Chapitre 1

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Tys déambulait dans les rues, accablé par la chaleur. Les mains dans les poches, il slalomait entre les passants, perdu dans ses pensées. Ses yeux balançaient machinalement de droite à gauche, guettant un marchand inattentif, comme par automatisme.

La plupart des commerçants étaient devenus méfiants au cours des dernières années. Et pour cause, la société Alpha n'avait cessé d'augmenter la sécurité au centre-ville, en délaissant les banlieues et les petits producteurs qui étaient devenus la principale cible des voleurs.

Après plusieurs minutes de marche, les yeux du garçon se posèrent sur un étal de fruits. Le vieil homme qui s'occupait de la vente était en pleine discussion avec l’une de ses clientes, et peinait à mettre fin à la conversation.

Il s’agissait d’une opportunité en or pour Tys, qui enfila aussitôt sa capuche avant de virer de bord. Tête baissé, il longea la lignée de stands le séparant de son nouvel objectif. En bordure d’étal, un panier de pommes avait happé son attention. Il accéléra le pas à mesure qu’il s’approchait.

Le jeune garçon, depuis trop longtemps habitué à cette adrénaline, ne ressentait pas le moindre stress. Âgé d’une douzaine d’années et orphelin de guerre, il avait appris très jeune à survivre de ses pillages. Depuis aussi loin qu'il s'en souvienne, la faim et le vol avaient toujours rythmé ses journées.

Il arriva à portée de bras du panier de fruits. D'un mouvement rapide et précis, il attrapa une pomme et la glissa dans son sweat. Le geste était impeccable, invisible, inaudible. Pourtant, un doux son s'était mis à tinter à ses oreilles, un son d'une innocence telle qu'il lui fallut bien une seconde pour réaliser son erreur.

Aveuglé par la faim et par cette occasion trop belle pour être vraie, le garçon n'avait remarqué que trop tard la présence d’une petite ficelle attachée à la queue de sa pomme. Un fil de pêche, presque invisible, reliait le fruit à une clochette, soigneusement cachée au fond du panier.

Immédiatement, l'attention du marchand se porta sur lui. Le visage de l'homme prit un air sévère et leva la main en direction de l'enfant. Il n'en fallut pas plus au jeune voleur pour se retourner et détaler à toutes jambes, en serrant dans sa main sa prise. Tandis qu'il entendait le vieil homme impuissant, criant au voleur dans son dos, il se faufila au milieu des passants.

Ce genre de stratégies, bien que différentes à chaque fois, restaient courantes chez les commerçants du quartier. Ils tentaient, tant bien que mal, de préserver leurs maigres marchandises des nombreux pillards les prenant pour cible. Ce n'était pas la première fois que le garçon se faisait repérer.

Heureusement pour lui, les nombreux passants encapuchonnés qui arpentaient les rues le rendaient presque invisible. Depuis la guerre, ils étaient légion dans les allées. Certains, pour cacher leurs blessures, d'autres, pour garder leur anonymat. Ils participaient tous, à leur manière, au camouflage des nombreux voleurs environnants.

Tandis qu'il slalomait entre les passants, Tys arracha la clochette de la pomme et la jeta au sol. Il lui fallait se fondre dans la foule encore quelques minutes avant de s'arrêter. Malgré ses cris, le marchand n’avait pas pu abandonner son stand. Le garçon devait surtout s'assurer qu'aucune des personnes ayant assisté au vol ne le file.

Deux rues plus loin, le jeune garçon emprunta une ruelle déserte. Il s'assit derrière l'un des conteneurs à ordures remplissant l’allée, non sans vérifier une dernière fois derrière lui qu’il était seul, puis sortit enfin sa pomme. Il l'avait méritée, se dit-il avant de la croquer à pleines dents. Le goût sucré envahit sa bouche, apaisant enfin son estomac.

Une voix s'éleva, à quelques mètres de lui :

  • Doucement, gamin, il ne va plus en rester pour moi.

Le jeune garçon pesta. Il avait pensé à regarder derrière lui, mais c’était de la rue d’en face que provenait son interlocuteur.

