Chapitre 4 - Le carburant de la rébellion
La journée de travail avait été un long tunnel de concentration forcée, un exercice d'acteur où je prétendais m'intéresser à des plans de parkings souterrains. Mais mon esprit était ailleurs. Il était déjà ce soir.
À 21 heures précises, mon ordinateur a émis le petit son cristallin d'une notification Discord. Ce n'était pas un message privé, mais une mention générale sur Le Bruit Blanc. Je me suis penché sur mon bureau, l'estomac légèrement noué. Le canal, silencieux depuis l'après-midi, s'est animé. C'était Malik.
> M4L1K: @tous Bonsoir. On commence. Nom de l'opération : Protocole Canari. J'ai préparé un ordre du jour.
Je n'ai pas pu m'empêcher de sourire. "Un ordre du jour". Le type était incroyable. Il ne laissait rien au hasard. L'angoisse diffuse qui m'habitait s'est muée en une sorte de trac, celui de l'artiste avant de monter sur scène.
> Nomad_AFK: Ok, on est passé en mode briefing militaire. J'aime bien. Ça change des discussions métaphysiques. > Clara_Urbs: Ça fait un peu peur dit comme ça... mais je suis prête.
Malik a ignoré leurs commentaires, ou a jugé qu'ils ne nécessitaient pas de réponse. Il a enchaîné, direct et précis, comme un général devant sa carte d'état-major.
> M4L1K: L'objectif de ce soir n'est pas le sabotage. Le geste de Léo au musée était utile comme déclencheur, mais c'était une action isolée, du "bruit". Pour comprendre l'ennemi, il nous faut un signal clair. Une expérience contrôlée. Le Protocole Canari a donc trois objectifs primaires.
Il a posté ses trois points dans des messages séparés, leur donnant le poids d'articles de loi.
> 1. CONFIRMER la synchronicité. Prouver qu'une création volontaire et identique peut être matérialisée par plusieurs opérateurs dans des instances de rêve distinctes. > 2. MESURER la latence de réaction. Établir le temps subjectif entre la matérialisation réussie de l'objet-signal et la première réponse observable du système. > 3. OBSERVER la nature de la réponse. Qualifier la contre-mesure : est-elle hostile, curieuse, automatique ? C'est le point le plus important.
Le plan, affiché en lettres blanches sur fond noir, avait une clarté redoutable. Il transformait notre peur panique en une expérience scientifique. Il nous donnait des rôles, un but. Je sentais le chaos de mes nuits se faire dompter par la logique implacable de Malik. En tant qu'architecte, je ne pouvais qu'admirer la beauté d'un plan bien conçu.
Malik a laissé ses trois objectifs flotter dans le silence du canal pendant un instant, leur donnant le temps de s'imprégner dans nos esprits. Il a ensuite enchaîné, passant de la stratégie globale à la tactique.
> M4L1K: Pour que ça fonctionne, chacun joue un rôle précis. Léo, Clara. La matérialisation. C'est votre pôle. Votre expérience de création est notre principale ressource. Comment comptez-vous procéder ?
Je me suis penché en avant, surpris qu'il me demande mon avis. Je pensais qu'il aurait déjà tout théorisé. Je me suis remémoré la sensation dans mon rêve.
> Architext: Pour moi, ce n'est pas juste une image mentale. C'est... physique. Je dois sentir la 'matière' du rêve entre mes mains, comme de l'argile, et la forcer à prendre la forme que je veux. C'est un effort de sculpteur.
La réponse de Clara a été immédiate, un écho parfait de ma propre expérience. > Clara_Urbs: C'est exactement ça ! Et j'ajoute une chose : pour que la création soit stable, il faut l'ancrer à un souvenir réel et fort. Une émotion. Pensez à l'odeur d'un livre que vous aimiez, au contact d'un meuble de votre enfance. Il faut tricher, donner au système une base de données qu'il ne peut pas refuser.
