Chapitre 9 - Intrusion

10 minutes de lecture

Le silence sur le Discord n'a pas duré. La peur et le chagrin étaient toujours là, des ombres persistantes, mais une nouvelle énergie les a supplantées : la concentration froide de la préparation. Nous n'étions plus des survivants. Nous étions des opérateurs.

La conversation a repris, non pas dans le canal #général, mais dans un nouveau canal que Malik venait de créer : #op-infiltrate.

> M4L1K: Bien. Tout le monde est là. Inutile de revenir sur ce que nous avons perdu. Parlons de ce que nous avons gagné.

Un fichier a été posté sur le canal. Je l'ai ouvert. C'était une modélisation 3D, une structure complexe qui tournait lentement sur elle-même. Elle était faite de lumière et de géométrie pure, un cube de cristal noir flottant dans un vide de données.

> M4L1K: Voici notre cible. Le hub de données d'où provenait l'attaque. Ne pensez pas à ça comme un lieu. C'est un serveur. Un centre de traitement onirique.

Il a commencé à superposer des calques d'analyse sur la modélisation. Des zones rouges sont apparues, pulsantes.

> M4L1K: Les murs extérieurs sont des "pare-feux" psychiques. Toute tentative de les forcer déclenchera une alarme. À l'intérieur, ces lignes de lumière qui patrouillent sont des "sentinelles" automatisées. Des programmes de surveillance qui traquent toute anomalie de cohérence.

C'était une forteresse. Une forteresse numérique construite dans un esprit.

> Nomad_AFK: Et comment on est censés entrer là-dedans ? On sonne à la porte ?

> M4L1K: C'est là que j'atteins mes limites.

Sa confession, rare et directe, a capté toute notre attention.

> M4L1K: Je peux voir la structure, l'architecture logique. Je peux prédire les trajectoires des sentinelles. Mais je ne vois pas de porte. Le système est parfait, hermétique. Mais il est logique. Et la logique, c'est votre domaine, Léo, Clara. Je peux vous donner les plans. Mais c'est à vous, les créatifs, de trouver comment dessiner une porte là où il n'y en a pas.

Le défi de Malik flottait dans le silence. Il nous donnait les plans d'une prison parfaite et nous demandait d'y dessiner une sortie. J'ai fixé la modélisation 3D, la laissant tourner, m'imprégnant de sa logique froide. Et une idée a commencé à germer, non pas en opposition à la structure, mais en harmonie avec elle.

> Architext: On ne doit pas casser l'architecture. On doit la compléter.

> M4L1K: Développe.

> Architext: Ce hub est un système logique, tu l'as dit. Il est parfait. Mais la perfection a une faille : elle ne prévoit pas l'imprévu qui suit ses propres règles. Je ne vais pas essayer de faire un trou dans le mur. Je vais lui proposer une 'mise à jour'. Je vais créer un passage, une porte, mais une porte qui respecte parfaitement le style architectural et la logique structurelle du hub. Le système ne le verra pas comme une agression, mais comme une extension de lui-même. Une anomalie si cohérente qu'elle en devient invisible.

C'est Clara qui a immédiatement saisi le potentiel de mon idée et l'a portée à un autre niveau.

> Clara_Urbs: Et pendant que tu joues les architectes fantômes, je peux leur donner autre chose à regarder. Une diversion.

> Nomad_AFK: J'aime bien ce mot.

> Clara_Urbs: Je vais créer une anomalie, mais à l'opposé de notre point d'entrée. Pas quelque chose de gros. Quelque chose de petit, mais de très complexe. Une fleur impossible qui change de couleur en suivant une suite de nombres premiers, par exemple. Les sentinelles automatisées sont programmées pour traquer l'incohérence. Je vais leur donner une incohérence si fascinante, si mathématiquement belle, qu'elle va monopoliser une partie de leur attention. Je serai le magicien qui agite un foulard coloré dans la main gauche, pendant que Léo crochète la serrure avec la main droite.

Le plan était là. Une double approche, mêlant la furtivité et la diversion. L'architecte et l'illusionniste. C'était audacieux. C'était notre style.

C'est Nomad qui a repris la parole, son ton n'étant plus celui du paranoïaque, mais celui du professionnel de la sécurité qui définit les règles d'engagement.

> Nomad_AFK: OK. Le plan est bon. Mais une fois à l'intérieur, c'est mon terrain. Et sur mon terrain, il y a des règles. Règle numéro un : silence radio absolu. Pas un mot. Pas une pensée formulée. Le système analyse la cohérence, et rien n'est plus cohérent qu'une conversation.

> Clara_Urbs: Mais comment on communique s'il y a un problème ?

> Nomad_AFK: On ne communique pas avec des mots. On communique avec des émotions. On a prouvé qu'on pouvait le faire. Si tout va bien, vous projetez le calme. Si vous voyez une menace, vous projetez un sentiment de danger pur, une alerte glaciale. Si vous avez atteint l'objectif, un sentiment de satisfaction. Simple. Primal. Indétectable.

