fureur le trône d'eau et d'un élan si fort ! que je dévalerais alors l'escalier sur les fesses (et que l'explosion de chaque marche donne le la à la fête qui va bientôt suivre mes amis !). Et quand, face au cigare qu'il tiendrait fermement de ses lèvres par intermittence, je foncerais moi avec pétulance ! je sauterais dans ses ronds comme s'ils étaient de feu pour qu'enfin, pendant que ses applaudissements écraseraient le reste d'un péril que j'aurais fièrement bravé et dignement vaincu, je lui baisasse les pieds d'une force animale, que dis-je ! d'une force absolument bestiale comme une bécasse les pattes or de l'aigle royal !

Voilà, c'est dire, n'est-ce pas, ô combien et de quelle flamme mon cœur bat pour lui ! Freud Freud Freud... ! Et je me meurs d'une manière racinienne ! De cris, de joie, d'extase ! Mais à ses pieds, avant que d'expirer, me reste-t-il encore à savoir lequel des deux vais-je bien une dernière fois baiser – quelle finale décidément cornélienne...! Seulement, il n'y a que lui qui est mort, mort de chez mort ! Au point qu'il ne viendra pas même hanter ces lieux.

Je suis aux toilettes, fermées à clef. Et la chasse d'eau, je la tire des deux bras aussi souvent que nécessaire. Cela, pour noyer ce Fugu qui de simples clignements de yeux qui me semblaient pourtant jusque-là amicaux – même si au grand jamais je ne me serais attendu dans tous les cas à une telle présence au fond de ma cuvette la seconde d'avant – passe à des secousses chevalines, convulsives, puis après les tentatives vaines, à des sauts calculés, prémédités, plus rares, plus angoissants, pour... Mais oui ? Pourquoi au juste ??? Pour pénétrer mon orifice à la bouche de pieuvre mais pour une raison que j'ignore.

Et de la bouche, naturellement, de l'encre par éruptions pour le faire fuir, et de la sienne, s'en nourrit, le poisson s'en nourrit goulûment pour moi, à mon tour me faire fuir. Mais ça suffit : je l'attrape volte-face. Et le gonfle alors comme un ballon d'hélium et la lumière, complice donc de l'ennemi, décide soudain de n'exister plus que par intermittence pendant que lui, lui ! ricane de me voir dans mes égarements abandonner d'une main aussi innocente que maladroite Freud tombant dans le trou noir avec sitôt une éclaboussure d'autant plus forte qu'un rire, plus vengeur en réalité que paternel, m'humilie pour je ne sais quel crime que j'aurais commis. Je ne sais vraiment pas de quelle couleur, de quelle odeur toute cette merde finira ! Mais à force de chier sur le poisson, qui dans sa lettre redoublée, dans sa contrefaçon d'un trop, cache à coup sûr ses véritables intentions : pour seul horizon, dans un espace se resserrant autant que la rime persiste dans une musique formidable, misérable, effroyable, le poison – frison, prison, trahison... –, à force oui ! À force de chier, je ressens brutalement le besoin de me remplir, énormément me remplir, pour tout ce que j'ai perdu... Que cette "faim" soit dite ouverte ; que la satiété soit garantie ; et qu'enfin les borborygmes se taisent à présent et que vous aussi, vous qui me jugez alors que vous n'êtes pas mieux ; moi au moins j'ose dire ma folie... !

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