Prologue

8 minutes de lecture

{ Alan Peters }

Mars 2016.

Une jeune femme aux longs cheveux blonds se tient à présent devant moi, derrière une immense baie vitrée.

Ses poignets sont solidement maintenus derrière son dos par un fin câble en acier galvanisé. Une très longue robe blanche à moitié déchirée habille ses longues jambes blessées, laissant à découvert ses pieds nus.

Sa respiration est courte et saccadée.

Son visage est tuméfié et recouvert d'écorchures.

Mes mains se mettent à trembler.

Sa bouche est maintenue fermée par un énorme scotch gris métallisé. Elle tente un mouvement, ce qui provoque un léger grincement de la chaîne attaché autour de son cou. Elle se ravise, se rendant compte que celle-ci ne lui permettra pas d'aller plus loin.

Je frissonne.

Je détourne un instant mon regard, et le pose sur l'archière qui se présente sur la partie haute du mur en pierre. Un vent glacial s'échappe de cette petite ouverture, et de gros flocons de neige parsemant le ciel, traversent la brèche ouverte.

De la buée s'échappe de mes lèvres gercées.

— Alan, qu'est-ce que tu attends ? m'interpelle Jackson.

Je lève les yeux et parcourt la longue distance qui me sépare de Jackson. Je distingue à peine sa silhouette située à l'autre extrémité d'un couloir sans issue. Il se tient sur ses genoux, claustré derrière une porte de cachot grillagée.

Cloisonnée entre quatre murs, sa vision se limite à une version très linéaire de tout ce qui l'entoure.

Un long couloir, le cadran d'une horloge murale prenant soin d'afficher soigneusement le temps qu'il reste pour effectuer la mission, et un levier au-dessus duquel se situe une plaque dorée. C'est tout ce qu'il peut entrevoir depuis sa cellule.


— Alan, regarde l'écriteau et lis-moi ce qui est dessus !

Je déglutis avec difficulté et mon regard se pose avec hésitation sur la plaque en métal. J'empoigne fermement un morceau de mon jean déchiré avant de lire la consigne d'une voix étouffée.

— Abaissez le levier pour ouvrir la cellule.

Je reste figé sur place, le regard vide et la main toujours fermée sur mon jean.

— C'est tout ? Alors fais-le !

Je tressaille à ces mots, et mes yeux se ferment dans un gémissement sourd. Je pose délicatement ma main sur le levier, puis la retire tout de suite après, jurant dans ma barbe.

Malgré la température glaciale, de la sueur dégouline le long de mon dos, suivant le tracé de ma colonne vertébrale.

— Que se passe-t-il, Alan ?

Je n'arrive pas à détourner mon regard de l'inscription. Une autre partie de celle-ci est écrite en plus petites lettres, et se poursuit à la suite de la consigne.

« Cette partie ne concerne que le participant désigné pour enclencher le mécanisme : il est interdit de révéler au prisonnier l'identité de la personne mise sur l'estrade. Cette infraction entrainera l'élimination de l'équipe. »

— Réponds-moi !

— Je vais le faire ! .. Laisse-moi juste un peu de temps.

Le jeune blond s'insurge, et me brame toute sorte d'insultes. Il m'incite fermement à pousser ce levier avant que le temps ne s'écoule et ne provoque notre perte à tous les deux !

Je frissonne, les yeux humides.

Jackson ne voit rien. Il ne sait pas ce qu'il se passe ni en quoi consistent réellement les règles de cette épreuve. Il ne sait pas qui est sur cette estrade. Il ne sait pas qu'une trappe à plusieurs mètres de haut se situe juste en dessous de cette jeune femme. Il ne voit pas la chaine qui est fermement fixée autour de son cou.


Il ne sait pas ce que va enclencher ce levier.

Du fin fond de sa cellule, il ne sait absolument rien.

— Pourquoi elle ? murmuré-je les lèvres tremblantes.