Son conseil était brillant. Ancrer l'imaginaire dans le réel pour le rendre plus fort. C'était une technique d'artiste, intuitive et puissante. Je sentais une connexion immédiate avec elle, la complicité de deux créateurs qui parlaient le même langage secret.
C'est là que Nomad a coupé court à notre échange créatif, avec le pragmatisme d'un agent de sécurité.
> Nomad_AFK: C'est bien joli votre atelier poterie, mais on parle de l'extraction ? Ça sert à quoi de réussir si on ne revient pas pour en parler ? > M4L1K: Nomad a raison. Protocole de sortie. > Nomad_AFK: C'est simple. Et ce n'est pas négociable. Dès l'instant où vous observez la réaction du système – les PNJ qui se figent, un glitch, n'importe quoi d'anormal – la mission est terminée. Vous ne jouez pas les héros, vous n'essayez pas de voir ce qui se passe après. Vous forcez le réveil. On récupère les données et on se tire. Un analyste mort ne sert à rien, Malik.
Le dernier message était clairement adressé à l'appétit insatiable de Malik pour les données. Je m'attendais à une réponse cinglante, mais le logicien a simplement concédé.
> M4L1K: Le protocole est validé. Efficacité maximale. Pas de risques inutiles.
Je me suis adossé à ma chaise, un sentiment étrange m'envahissant. En quelques minutes, nous étions passés d'un groupe de survivants effrayés à une équipe de casseurs avec un plan, des spécialistes et un protocole d'extraction. La peur était toujours là, mais elle était maintenant encadrée, structurée. Elle avait un but.
Je me suis adossé à ma chaise, un sentiment étrange m'envahissant. En quelques minutes, nous étions passés d'un groupe de survivants effrayés à une équipe de casseurs avec un plan, des spécialistes et un protocole d'extraction. La peur était toujours là, mais elle était maintenant encadrée, structurée. Elle avait un but. Malik a repris la parole pour la dernière phase de la réunion préparatoire : la synchronisation.
> M4L1K: Dernier point. Le plus important. Le timing. Nous devons agir dans la même fenêtre temporelle pour maximiser les chances de créer une surcharge système localisée. Je propose une fenêtre de cinq minutes. Pour Léo et Clara, ici en Europe, ce sera entre 03:00 et 03:05 du matin.
Une notification de Nomad est apparue, teintée d'ironie. > Nomad_AFK: Cool. 21h pour moi sur la côte Est. Pile l'heure de l'apéro.
Malik a continué, imperturbable. > M4L1K: Exactement. 09:00 pour moi à Pékin. Je serai frais et dispo. Le plus important est de lancer la tentative au début de cette fenêtre. Cela nous donnera le temps de forcer le réveil et de débriefer avant que le monde ne se lève.
Clara a ajouté une note douce, qui contrastait avec la rigueur militaire de Malik. > Clara_Urbs: Alors on se donne rendez-vous à trois heures du matin, dans nos têtes. C'est poétique. > Nomad_AFK: Tant qu'on n'oublie pas le protocole de sortie, ça me va.
Un court silence s'est installé, celui qui précède le grand saut. Chacun semblait mesurer le poids de ce que nous allions faire. Ce n'était plus un accident, une rébellion solitaire. C'était un acte délibéré. Une attaque.
> M4L1K: Briefing terminé. Synchronisation dans... il a marqué une pause, > 3 heures et 42 minutes. Reposez-vous. Et ne forcez pas. Si le système résiste trop, n'insistez pas. L'échec est aussi une donnée. Bonne chance à tous.
> Clara_Urbs: Bonne chance tout le monde. Pensez au canari. > Nomad_AFK: Check.
Le canal est devenu silencieux.
Je suis resté un long moment à fixer les avatars de ces trois inconnus qui étaient devenus, en l'espace d'une soirée, les personnes les plus importantes de ma vie. Un développeur à Pékin, une urbaniste à Abidjan, un nomade digital quelque part en Amérique. Et moi, un architecte à Paris. Nous étions une équipe impossible, unie par un cauchemar commun.