Les voleurs étaient certes nombreux dans ces bas quartiers, mais tous ne s'attaquaient pas aux marchands. La plupart des adolescents rackettaient les plus jeunes orphelins après qu’ils eurent pris les risques à leur place.

Sans prendre la peine de répondre, Tys reposa sa pomme dans la poche de son sweat, se leva puis marcha vers la rue opposée. Il avançait lentement, comme pour repousser l’échéance de la course-poursuite et grappiller, peut-être, quelques mètres. Les sens aux aguets, il se tenait prêt à bondir à tout moment.

Au vu de la distance qui le séparait de l’adolescent, il se pensait capable de rejoindre la foule avant de se faire rattraper. De plus, le jeune homme ne semblait pas vouloir lui emboîter le pas, il restait immobile, au milieu de la rue, l'observant s'éloigner sans réagir, ce qui soulagea le garçon.

Ce n'est qu'un instant après qu'il aperçut un deuxième adolescent en face de lui, pile à la sortie de sa ruelle, l’attendant avec un sourire en coin. Celui-ci mesurait presque deux fois sa taille et s'avançait vers lui d’un pas lent.

“Comment ont-il pu… ?” se demanda-t-il, pris de panique.

En inspectant le garçon, il trouva rapidement sa réponse. À la ceinture de celui-ci était attaché un vieux modèle de talkie-walkie datant d'une vingtaine d'années. Les deux adolescents l'avaient traqué et pris en tenaille.

Derrière lui, le premier adolescent avait commencé à marcher dans sa direction. Tys n’avait plus le temps de réfléchir. Il attrapa une vieille cagette en bois dans la poubelle à ses côtés avant de s'élancer à toute vitesse sur le géant. Il devait juste le dépasser, alors, lui et sa petite taille pourrait rejoindre la foule pour le semer, se persuada-t-il.

Le colosse fronça les sourcils. Il ne s'attendait pas à une réaction si rapide de son adversaire. La plupart de leurs victimes s'affalaient au sol en larmes et cédaient leur nourriture sans broncher. Il était plus simple pour eux de retourner voler un marchand plutôt que de se battre en sous-nombre. On évitait ainsi les coups inutiles.

Mais ce n'était pas l'état d'esprit de Tys. Lui comptait bien se battre pour cette pomme. À vrai dire, ce n’était pas tant son courage qui le poussait à affronter ces deux jeunes adultes, mais plutôt sa fierté. Le jeune garçon n’aimait pas l’idée de perdre face à ses deux opposants. Personne ne gagnait à tous les coups. Pourquoi eux le pourraient-ils ?

Seuls trois mètres le séparaient à présent de son adversaire. Le jeune malfrat se tenait en position défensive, les appuis solides et les bras écartés, prêt à l'intercepter et le plaquer au sol. La différence de taille était oppressante, Tys ne parviendrait jamais à lui échapper par la vitesse, il le savait. Il serra les dents et lui lança la cagette en bois au visage de toutes ses forces, espérant le distraire un instant.

L'adolescent avait vu le coup venir, aussi croisa-t-il les bras pour arrêter le projectile.

  • Ne pense pas passer si facilement ! s'exclama-t-il tandis que la vieille cagette éclatait en morceau devant lui.

Il se remit ensuite en position, prêt à attraper le garçon arrivant à toute allure sur lui.

Cela ne dura qu'un instant, mais il l’avait perdu de vue. Le jeune orphelin n'avait pas tenté de le contourner par la droite ou la gauche pendant qu'il arrêtait la cagette. Il s'était baissé pour l'attaquer au niveau des genoux, le prenant ainsi par surprise.

  • Taaacle ! cria Tys en fonçant à toute allure dans les jambes de l'ennemi.

Sa force était bien moindre que celles des deux adolescents, mais sa vitesse couplée à sa position basse parvint à déstabiliser son adversaire, qui chuta au sol.