— Mais de quoi est-ce que tu parles ?

Une autre rafale souffle à travers l'archière, poussant Jackson à se recroqueviller sur lui-même pour se réchauffer.

Je souffle sur mes doigts gelés, la mine crispée.

Mon cœur tambourine tellement fort dans ma poitrine que je n'arrive plus à m'entendre penser. Si je décide d'en parler à Jackson, nous serons tous les deux éliminés de la compétition ! Mais si je décide de baisser ce levier, alors cette femme ..

Mon regard se mêle à celui de la femme blonde se tenant debout, à l'autre bout de la pièce.

Elle me regarde, suspendue au moindre de mes gestes.

Je détourne rapidement mon attention d'elle. Jackson ne le supporterait pas...

— Merde ...


Nous sommes les derniers joueurs, la toute dernière équipe à être encore en vie.

Je ne veux pas mourir, et je suis persuadé qu'il me reste encore des expériences à vivre avec les personnes que j'aime. Mais je veux avant tout pouvoir la revoir et passer le restant de ma vie auprès de ma fille. Je regrette tellement de ne pas voir pris conscience de la chance que j'avais !

À présent, mon plus grand souhait est de pouvoir en finir avec ce jeu, parce que c'est seulement en le remportant que je pourrai enfin la retrouver et rentrer à la maison avec Chloé, sa petite main blottie dans la mienne. À partir de ce moment-là, je pourrai commencer à me faire pardonner.

Jusqu'à présent, nous étions bien partis pour remporter la victoire. Jackson et moi étions les seuls à être arrivés aussi loin dans le jeu.

— Un jeu, soufflé-je.

J'ai encore du mal avec ce concept, car pour moi, rien de tout ce qui se déroule ici n'est semblable à une forme d'amusement. Mais pour le Décideur, tout ceci l'est.


— Alan, bon sang !

— La ferme !

Je me frictionne violemment les yeux. Comment pourrais-je prendre une telle décision en seulement quelques minutes ?

Un tintillement attire subitement mon attention !

La jeune femme se tortille sur place en essayant de se dégager de l'emprise de la chaine autour de son cou. Elle souffle, puis relève la tête en me regardant droit dans les yeux. Son visage est rempli de larmes.

— Je ne peux pas ...

Je ne pourrai plus jamais me regarder en face si j'accomplis cet acte.

— Alan ?

— Je ne peux pas baisser ce levier.

— Je te demande pardon ? hurle-t-il.

Je détourne les yeux.

Jackson s'agite dans tous les sens et me supplie de lui expliquer ce qu'il se passe !

Il m'ordonne de baisser ce levier rapidement si je ne veux pas mourir. Il me demande de penser à tout ce que j'ai dû réaliser pour pouvoir parvenir jusqu'à cette étape.

Mes larmes coulent et je m'affale contre le mur, le visage dans mes mains. Je ne peux pas...

— Il y a quelqu'un sur une estrade !

La voix encore tremblante, je choisis de tout lui révéler d'une traite. Je lui décris la scène qui se présente devant mes yeux.

— Si j'abaisse ce levier, nous gagnons ! Mais cette personne mourra.


Jackson écarquille les yeux, puis s'immobilise.

« Une minute avant la fin de l'épreuve»

Je me raidis immédiatement.

Les haut-parleurs disposés dans tous les recoins de la salle retentissent en répétant plusieurs fois le même message. La voix robotique résonne dans tout le château, laissant lentement s'écouler ses mots sur nos épaules.

« Une minute avant la fin de l'épreuve »

Mon partenaire semble paniqué. Il se mordille nerveusement les lèvres avant de jurer dans un élan de colère !

— Merde ! reprend-t-il nerveusement , calme-toi !

— Je ne peux pas !

— Peu importe qui est cette personne, il faut que tu baisses ce levier.

Je me tais, complètement sidéré.

— Tu n'es plus toi-même .. tu parles sous le coup de la peur !