J'ai réglé mon réveil, non pas pour me lever, mais pour m'assurer de ne pas rater le début de la mission. Puis je me suis allongé. En fermant les yeux, je n'ai pas cherché le sommeil pour fuir la fatigue. Je l'ai cherché comme on franchit une porte. J'allais me coucher, mais je n'allais pas dormir. J'allais travailler.
***
M'endormir fut un acte de volonté. Allongé dans le noir, j'ai ignoré les bruits de la ville et les battements de mon propre cœur. Je ne cherchais pas le repos. Je me concentrais sur une seule image, un seul concept, répété en boucle dans mon esprit comme un mantra : un canari en origami bleu. Je l'ai visualisé sous tous ses angles, ses plis nets, son papier fragile, sa couleur impossible. Je me suis laissé couler dans le sommeil en m'accrochant à cette image comme à une bouée.
La transition fut brutale. Pas de dérive douce, mais une coupure nette. J'étais debout, au milieu d'un chantier de construction impossible. Un gratte-ciel à moitié terminé s'élevait dans une nuit sans étoiles, sa structure métallique brillant sous la lumière crue de projecteurs flottants. Autour de moi, des plans et des schémas holographiques clignotaient, attendant mes instructions. La "tâche" a immédiatement commencé à s'imposer à mon esprit, une pression familière qui me poussait à concevoir, à calculer, à travailler.
J'ai résisté. C'était comme nager à contre-courant. La force voulait que je lève les yeux vers la tour, que je résolve un problème de charge sur une poutrelle du 112ème étage. J'ai planté mes talons dans le sol virtuel du chantier, j'ai fermé les yeux et j'ai cherché mon ancre, comme Clara l'avait conseillé. Un souvenir. L'odeur de la sciure dans l'atelier de mon grand-père. La sensation du bois usé de son vieil établi sous mes paumes. Un souvenir réel, solide, chaleureux. La pression de la "tâche" a légèrement reculé, tenue en respect par la puissance de ma propre mémoire.
C'était le moment. J'ai ouvert les yeux et j'ai tendu les mains devant moi, dans le vide. Je me suis concentré, non pas sur une image, mais sur une sensation. L'effort du sculpteur. J'ai cherché la "matière" du rêve, cette substance invisible mais dense qui composait tout ce qui m'entourait. Je l'ai sentie, comme un champ magnétique, une résistance dans l'air. Avec une lenteur infinie, j'ai commencé à la rassembler entre mes mains. Elle se tortillait, tentant de reprendre la forme d'un plan ou d'une poutre métallique, suivant les instructions du système. Je l'ai forcée à rester, ma volonté luttant contre la sienne.
Enfin, j'avais une sphère d'énergie brute et instable qui pulsait entre mes paumes. Le plus dur commençait. En gardant l'ancre de mon souvenir bien présente à l'esprit, j'ai commencé le premier pli. J'ai pressé la matière, la forçant à s'aplatir en une feuille carrée. Elle a résisté, les angles cherchant à s'arrondir. Je me suis concentré plus fort, le front perlant d'une sueur qui n'existait pas. Le carré s'est stabilisé. La première victoire.
Le carré de matière onirique s'est stabilisé entre mes mains. Il avait la consistance d'un papier épais et soyeux. C'était ma toile vierge. Maintenant, il fallait dessiner dedans, plier. Je me suis remémoré les diagrammes d'origami que j'avais appris, enfant. La base de l'oiseau. Pli vallée, pli montagne. Ma volonté était le doigt, la matière était le papier.
J'ai pincé deux coins opposés pour les ramener au centre. La matière a résisté, tentant de se déformer en une courbe, un arc-boutant, un élément de la maudite tour qui hantait les bords de ma conscience. Je l'ai forcée à garder sa ligne droite. "Tu es du papier", ai-je pensé avec une intensité féroce, "tu n'es que du papier". Le pli s'est marqué, net et précis.