Sans perdre une seconde, Tys reprit ses appuis et s'élança vers l'avenue bondée. Tandis qu'il sortait de l'ombre de sa ruelle, le soleil vint caresser son sourire en guise de récompense.

En rejoignant la foule, il aperçut une silhouette blanche contrastant avec le décor miséreux de la banlieue. Un androïde à l’apparence futuriste lui faisait face. Un Z-113, modèle ayant remplacé la police depuis la récente guerre. On les surnommait également Casques blancs, en raison de leur crâne sphérique et monochrome, qui évoquait davantage un casque qu’un visage humain.

Ces androïdes jouissaient d’une totale autonomie et d’une intelligence artificielle très développée. Il était rare de les apercevoir dans ces quartiers défavorisés, mais leurs apparitions y étaient souvent mémorables.

"Ça ne s'arrêtera jamais !" pesta le garçon intérieurement.

Le robot regardait dans la direction de Tys. Il avait visiblement observé toute la scène.

  • Violence repérée, affirma le robot après une rapide analyse.

Sa voix, pourtant humaine, était vide de toute émotion.

  • Veuillez lever les mains et avancer doucement, poursuivit-il.

Aidé de tout un attirail d'outils high-tech, et notamment d'un détecteur de mensonges très fiable, il ne faisait aucun doute qu'il reconnaîtrait l'innocence de Tys lors de la tentative de racket. Cependant, une pomme volée était toujours caché dans sa poche et il savait que le Casque blanc ne le laisserait pas s'en tirer à si bon compte.

Derrière lui, l'adolescent qui avait été mis à terre se releva et entreprit de s'enfuir en courant. Le Casque blanc leva son bras droit et projeta un câble sur sa cible avant même qu'il n'ait pu faire deux pas. Celui-ci se tordit de douleur et s'écroula au sol.

Tys analysa la situation. Le câble était électrifié, il s'agissait d'un taser de longue portée. C’était l’une des deux armes non-létales de l’androïde. La seconde était un flashball, caché dans son second bras. Il se doutait également que le robot n'utiliserait pas d'armes létales dans cette situation.

Autour de lui, tous les passants s'étaient arrêtés pour regarder le spectacle. La foule n'était plus une option pour le jeune garçon. Il lui fallait retourner dans la rue dont il venait de s’échapper. Le premier adolescent avait sans doute dû s'enfuir à la vue du robot, et ne serait pas un problème. Le Casque blanc, lui, ne pourrait pas le suivre dans la rue suivante sans s’occuper de menotter sa première cible qui gisait au sol, inconscient.

Le garçon tenta donc sa chance, il se retourna et s'élança dans la ruelle qu'il venait juste de quitter. Un bruit sourd retentit aussitôt derrière lui, suivi d'une douleur aiguë en bas de son dos. Le robot n'avait pas hésité un seul instant et l’avait déjà pris en chasse. De sa main gauche, il projetait de petites balles en caoutchouc si fort que la douleur était à peine supportable pour le jeune garçon.

Tys résista de toutes ses forces pour ne pas s'écrouler, mais une deuxième détonation annonçait déjà la seconde balle. Celle-ci vint cette fois lui heurter sa jambe d’appuis avec une grande précision. Incapable de supporter la douleur cinglante, le garçon s’affala au sol. Une grande quantité de poussière s'éleva du sol sableux sur lequel il venait de tomber.

Recroquevillé sur lui-même pour tenter de limiter son supplice, le jeune garçon se surprit à regretter d’avoir résisté aux deux adolescents quelques minutes plus tôt. Au moins, il aurait pu rentrer chez lui.

“Personne ne peut gagner à tous les coups” se répéta-t-il, attristé.

La poussière retombait peu à peu au sol, permettant au jeune garçon d'y voir plus clair. Il était allongé aux côtés de l’adolescent inconscient. Dans la main de celui-ci, se trouvait un énorme pétard BeeBob. Ces artifices explosaient à l'impact et libéraient une grande quantité de fumée et de lumière. Il les connaissait bien, car ils étaient souvent utilisés par les jeunes orphelins du quartier en cas d’urgence.