Son plan était brillant dans sa simplicité. Il utilisait notre connexion, notre plus grande vulnérabilité, pour en faire notre outil de communication le plus sûr.

> Nomad_AFK: Règle numéro deux : s'il y a un problème, un seul, on ne discute pas. On ne cherche pas de solution. On se tire. Je donnerai le signal d'extraction : une vague de peur panique pure. Si vous sentez ça, vous lâchez tout et vous forcez le réveil. Sans discussion.

Il a marqué une pause, son regard virtuel semblant nous jauger un par un.

> Nomad_AFK: C'est clair ?

Nous avons tous validé. Le plan était complet. La stratégie, la tactique, les protocoles de communication et d'urgence. C'était, de loin, notre mission la plus complexe, la plus dangereuse. Mais c'était aussi la première où nous nous sentions véritablement comme une unité d'élite, prête à s'enfoncer au cœur du territoire ennemi.

Nous nous sommes retrouvés aux abords du hub. Ce n'était pas un bâtiment, mais une absence de matière, un cube de cristal noir parfaitement lisse qui flottait dans un vide où tourbillonnaient lentement des fragments de données. Il n'y avait pas de porte, pas de jointure, pas de faille. C'était une surface absolue, une forteresse de pure logique.

Malik a projeté une carte translucide devant nous, superposée à notre vision. > M4L1K: (par pensée) Point d'entrée optimal : la face nord. Moins de sentinelles. Clara, ta diversion. Maintenant.

J'ai senti une vague de concentration émaner de Clara. Loin, sur la face opposée du cube, une lumière a commencé à naître. Une fleur impossible, aux pétales faits de pure lumière, a éclos lentement, ses couleurs changeant en une séquence hypnotique qui suivait la logique d'une suite de nombres premiers. Immédiatement, deux des lignes lumineuses qui patrouillaient à l'intérieur du cube ont changé de trajectoire, glissant vers l'anomalie pour l'analyser.

> M4L1K: (par pensée) Fenêtre de tir ouverte. Léo, à toi.

Je me suis approché de la paroi noire. Je n'ai pas essayé de la forcer. Je l'ai observée, j'ai analysé sa structure, sa géométrie parfaite. Puis, j'ai fait ce que j'avais décrit. J'ai projeté dans mon esprit le plan d'une porte, non pas une porte étrangère, mais une porte qui aurait pu, qui aurait être là. Une porte de service, avec les mêmes matériaux, les mêmes angles, la même finition que le reste du hub. J'ai présenté au système non pas une agression, mais une suggestion. Une mise à jour.

Pendant une seconde, rien ne s'est passé. Puis, la surface noire a semblé onduler. Sans un bruit, les lignes d'une porte se sont dessinées dans le cristal, et elle a pivoté vers l'intérieur, révélant un couloir de lumière blanche.

> Nomad_AFK: (par pensée, un sentiment de pure admiration) Propre.

Nous nous sommes engouffrés dans la brèche. Derrière nous, la porte s'est refermée, ne laissant aucune trace de notre passage. Nous étions à l'intérieur.

Le silence était total. Nous avancions dans des couloirs dont les murs semblaient faits de lumière solide. Le protocole de Nomad était enclenché. Pas un mot. Juste des émotions.

Je sentais le calme concentré de Malik, qui nous guidait mentalement à travers le labyrinthe en projetant des flèches discrètes sur le sol devant nous. Devant, un torrent de données, ressemblant à une rivière de chiffres incandescents, barrait le passage. Le toucher aurait signifié une corruption instantanée de notre conscience. Alors que nous nous arrêtions, j'ai senti une vague de danger glacial émanant de Nomad. Il nous a fait signe de nous plaquer contre un mur. Une sentinelle, une sphère de lumière aveuglante, a glissé silencieusement à l'endroit où nous nous trouvions quelques secondes plus tôt.

Une fois la sentinelle passée, nous étions face à la rivière de données. C'est là que Clara est intervenue. J'ai senti une vague de créativité ludique venant d'elle. Devant nous, une illusion s'est formée : un pont de cristal, identique à l'architecture du hub, s'est matérialisé au-dessus du torrent. C'était un leurre, une simple image, mais assez pour tromper les capteurs passifs du système. Nous avons traversé, non pas sur le pont, mais en flottant juste à côté, nos pieds ne touchant jamais la surface.

Nous avons continué ainsi, une chorégraphie silencieuse et parfaite. Malik guidait. Nomad détectait. Clara masquait. Et moi, je remodelais. Un mur trop haut ? Je créais une volée de marches qui semblait avoir toujours été là. Une porte verrouillée ? Je persuadais la serrure qu'elle était ouverte. Nous étions quatre fantômes dans la machine, quatre spécialistes exécutant le casse parfait.

Après ce qui a semblé une éternité, j'ai senti une nouvelle émotion, venant de Malik cette fois. Un sentiment de satisfaction pure, net et précis. Il nous a projeté une image mentale : droit devant, au bout du couloir, se trouvait une immense salle circulaire. Au centre, baignant dans une douce lumière, reposait le noyau de données. L'objectif. C'était trop facile. Beaucoup trop facile.