Un par un, les plis se sont enchaînés. Chaque mouvement était un combat, une micro-victoire contre la volonté du système. Je sentais la pression de la "tâche" qui essayait de s'infiltrer, de me distraire avec des problèmes de résistance des matériaux, mais l'image du canari dans mon esprit était un bouclier. La tête. Les ailes. La queue. Lentement, la forme est née de mes mains.
Puis, le dernier pli. J'ai lissé l'arrondi de sa tête, finalisé la pointe de sa queue. Et il était là. Terminé. Un canari en origami d'un bleu profond, presque électrique, reposait dans la paume de ma main. Il était parfait. Un objet de pure création, de pure volonté. Mon objet. Une vague d'énergie pure, joyeuse, a déferlé en moi. Ce n'était pas l'épuisement du travail forcé ; c'était l'euphorie de l'artiste qui contemple son œuvre achevée. J'avais gagné. J'avais créé.
C'est à cet instant précis que le monde s'est tu.
Le bruit du vent qui sifflait entre les poutrelles métalliques, le grincement lointain d'une grue, le murmure des conversations holographiques... tout a disparu. Un silence absolu, si soudain et si total qu'il en était douloureux. J'ai levé la tête, surpris. Tout était figé. Une grue, qui transportait une plaque de verre, était immobile dans les airs. En bas, deux ingénieurs spectraux, qui discutaient devant un plan, étaient gelés, l'un la bouche ouverte, l'autre la main tendue. Le temps lui-même semblait s'être arrêté.
Puis, le mouvement est revenu. Lent. Synchronisé. Terrifiant. L'ingénieur le plus proche, à une vingtaine de mètres, a tourné la tête vers moi. Puis l'autre. En haut, sur une passerelle, un ouvrier a fait de même. Puis un autre. Et encore un autre. Partout sur le chantier, toutes les silhouettes, tous les personnages non-joueurs, ont lentement pivoté. Dans une chorégraphie silencieuse et parfaite, des dizaines de têtes se sont tournées pour me fixer.
Leurs visages de porcelaine, vides de toute expression, étaient tous braqués sur moi. Et sur le petit canari bleu qui reposait, vibrant de défi, dans ma main. L'euphorie a laissé place à une chape de glace. J'étais le centre de l'attention. J'étais repéré.
L'euphorie a gelé dans mes veines, remplacée par une terreur pure et primale. Chaque regard était un poids, chaque visage une accusation. Le silence était si total que je pouvais entendre le battement sourd et irréel de mon cœur onirique. Je tenais toujours le canari bleu dans ma main, mon œuvre, ma création. C'était devenu une pièce à conviction. La preuve de mon crime.
Puis, le mouvement est revenu, mais seulement pour eux. L'Agent le plus proche, celui qui ressemblait à un ingénieur, a fait un pas en avant. Puis un autre. Lent, délibéré, sans hâte. Il n'avait pas besoin de se presser. Il savait que j'étais piégé. À travers le chantier, d'autres silhouettes ont commencé à avancer, convergeant vers moi en une lente marée de mannequins silencieux.
La panique a menacé de me submerger, de me paralyser. C'est là que la voix de Nomad a résonné dans ma tête, aussi claire que s'il était à côté de moi. « Dès l'instant où vous observez la réaction du système, la mission est terminée. Vous ne jouez pas les héros. Vous forcez le réveil. »
Le protocole. La sortie.
J'ai serré les doigts sur le canari, un dernier contact avec mon acte de défi, et j'ai fermé les yeux. J'ai tourné le dos au monde du rêve, à ses projecteurs crus et à ses armées de porcelaine. J'ai cherché mon ancre, non plus pour me stabiliser, mais pour me tracter vers la réalité. J'ai pensé à mon lit. À la sensation de mes draps, au poids de la couette sur mes jambes, au léger courant d'air qui passait sous la porte. J'ai cherché la sensation de mon propre corps, de mes poumons qui se gonflent dans le monde réel.