— Oui, je parle sous le coup de la peur. Mais je peux t'assurer que la peur ne m'a jamais rendu aussi lucide qu'à cet instant !

« Cinquante-six secondes avant la fin de l'épreuve »

— Fais-le ! ordonne-t-il.

— Je ne peux pas ! Il y a sûrement un autre moyen !

Jackson n'en démord pas et semble avoir déjà fait son choix.

— Je ne suis pas un meurtrier !

— Ah oui .. ? En es-tu vraiment certain Alan ?

« Dix secondes avant la fin de l'épreuve de rattrapage »

Un décompte commence à retentir.

Dix.

— Baisse ce levier !

Neuf.

— Jackson, tu ne comprends pas !

Huit.

— Cesse de réfléchir, et fais ce que je te dis !

Sept.

— Je ne peux pas.

Six.

— Tu sais très bien comment le jeu fonctionne ! Bouge-toi !

Cinq.

— Il y a des limites Jackson ! Tu me demande vraiment d'exécuter quelqu'un ?

Quatre.

— Il nous teste ! crie-t-il, Si ça se trouve, elle ne mourra pas !

Trois.

— Tu sais très bien que tout ici est réel !

Deux.

— Ils vont tous mourir !

Un.

— Ils vont tous mourir par ta faute, répète-t-il, le visage baissé.

— .. Quoi ?

Zéro.

— C'est ta petite sœur qui est installée sur l'estrade, Jackson.

Subitement, les lumières s'éteignent.

Nous nous retrouvons dans l'obscurité la plus totale.

Soudainement, une mélodie qui m'est désormais familière résonne dans toute la pièce.

Ma respiration se coupe lorsque les paroles de Can't Help Falling In Love me parviennent jusqu'aux oreilles. C'est la musique que l'on entend lorsque quelqu'un va mourir !


D'un coup, une voix off nous félicite.

« Combien de choses horribles seriez-vous prêt à faire pour sauver la vie d'un être cher ? »

Je n'arrive plus à reprendre mon souffle !

« Jusqu'où seriez-vous prêt à aller ? »

Jackson a lui aussi du mal à respirer !

« Qu'êtes-vous prêt à vous infliger pour y arriver ? »

Une première détonation retentit .

« Seriez-vous capable de nous le prouver ? »

Une charge lourde semble tomber sur le sol.

« Malheureusement, pour la troisième fois consécutive, personne n'a remporté le jeu de cette année. »

Je recule, et percute le mur qui se situe derrière mon dos.

« Nous espérons vous revoir nombreux dans deux ans, pour la prochaine édition »

Un deuxième coup de feu explose, et mes jambes me lâchent.

« À bientôt, pour plus d'action ! »

Je m'effondre.

« Plus de réflexion ! »

Je sens une douleur insupportable au niveau de mon cou.

« Plus d'amour et de trahison ! »

Ma chemise s'humidifie rapidement. Je pose ma main sur la plaie.

« Sans oublier la violence et le sang. »

Impossible de freiner l'hémorragie.

« Merci de nous avoir suivis. »

Les lumières restent éteintes, et la musique continue de jouer sans interruption.

Mes yeux se ferment. Je lutte pour essayer de les garder ouverts encore quelques instants.

— Sa petite soeur, son ventre .. Elle était enceinte.

Mon regard se pose une dernière fois sur l'archière. Les quelques jolis flocons de neige pénétrant l'intérieur de la salle s'évaporent lentement dans l'air avant d'atteindre le sol.

Mon regard divague à la vue d'une ombre qui semble se rapprocher avec lenteur.

Je la sens s'abaisser, puis s'accroupir juste au-dessus de moi.

Un mouvement brusque, et soudain, j'entends un bruit de rechargement.

— Pitié ..

Je vois un masque blanc.

— Trouvez-moi de meilleurs candidats pour la saison prochaine.


Une détonation puis,


Le noir total.

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