Son voisin avait dû espérer pouvoir s’en servir pour couvrir sa fuite mais n’en avait pas eu le temps. Cela expliquait sans doute l'empressement qu’avait eu le Casque blanc à utiliser le taser sur lui. Le garçon s'en saisit discrètement avant que la poussière ne finisse de retomber. Il se retourna ensuite pour observer le robot qui s'approchait derrière lui.

Il n'aurait qu'une seule chance, pensa-t-il. Où allait-t-il tirer? se demanda Tys. Le premier tir, dans le dos, était là pour affaiblir sa cible, puis le robot avait tiré avec une très grande précision sur sa jambe d'appui. Il allait donc probablement réitérer son attaque sur la deuxième jambe du garçon aussitôt que celui-ci essayerait de se relever.

Il prit une grande inspiration puis s'élança. A l’aide de sa jambe en bon état, il se projeta vers la ruelle, mais, cette fois, en effectuant une vrille sur lui-même. Pendant son saut, il jeta le pétard le plus précisément possible dans la trajectoire du tir du robot.

Le bruit du tir se fit entendre, suivi de près par une grosse explosion. Tys n'y croyait pas, il avait réussi ! De grandes nuées de fumées s’échappaient du pétard dans un silence réconfortant, entrecroisé de petits éclats lumineux. La déflagration avait assourdi le garçon qui ne percevait rien d’autre qu’un léger bourdonnement dans ses oreilles.

Il poursuivit sa vrille et prit appui sur sa jambe endolorie pour fuir. La douleur était à peine supportable, il laissa s'échapper un cri en vacillant.

“Ce n’est pas le moment !”

Ignorant tant bien que mal la douleur, il poursuivit tout de même sa course en boitant. Ses oreilles encore sifflantes ne l'empêchairent cependant pas d’entendre la deuxième détonation du canon dans son dos.

“Déjà ?" s’étonna-t-il. Il pensait que la fumée dense du pétard BeeBoB couvrirait davantage sa fuite.

Cependant, la douleur ne vint pas. Etonné, il tourna la tête pour observer derrière lui. Le nuage de fumée couvrait presque toute l'entrée de la ruelle, mais il put apercevoir la silhouette géante de l’adolescent s’écrouler sur le sol.

"Merci" pensa le jeune garçon en poursuivant sa course.

Il rejoignit sans encombre l'avenue suivante. Comme prévu, le robot ne l’avait pas pris en chasse et avait préféré menotter l’adolescent.

Il s'élança dans une nouvelle ruelle déserte, deux intersections plus loin, et se terra dans le renfoncement d'une entrée de résidence. Ici, il ne serait pas repéré depuis l'avenue principale, pensa-t-il.

Il s'affala au sol. La douleur dans sa jambe droite était insoutenable. Il se demanda si elle n'était pas cassée. En s’adossant au mur, il attrapa sa pomme, avant de se raviser. Ce n'était pas le bon moment pour tomber sur de nouveaux racketteurs. Il la reposa au fond de sa poche et ferma les yeux, en réfléchissant à ce qui venait de se passer.

Il resterait là une dizaine de minutes, planifia-t-il, le temps que le robot abandonne ses recherches et s'éloigne, puis il pourrait rentrer chez lui. Il avait besoin de récupérer. Les flashball étaient conçus pour ne pas blesser leurs cibles. Il espérait donc que la douleur passerait à la longue.

Une longue minute de silence s'écoula avant qu'un bruit de pas vienne titiller l'oreille du jeune garçon. Quelqu'un s'était introduit dans la ruelle. Le léger bourdonnement toujours présent dans ses oreilles l'empêchait d’en savoir plus.

Tys se colla contre le mur, espérant que l'inconnu passerait sans le voir, ou au moins, sans le déranger.

Les pas se rapprochèrent lentement jusqu'à arriver au niveau du jeune garçon. Ce n'est qu'une seconde avant qu'il apparaisse dans son champ de vision que Tys reconnut le bruit mécanique des pas du Casque blanc. Il retint un cri de surprise et s'immobilisa.

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