Le système a senti que je lui échappais. Un bourdonnement grave a remplacé le silence, une vibration basse qui semblait faire trembler les fondations du chantier. J'ai entendu les pas des Agents qui accéléraient, se transformant en une course lourde. J'ai maintenu ma concentration, m'agrippant à la réalité comme un naufragé à une bouée.
Le monde du rêve m'a retenu une dernière fois, une sensation de vertige infini, comme si j'étais tiré en arrière à une vitesse folle à travers un tunnel de lumière aveuglante. La vision des visages lisses et des poutrelles métalliques s'est déformée, étirée, avant de se briser en un millier d'éclats de pixels.
Puis, le choc. Je suis retombé dans mon corps avec la violence d'une chute.
***
J'ai ouvert les yeux dans un hoquet, l'air sifflant dans ma gorge comme si je remontais à la surface après une noyade. Mon corps était secoué de tremblements, mon dos collé aux draps par une sueur bien réelle cette fois. Mon cœur battait à un rythme frénétique, non pas le tambour sourd du rêve, mais le martèlement aigu et rapide de la pure adrénaline. La vision des visages de porcelaine était encore gravée sur mes rétines, une image rémanente de terreur.
Mon premier réflexe fut de chercher la fatigue. Cette chape de plomb familière, ce brouillard mental qui suivait chaque nuit de "travail". J'ai attendu qu'elle s'abatte sur moi, qu'elle éteigne l'adrénaline et me laisse vidé, comme d'habitude.
Mais elle n'est pas venue.
À la place, alors que les tremblements de peur commençaient à s'apaiser, une autre sensation a émergé des profondeurs. Une chaleur partant de ma poitrine et se propageant dans tous mes membres. Ce n'était pas l'agitation nerveuse de la peur ; c'était quelque chose de plein, de vibrant, de positif. C'était l'écho de la création. L'euphorie du sculpteur qui avait imposé sa volonté à la matière.
Un rire a secoué mes épaules. Un rire court, un peu fou, de pur soulagement. Ça avait marché. Le protocole avait marché. L'extraction avait marché. J'étais un créateur. Un saboteur. Un membre d'une équipe.
J'ai repoussé la couette et traversé ma chambre dans la pénombre, guidé par la seule lueur de l'écran de mon ordinateur en veille. Mon QG. Ma salle de débriefing.
Le canal #général était déjà en ébullition. Je n'étais pas le premier à être revenu. Une explosion de messages s'affichait, un débriefing chaotique et exalté.
Le premier message que j'ai vu était de Clara. > Clara_Urbs: J'ai réussi ! Il était si beau ! Mais vous avez vu ça ? Leurs yeux... Tous en même temps...
Juste en dessous, la voix de Nomad, pragmatique et autoritaire, tentait de remettre de l'ordre. > Nomad_AFK: Tout le monde est sorti ? Léo ? Clara ? Rapport. Statut ? Pas de blessés ?
Puis Malik, pour qui la terreur était une simple donnée à analyser, affichait une joie presque clinique. > M4L1K: Réaction 'Observateur Silencieux' confirmée. Identique chez moi. Protocole suivi. C'est une réponse standardisée à une action non-standard. C'est parfait !
Parfait. Seul Malik pouvait qualifier une armée de zombies oniriques le fixant du regard de "parfait". J'ai senti un autre rire m'échapper, un rire de pure camaraderie cette fois. J'ai posé les doigts sur le clavier pour faire mon propre rapport, pour ajouter ma voix au chœur.
> Architext: Statut OK. Extraction réussie. L'effet 'Observateur' est confirmé de mon côté aussi. C'était... intense.
Je voulais leur parler de cette énergie, de cette sensation incroyable, mais je ne savais pas comment formuler la question. C'est Clara qui m'a devancé, en posant la question qui était sur toutes les lèvres.