Nous avons franchi le seuil de la salle circulaire. Le silence ici était différent. Ce n'était pas un vide, mais une plénitude, comme si l'air lui-même était saturé d'informations pures. La salle était une sphère parfaite, dont les murs étaient une mosaïque de circuits lumineux qui pulsaient d'une lueur douce et constante. C'était un espace d'une beauté mathématique absolue, un sanctuaire de pure logique.

Au centre exact de la pièce, flottant à un mètre du sol, se trouvait le noyau. Un cristal à la géométrie complexe, qui semblait contenir des galaxies entières. Des flux de données, comme des aurores boréales miniatures, coulaient de sa surface pour aller nourrir les circuits sur les murs. C'était le cœur battant du système.

Et il n'y avait personne. Pas de sentinelles. Pas de Chasseurs. Pas de gardes.

J'ai senti une vague de méfiance glaciale émaner de Nomad. Il avait raison. C'était un piège. Un piège évident, grossier. Mais l'objectif était là, à portée de main, pulsant d'une promesse de réponses. Nous étions venus de si loin. Nous avions tant risqué. Reculer était impossible. Le silence pesait, chaque seconde qui passait semblant étirer la tension à son point de rupture.

Le silence pesait, chaque seconde qui passait semblant étirer la tension à son point de rupture. J'ai senti une vague de méfiance glaciale émaner de Nomad. Il avait raison. C'était un piège évident, grossier. Mais l'objectif était là, à portée de main, pulsant d'une promesse de réponses. Reculer était impossible.

> M4L1K: (par pensée, une froide détermination) Je sais. Mais on n'est pas venus jusqu'ici pour admirer l'architecture.

Sans un mot de plus, il s'est avancé vers le cristal lumineux. Clara et moi nous sommes placés en couverture, scrutant les murs pour la moindre réaction, tandis que Nomad restait en retrait, ses sens en alerte maximale, prêt à donner le signal d'extraction.

Malik s'est arrêté devant le noyau. Il n'a pas tendu la main. Il a fermé les yeux, et j'ai senti sa concentration devenir un laser, une pointe de pure logique qui cherchait à pénétrer la structure de données du cristal. C'était un hack mental, une tentative de "télécharger" le contenu par la seule force de sa volonté.

Pendant un instant, le cristal a semblé réagir. Sa lumière a augmenté d'intensité, et les flux de données qui parcouraient les murs ont accéléré leur pulsation. J'ai cru que ça marchait.

Puis j'ai senti une nouvelle vague d'émotion venant de Malik. Ce n'était pas de la satisfaction. C'était de la confusion, suivie d'une horreur glaciale.

> M4L1K: (par pensée, sa voix virtuelle empreinte d'une panique froide) Sortez ! C'est un leurre !

Il a reculé d'un pas, les yeux grands ouverts. > M4L1K: Les données... elles sont vides. C'est une boucle. La même séquence répétée à l'infini. Ce n'est pas un hub de données. C'est un pot de miel. Un honeypot.

Le mot de Malik a agi comme un détonateur. Au moment précis où il a crié que c'était un piège, l'architecture du hub a commencé à se transformer. Un grondement sourd, la plainte d'une structure qui se réécrit elle-même, a rempli le silence.

J'ai pivoté vers le couloir par lequel nous étions entrés. Il n'existait plus. Les murs de lumière solide se repliaient sur eux-mêmes, se soudant dans un sifflement de données compressées. Les passages que j'avais créés, les portes que j'avais persuadées d'exister, tout se refermait, effacé de la réalité du rêve comme une ligne de code supprimée.

Les murs de la salle circulaire ont perdu leur translucidité. La mosaïque de circuits lumineux s'est éteinte, remplacée par une surface noire, opaque et absolue. Les issues avaient disparu. La magnifique cathédrale de données s'était transformée en une boîte. Une souricière. Nous étions enfermés.

Un dernier son a retenti : un clic sec, comme celui d'un interrupteur. La douce lumière du noyau central s'est éteinte, nous plongeant dans une obscurité totale et désorientante. Le silence est revenu, mais ce n'était plus un silence de logique pure. C'était un silence de prédateur. Un silence de mort.

> Nomad_AFK: (par pensée, sa voix n'étant plus qu'un murmure de pure terreur) Oh non...

Puis, dans l'obscurité, des formes ont commencé à se matérialiser. Pas une. Pas deux. Des dizaines. Tout autour de nous, le long des murs de notre prison circulaire, des silhouettes sombres et anguleuses s'extirpaient du néant. Des fractures dans le noir, des formes d'anti-architecture qui se solidifiaient lentement.

Des Chasseurs.

Ils ne nous attaquaient pas. Ils ne bougeaient pas. Ils se contentaient d'apparaître, formant un cercle parfait autour de nous. Une garde d'honneur pour notre exécution. Le chapitre s'est achevé sur cette certitude glaciale. Nous n'étions pas seulement piégés. Nous étions encerclés. Et il n'y avait aucune issue.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Julien JEAN ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0