> Clara_Urbs: Je suis terrifiée... mais je ne me suis jamais sentie aussi peu fatiguée en me réveillant. C'est normal ?
C'était le point crucial. La véritable récompense de notre mission. > Architext: Je ressens la même chose. Je suis... rechargé. > M4L1K: Consommation énergétique négative. C'est donc ça. L'acte de création volontaire ne draine pas notre énergie. Il nous en restitue. Le 'travail' forcé nous pompe, la création libre nous nourrit. C'est une règle fondamentale du système. > Nomad_AFK: Attendez... Vous voulez dire qu'on a trouvé un moyen de se battre ET de recharger nos batteries en même temps ?
Le message de Nomad, dépouillé de son cynisme habituel, vibrait d'un espoir presque enfantin. C'était plus qu'une victoire. C'était une découverte stratégique majeure. Nous n'avions pas seulement réussi un coup. Nous venions de découvrir la source d'énergie qui allait alimenter notre rébellion.
Un silence stupéfait s'est abattu sur le canal, le temps que l'implication de la découverte de Malik fasse son chemin dans nos esprits. C'était moi qui ai tapé le premier, les mots vibrant d'une excitation que je ne me connaissais pas. > Architext: Alors... on peut se battre ET se recharger en même temps ?
> Clara_Urbs: On peut transformer leur arme contre eux. La création... c'est notre source d'énergie.
L'euphorie a explosé dans le chat. C'était une avalanche de messages courts, de points d'exclamation, l'équivalent numérique de cris de joie et de tapes dans le dos. Nous avions non seulement réussi notre mission, mais nous avions découvert une faille fondamentale dans le système, une source d'énergie qui nous appartenait. Nous n'étions plus seulement des proies. Nous pouvions nous défendre, et chaque acte de défense nous rendrait plus forts.
C'est Nomad qui, comme toujours, a joué les rabat-joie. Et il avait raison.
> Nomad_AFK: Minute papillon. C'est génial, on a des batteries infinies. Super. Mais on vient aussi d'allumer un projecteur de DCA avec nos pseudos écrits dessus. Ils nous ont vus. Ils savent qu'on est coordonnés. La prochaine fois, croyez-moi, ils ne se contenteront pas de nous fixer du regard.
Son message a calmé l'euphorie, mais ne l'a pas éteinte. Il l'a transformée en quelque chose de plus solide. De plus sobre. La joie a été remplacée par une détermination. Il avait raison. Nous avions gagné une bataille, mais nous venions de déclarer officiellement la guerre.
Malik a conclu, avec son sens habituel de la stratégie. > M4L1K: Nomad a raison. Le niveau de difficulté vient d'augmenter. Mais pour l'instant, nous avons l'avantage. Ils ignorent ce que nous savons. On se repose. On profite de cette énergie. Demain, on analyse toutes les données. Prochaine étape : la cartographie. Dormez bien.
"Dormez bien". L'ironie était délicieuse.
Le canal est redevenu silencieux, chacun partant digérer la nuit la plus folle de sa vie. Je me suis éloigné de mon ordinateur, vibrant encore de cette énergie nouvelle. Je me sentais capable de dessiner des plans jusqu'à l'aube. J'ai regardé mes mains, non plus les mains maladroites qui avaient tendues la CB à la boulangère, mais celles qui avaient sculpté un défi bleu dans la trame d'un cauchemar.
Je suis retourné à ma fenêtre. Paris dormait, inconsciente. Mais pour la première fois, je ne la voyais plus seulement comme mon refuge. Je la voyais comme quelque chose à protéger. Ces millions de lumières endormies étaient des esprits, des consciences drainées chaque nuit par cette force silencieuse. Mon combat n'était plus seulement le mien.
La peur était toujours là, quelque part. Mais elle n'était plus seule. Il y avait l'amitié de trois inconnus, l'excitation d'un plan, et la chaleur d'une victoire. Il y avait un but.
J'allais me battre.
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